RÉPARATION JUDICIAIRE
N° 1,136. Dimanche,
45e ANNÉE.
22 Novembre 1885.
6 FRANCS PAR AN.
JOURNAL; DÏPRUS UT DU L'A RttON DISSUM UN T.
LE PROGR
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PARAISSANT LE JEUDI ET LE DEMANDE.
VIRES ACQUIRIT EUNDO.
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Nous, Léopold deux, Roi des Belges, tous présents et k
venir, faisons savoir
Le Tribunal de première instance, séant k Ypi es,Flandre-
Occidentale, a prononcé le Jugement suivant:
En cause de Monsieur le MarquisVictord'Ennetières,Comte
d flust et du St-Empire, Bourgmestre de la Commune d'El-
vcrdinghe,demandeur, représenté par Maître Colaert,avocat-
avoué k Vpres.
Contre
Monsieur Ange Van Eeckhout, libraire-imprimeur et
éditeur du Journal Le Progrès dîYpres, demeurant en
cette ville, défendeur,représenté par Maître-Laheyne,avocat-
avoué au dit Ypres.
Points de fait.
Après une.inutile tentative de conciliation, le demandeur
assigna le défendeur, par exploit du ministère de l'huissier
Brevne, k Ypres, en date du vingt Avril mil huit cent qua
tre-vingt cinq, k comparaître devant le Tribunal de céans
aux fins énoncées dans cet exploit.
Maître Laheyne se constitua pour le défendeur.
L'affaire, régulièrement introduite, fut portée au rôle k
l'audience du treize Mai.
A cette audience, Maître Colaert, pour le demandeur
donna lecture des conclusions suivantes
Attendu que dans son numéro du vingt-deux Mars mil
huit cent quatre-vingt-cinq, enregistré, sous la Rubrique
Un peu de tout Le Progrès »,dont le dit Van Eeckhout
est l'imprimeur et l'éditeur responsable,s'est permis d'écrire
ce qui suit: Fairè faillite tout en restant millionnaire, de-
venir le premier magistrat de son village après avoir ruiné
ses administrés, se faire encenser tous les Dimanches, k
l'Eglise, par l'oint du Seigneur, et laisser de pauvres
diables, réduits k la piisère, mourir de faim sous le
porche,' tout cela n'est pas d'un roturier, un noble seul
peut agir avec autant de désinvolture
Attendu que ces lignes, qui visent incontestablement le
demandeur, renferment une imputation malveillante et ca
lomnieuse de na'ure k porter atteinte son honneur et k sa
considération.
Pour ces motifs, tous autres réservé^, plaise au Tribunal
déclarer que l'article en qjuestiqn est calomnieux et domma
geable. En conkéflqencacjmdamnqr le défendeur, primo, k
payer au demandeur la "somme dé deux mille francs k em
ployer en fnsffffiéns cfû' jlîjpTment k intervenir dans des
joufiiaux k scTrrlroix;smrnTîtr;âinsérer le.même jugement,
dans son propi ^5ournal,<''Lo PWgrès k la première page
et sous le titté* Rép^jtiôtfîildiçi. ire en grands carac
tères k deux reprisés "différen tes" et jusqu'k concurrence de
la somme de trois cents francs k peine de trois cents francs
de dommages et intérêts ordonner l'exécution provisoire
du jugement, nonobstant appel ef sàns caution; condamner
le défendeur aux dépens.
Demande évaluée, pour le premier chef, k deux mille
francs, et pour le second k trois cents francs ensemble deux
piilîe trois cents francs pour fixer le ressort.
A l'audience dft vingt Mai, Maître Laheyne répondit en
ces termes
Lavoué soussigné.pour sa partie déclare vouloir user du
bénéfice de l'article trente trois de la loi du vingt-cinq Mars
mil huit cent septente-six, sur la compétence, et évaluer, k
la somme de mille francs, la demandé en insertion du juge
ment dans le journal du défendeur, ce qui porte la valeur
totale du litige la somme globale de trois mille francs, k
laquelle, pour autant que de besoin, le défendeur, déclare
l'évaluer;
Pour le surplus,attendu que l'article dans lequel se trou
ve le passage servant de base k l'action du demandeur, n'a
pas eu pour but d'attaquer la personne du Marquis d'En-
netières, mais uniquement de signaler l'alliance qui d'après
le défendeur, existe entre le clergé et la noblesse en vue
d opprimer la liberté des citoyens.
Que si, en passant,le défendeur signale, comme un scan
dale, l'acception des fonctions de Bourgmestre d'Elverdin-
ghe faite par le demandeur, l'année même où il avait été
contraint d'avouer son insolvabilité'et de recourir k l'expé
dient d'une séparation de biens pour conserver le bien-être
de sa vie antérieure de millionnaire, il. n'y a là que i'appré-
ciation d'un acte politique,, posé jparde demandeur, et dont
chacun a le droit de diséuter la*convenance;
Pour ces motifs, le défendéur'coiïciur, qu'il plaise au Tri
bunal débouter le demandeur, partfe'Gblaert, de ses fins et
•conclusions, Je condamneras dëpefiS. "M
Ces conclusions furent signifiées de part et d'autres.
L'affaire, étant en état, fut remise pour lèsphaidolîies.
A l'audience du dix-rtStïf "Juin lés avocats des parties
développèrent leurs moyens et conclusions et- la cause fut
tenue en délibéré.
Points de droit, -ri/-.
Le passage incriminé est-il malveillant et diffamatoire
Dans l'affirmative quelles réparations y a-t-il lieu d'ac
corder au demandeur
Quid des dépens?
Sur quoi délibérant.
Vu les conclusions respectives des parties;
Sur la question de détermination du ressort.
Attendu que dans son exploit introductif d'instance, le
demandeur évalué l'aotion k deux mille cinq cents francs
pourtfhter'le ressort, libellanf cette somme en demande
Primo, de paiement de deux mille francs k employer en
insertions du jugement k intervenir dans des journaux k son
i choix; secundo, de condamnation en jnseriioo duditjuge-,
ment, k deux reprises, dans, le journal Lé Progrès lui-
môme, sinon de paiement de trois, cents francs de domma
ges-intérêts;
Attendu que, dans ses conclusions.tl'audîenee, du neuf
Mai mil huit cent quatre-vingt-cinq, lé demandeur, modi
fiant les termes dé sa deiùîj'nde primitive, en ce qui con
cerne le second chef, a eorielji la ûpn&mmation eiJ inser
tion du jugement k interyeniritfâns lé, journal du défendeur,
k la première page, et soijs le.tjlre, «Réfaction Judiciaire»
en grands caractères, k deux reprises, jusqu'à çôncurrence
de la somme de trois cents francs, _peine_de trois cents
francs de donrffiagès-intérètsr et a réduit son évaluation,
pour fixer 1b ressort, k deux miltod$ifc)ifênts francs;
Attendu que le défendeur soultient que, cette évaluation
était inutile parce que toute demaiidefen insertinh forcée esf
non susceptibles d'evaluatiorvet, p^rfctitstqujopira appelable;
Attendu que l'examen de la question' de savoir si toute
demande en insertion forcée est itoujoars susceptible d'appel
n'incombe pas au tribunal de prenù#b instance, mais bien
k la juridiction d'appel, en tant quWéiëerait éventuellement
saisie; que d'ailleurs,, dans 1 espèce;«et examen serait sans
raison, puisque le défendeur;'usant,detJa fnculté que lui.,
accorde le paragraphe deux de l'article trente-trois de la loi «ci
du vingt-cinq Mars mil finit .cent septente-six, a, dans ses
pr emières conclusions, *ur, Je fond du procès, déterminé le
ressort, en évaluant llobjet de I»,demande, il trois mille
francs, élevant, ainsi, Get objet au delà du taux du dernier
ressort;
Au fond.
Attendu que l'action du demandeur tend k faire déclarer
calomnieux, injurieux et dommageable, un fragment d'ar
ticle inséré, sous la rubrique Un peu de tout, dans le
journal Le Progrès d'Ypres, numéro du vingt-deux
Mars mil huit cent quatre-vingt-cinq, enregistré deux
rôles, sans renvoi, k Ypres, le neuf Avril mil huit cent
quatre-vingt-cinq, volume quarante-sept, folio quatre-
vingt-huit, case cinq, reçu deux francs, quarante centimes.
Le Receveur, (signé) A. Bogaert, et dont le défendeur est
l'imprimeur et éditeur responsable;
Attendu que ce fragment qui commence par ces mots:
Nous lions dans un journal français:Un village flamand
des environs d'Ypres a fe rare bonheur de posséder un
superbe château et finit par lessnivants:
Voilà comment le clergé et la noblesse continuent l'œu-
vre d'apaisement que le-ministère de la tolérance nationa-
le a inauguré chez nos voisins contient les passages
"suivants
Cette demeure seigneuriale est habitée par un gentil-
homme de vieille roche, et de la pllis vilaine espèce con-
nue. Caractère altier, tyrannique, intraitable. Les bonnes
fermes n'en parlent qu'avec frayeur, et assurent que chez
le châtelain, on ne trouverait 'qu'une pierre, là, où chez
les autres hommes,est placé le cbeUr! etc.'etc.—plus loin,
coïncidence curieuse-et digne de remarque, il a été nom-
mé bourgmestre de sa comirtunè-,'l'année même dé sa
première déconfiture financière! et enfin
Faire-faillite tout en restant millionnaire, devenir le
premier magistrat de son village, après avoir ruiné ses i
administrés, se faire encenser tous Us Dimanches k Té-
glise, par l'oint du Seigneur et laisser de pauvres diables
réduits la misère, mourir de faim, sous le porche, tout
cela n'est pas d'un roturier. Un noble seul peut agir avec
autan! de désinvolture
Attendu qu'il résulte d'afticles antérieurs du journal du
défendeur, comme des faits et circonstances de la cause,que
les passages ci-dessus vivent incontestablement le deman
deur, Monsieur le Marquis d'Ennetiè es, que le défendeur
le reconnaît d'ailleurs dans son écrit de ebnelusions du
vingt un Mai mil huit cent quatre-vingt-cinq, où on lit:
Que si, en passant, le défendeur signale, comme un
scandale, l'acceptation des fonctions de bourgmestre d'El-
verdinghe, faitô par le demandeur, l'annéé môme où il
avait été conti aivt d'avouer son insolvabilité, et de re-
courir k l'expédient d une séparation de biens, pour con-
server le bien-être de sa vie antérieure de millionnaire,
il n'y a lk que l'appréciation d'un acte politique, posé par
le demandeur, et dont chacun a- te 'droit de discuter la
convenance. ,->v! s.: - moi-
Attendu que, si dans le fragment d'article du vingt-deux
Mars, il se trouve des passages qui'peîiyent n'être" considé
rés que comme de la discussion politiqiie, qùelqujpruuo-
nieuse quelle soit, il pe saurait ôlré. douteux que les
phrases incriminées s'écartent absolument de la discussion
politiqup, pour empiéter sur le domaine de la vie privée, en
décriait;le caractère personnel, les sentiments intimes du
demkride'ur et en insinuant, sa charge, dans sa gestion
financière et celle de sa fortune privée, les actes les plus
odieux
Attendu', notamment, que eps lignes faire faillitevtout
en restant millionnaire, devenir le premier magistrat
son village, après avoir ruiné ses administrés, mises çn
regarJ de -eés autres lignes, il a été nofcmé 'bourgmestre'
de sa commune l'année même de sa'prèmière déconfiture'!
financière permettent au Iectëur dé supposer que le de-
mandèur, tombant de déconfiture en déconfitu re, a fait
l'aveu de sa faillite, après avoir accaparé et celé, pour rester