N° 7. Jeudi,
27 Janvier 1887.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Beaux-Arts.
47e ANNÉE
6 FRANCS PAR AN
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Ypres, le 26 Janvier 1887.
Depuisdes annéest nous étions habitués dans
notre bonne ville d'Y pres admirer naïvement
les peintures qui décorent nos célèbres Halles.
C'est même avec une certaine fierté que nous
faisions voir ces œuvres magistrales aux étran
gers qui, sans exception connue jusqu'ici, se
plaisaient les admirer avec nous.
Eh bien il paraît que nous nous sommes tous
grossièrement trompés, et que les innombra
bles visiteurs du dehors, tant artistes qu'ama
teurs, qui sont venus partager notre admira
tion, n ont été, comme nous-mêmes, que de
vulgaires Béotiens, de stupides bourgeois, au
goût absurde et dépravé.
C'est du moins ce que nous apprend un des
rédacteurs du Progrès de Bruxellesdans un
article qui a paru dans le numéro du 16 cou
rant.
Oyez ce qu'on y lit
Les récents visiteurs des Halles d'Ypres se
rappelleront certainement le désastreux effet
des bitumineuses et conventionnelles peintu-
res qui recouvrent une partie des murs de la
grande Salle des Halles. Sans doute, comme
nous-mêmes, ils auront constaté la choquante
dissonance de cet art froidement académi-
que, pauvre en invention, fait de recettes et
de poncifs, sans caractère et sans grandeur,
avecl'imposanteaustéritéde la charpentes nu,
qui, en cette salle incomparable, tient lieu
de voûte et là haut déploie, comme une sécu-
laire et prodigieuse forêt suspendue, ses
complications de chevètres, de poutres cor-
nières, de chevrons et de soliveaux. Non seu-
lement l'artiste avait dénaturé la solennelle
physionomie du monument en y prodiguant
un genre de compositions bourgeoises, sans
vraisemblances historiques, mais encore il
avait omis de tenir compte, dans le mode gé-
néral de ses colorations, de l'imprescriptible
nécessité d'associer celles-ci aux tonalités
dominantes du cadre pour lequel il peignait.
L'orchestration criarde et prétentieuse,
dans les poisseuses peintures de M. Pauwels,
ne sait nulle part s'astreindre aux sacrifices
nécessaires
Ces peintures sont d'oléagineuses et juteu-
ses machines rappelant tout au plus les bi-
tûmes des Cabanel et consorts.
Ce sont encore, et en même temps (l'article
débute par là) de douceâtres et banales ima-
geries qui ont déshonoré jusqu'ici la sévère
grandeur du monument.
Voilà, textuellement reproduites, les appré
ciations du critique susdit.
Pas un Yprois, nous croyons pouvoir l'affir
mer; pas un même parmi ces nombreux étran
gers qui, depuis plusieurs années, sont venus
visiter nos Halles, pas un, disons-nous, ne lira
ces lignes ignominieuses sans se sentir pris
d'un sentiment instinctif d'indignation et de
dégoût.
Que l'on discute le point de savoir si un mo
nument comme les Halles comporte, sur ses gi
gantesques murs et sous notre climat brumeux,
une décoration picturale quelle qu'elle soit
que l'on discute encore, l'affirmative sur ce pre
mier point étant admise, le genre de décoration
ou de peinture qui convient que, plusieurs
artistes ayant contribué l'œuvre décorative,
on donne la préférence, tort ou raison, aux
œuvres de l'un d'eux... Tout cela est bien, par
faitement légitime et dans le droit de chacun.
Mais que, sous le fallacieux, l'hypocrite pré
texte de servir la grandeur même du monu
ment, ou d'assurer la prééminence de tel genre
de décor ou de tel artiste sur tel autre, on se
livre un éreinlement aussi grossièrement
partial, aussi violemment injuste que celui que,
la façon des Spartiates instruisant leurs en
fants, nous venons de mettre crûment sous les
veux de nos lecteurs, voilà qui dépasse, et de
loin, la commune mesure
Oh nous voulons bien que tout ne soit pas
parfait dans les tableaux de M. Pauwels. Qu'il
y ait dans ces peintures certaines invraisem
blances historiques, quelques erreurs au point
de vue de l'archéologie, ci et là quelque heurt
de tons, ailleurs des exagérations de formes et,
par endroits, comme une lassitude de pinceau
surmené devant une tâche qui, d'après nous,
aurait due être dévolue plusieurs... tout cela
est possible et nous le concéderons sans diffi
culté.
C'est que, n'écrivant pas de parti pris, nous
ne voulons pas outrer l'éloge comme on a ou
tré le blâme. M. Pauwels, en homme sensé
qu'il est, nous en voudrait, du reste, de lui don
ner de l'encensoir au travers du visage, sachant
comme tout le monde, quelques sots exceptés,
3u'il n'est rien de si dangereux que de mala-
roits amis. Son œuvre, telle quelle, est au
surplus suffisamment belle et s'impose assez
l'admiration du public, pour qu'il soit su
perflu de battre la grosse caisse et de faire le
pitre devant elle. Elle se distingue, en effet, par
des qualités maitressesque la mauvaise foi seule
îeut méconnaître ou nier. Il y a. dans cette
ongue enfilade de panneaux, quoi qu'en dise
e critique du Progrèsune intelligence de
composition, une correction de dessin, une
fermeté de brosse, une vigueur d'exécution, une
intensité de vie et une harmonie générale de
tons, qui font que, de l'aveu de tous, ces peintu
res forment, dans leur ensemble, une décora
tion réellement superbe et digne du monu
ment qui les abrite.
Une peinture bitumineuse, juste ciel l que
cette Visite l'Hôpital si pure de dessin, si
harmonieuse de couleur et tout empreinte d'un
sentiment si vrai, d'une si pénétrante émotion
Une oléagineuse et juteuse machine, cette
Construction des Halles si hardie, si pleine de
vie, de force, de lumière et de mouvement
Une douceâtre et banale imagerie, cette Peste
d'Ypres d'une conception si saisissante, d'une
tonalité si bien appropriée au sujet et d'une si
empoignante exécution!Une poisseuse pein
ture, celte Réception du Duc et de la Duchesse
de Lorraine si habilement ordonnée, disposée
en une perspective si pittoresque et si brillante
de coloration
Vraiment, il faut lire ces choses, les avoir
dans la main et sous les yeux, pour y croire
Le public éclairé, nous n'hésitons pas le répé
ter, protestera, indigné comme nous, contre
ces énormités et ces excès de langage. Avec
nous il dira que ce qui déshonore, que ce qui
est bitumineux et poisseux (notre plume ré
voltée allait risquer un autre mot), ce sont ces
critiques passionnées, violentes et brutales,
inspirées, dirait-on, par d'autres Halles que
les nôtres, et où transsude chaque ligne,
chaque motcomme l'humidité sur certains
murs, une haine si furieuse et si implacable,
que l'envie, la sombre envie seule semble avoir
pu l'enfanter l
Le public ah nous le savons bien, il est
de ton chez quelques uns d'en faire fi, de le
mépriser l Le public, c'est le bourgeois ignare
et incompétent, le Philistin profane et obtus.
Ainsi le qualifient, du haut de leur art, certains
artistes se posant en apôtres, les uns arrivés,
d'autres demeurés en route, accrochés aux
ronces du chemin ceux-ci inspirés par le
ressentiment de l'incompris ceux-là, par l'or
gueil du parvenu. Maintes fois, et avec infi
niment de raison, on a soufflé sur cette jac
tance qui ne tient devant rien. Le public! mais,
S|u'on le veuille ou non, c'est pour lui que l'on
ait de l'art et c'est pour lui qu'on expose. Aussi
Messieurs les artistes font-ils
grand cas de ses
jugementsfavorables, bien entendu. Et ils
ont pour cela plus d'une bonne raison. C'est
3ue si,comme on l'a dit avant nous, ils n'avaient
e louanges attendre que de leurs pareils,
ils attendraient pour l'ordinaire fort longtemps,
peut-être même toujours, durant leur vie du
moins. Et ce serait bien pis encore s'ils ne
trouvaient d'autres acquéreurs de leurs œuvres.
Voit-on la mine qu'ils feraient en ce monde
Mais que disons-nous Il n'y aurait plus
même d'art possible.
Tous les artistes vrais d'ailleurs, et nous enten
dons par là ceux qui ont l'âme et le cœur la
hauteur du talent, ne feindront d'avouer qu'il
en est ainsi. Aussi ne sont-ce pas ceux-là qui
tiennent le bourgeois en horreur et le public
en mépris. Ce ne sont pas eux non plus, nous
avons hâte de l'ajouter, qui, pour critiquer un
confrère, s'armeraient en furieux du fouet de
Némésis, ou, pour mieux dire céans, de la tri
que du portefaix.
Heureusement, et pour en revenir lui, M.
Pauwels est au-dessus de ces attaques méchan
tes et idiotes qui ne nuiront qu'à ceux qui se les
sont permises. L'éminentet honorable artiste,
que la Saxe nous a enlevé pour en faire un pro
fesseur, n'en éprouvera aucun mal ni souci,
confiant qu'il peut-être dans la durée de son
œuvre, et assuré que les générations futures
passeront encore respectueuses, émues et émer
veillées devant elle, alors que, depuis longtemps
déjà, les critiques enfiellées de son Zoile seront
LE PROGRES
VIRES ACQUIRIT EUNDO.
ABONNEMENT PAR AN: Pour l'arrondissement administratif et judiciaire d'Ypres, fr. 6-00.
Idem. Pour le restant du pays7-00.
Tout ce qui concerne le journal doit être adressé l'éditeur, rue au Beurre, 20.
INSERTIONS Annonces: la ligne ordinaire fr. 0-10 Réclames: la ligne, fr. 0-2S.
Insertions: Judiciaires la ligne un franc.
Pour les annonces de France et de Belgique s'adresser l'Agence Havas, Bruxelles, 89,
Marché aux Herbes.
M. FERD. PAUWELS et son critique du Progrès
de Bruxelles.