N° 14. Dimanche,
47e ANNÉE.
20 Février 1887
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Vérité en deçà....
Le Pape et le Septennat.
6 FRANCS PAR AN
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Ypres, le 19 Février 1887.
11 semblerait que la doctrine de l'Eglise in
faillible dût être invariable; que rien, ni le
temps ni le lieu, ne pût la modifier. Ainsi, du
moins, nous l'avait-on enseigné durant des siè
cles. On avait fait même un atroce jeu de mots
là-dessus. Tu es Pierre, et sur cette pierre,
_e bâtirai mon Eglise, aurait dit Jésus son
Premier apôtre, ce qui démontre que le calem
bour, que nous croyions d'invention récente,
florissait dans les premiers temps de notre ère;
ce qui démontre encore que le Nazaréen avait
autant d'esprit que M. de Rochet'ort. Donc,
la doctrine de l'Eglise serait immuable, si nous
avions la naïveté d'ajouter foi aux déclarations
des écrivains sacrés. Mais, dans l'Eglise, tout
n'est pas parole d'Evangile, et tout même n'y
est que question de latitude. Elle qui, si fière
ment, se targue de ne jamais composer avec
les circonstances, vient de nous fournir la
preuve qu'elle sait faire tous les sacrifices
quand il le faut. Elle qui se dit universelle tout
autant qu'immuable et infaillible, elle a des
opinions qui changent d'un territoire l'autre.
Vérité en deçà du poteau, erreur au-delà. Et
c'est un ministre catholique qui nous a montré
ce spectacle. On n'est trahi que par les siens.
Vous connaissez la lettre du nonce Bruxel
les par laquelle il apprend M. le prince de
Caraman-Chimay, notre ministre des affaires
étrangères, que le Saint-Siège interdit le di
vorce en France, mais qu'il le tolère en Belgi
que.
D'abord, une réflexion Gomment se fait-il
3u'un ministre s'en aille provoquer une telle
éclaration Rome sur une loi qui existe chez
nous depuis trois quarts de siècle? Nous savons
très-bien que tout ce qui se fait, en ce moment,
est soumis au Pape, et que tout ce qui se vote
dans nos Chambres est contresigné par lui.
Mais nos vieilles lois, on pourrait,ce me semble,
continuer les appliquer sans aller demander
la permission au Vatican. Qu'aurait-on donc
fait si le Pape eût répondu que le divorce était
condamné tout aussi bien en Belgique qu'en
France Aurait-on abrogé cette loi? En tout
cas, nos ministres ne pouvaient mieux dire
3u'ils sont plus la dévotion du Pape qu'à celle
e leur pays. A l'heure qu'il est nous sommes
placés sous le protectorat de Rome. Il en est de
nous comme ae Tunis. Nous avons bien un Roi,
des ministres, etc., mais le nonce mène tout
ici, comme hier encore M. Cambon menait tout
Tunis. Le nonce est un résident général.
Cela dit, voyons ce qu'il y a d'amusant dans
la lettre lue par le ministre la Chambre
Nos magistrats peuvent prononcer le divorce,
si catholiques soient-ils; un substitut, nommé
par M. Woeste, pourra le requérir, et des juges
l'appliquer. Leur conscience ne s'y peut point
opposer; ils ne commettront aucun péché. Mais
passons la frontière, cette frontière qui n existe
pas pour l'Eglise, puisqu'à ses yeux la France
n'est qu'une province du Saint-Siège au même
titre que la Belgique, passons Ta frontière.
Que voyons-nous? A Lille, par exemple, le sub
stitut qui requiert le divorce, et les magistrats
qui le prononcent se rendent coupables d'une
faute énorme et je ne sais pas même s'ils ne
sont pas excommuniés.
Comment trouvez-vous la plaisanterie? L'E
glise a sans doute de grands casuistes, qui ex
pliquent tout, qui nous font prendre des
vessies pour des lanternes. Mais du diable s'ils
parviennent faire comprendre et faire ad
mettre par une cervelle même peu près
équilibrée cette différence de traitement.
Voici encore deux magistrats communaux
l'un est bourgmestre en Belgique, l'autre est
maire en France. Leurs communes se touchent;
il n'y a peut-être qu'une distance de cent mè
tres entre elles (cela se voit). Eh bien le bourg
mestre pourra dissoudre le mariage, mais le
maire ne le pourra point. Les modernesSanchez
tâcheront de vous expliquer cela mais le diable
m'emporte! s'ils trouvent une intelligence
peu près saine pour se laisser prendre leurs
arguties. On reste ahuri.
Comment veut-on donc que les épaules ne se
lèvent pas toutes seules lorsqu'on vient pro
pos d'inconséquences semblables vous dire: Est
de fide? Car c'est un article de foi que le divorce
contrevient toutes les lois divines.
La vérité est que l'Eglise est un pouvoir com
me un autre, qui fait aux hommes et aux cho
ses les sacrifices nécessaires. Avec l'Eglise, il
faut vouloir. Quand on sait être fort, on obtient
tout d'elle. Les exemples sont nombreux et
frappants. Est-ce que Rome, sur la volonté de
Louis XIV, n'enleva pas Son Eminence le
cardinal de Retz, le diocèse de Paris? Est-ce
que Bonaparte n'obtint pas du Saint-Siège des
concessions énormes, telles qu'elles surprennent
encore aujourd'hui Savez-vous qu'en vertu du
Concordat, c'est le gouvernement français qui
nomme les évêques, et que le Saint-Siège n'a
que le droit de les investir Savez-vous que les
chanoines et les curés sont également nommés
par le pouvoir civil
Voilà, cependant, ce que peut une volonté
forte. Tenez, je ne peux penser l'Eglise sans
me rappeler le dicton ancien Oignez vilainil
vous poindra; poignez vilainil vous oindra.
Et, propos du divorce, soyez convaincu que
si le gouvernement de la République ne consi
dérait pas les encycliques papales comme de
simples bulles d'eau, il aurait bien obtenu du
Saint-Siège qu'il ne poussât pas la désobéis
sance aux lois
Le bruit avait couru que le chef du cabinet
devait prendre la parole Mardi la Chambre
et prononcer un grand discours sur la si
tuation.
11 n'en a rien été.
Ce silence prolongé du gouvernement
nous ne nous lasserons pas de le répéter, est
profondément déplorable.
Partout en Europe, et plus particulièrement
en France, on accuse la Belgique d'être deve
nue la vassale de l'Allemagne on dit tout haut
qu'en cas de guerre, nous ferions cause com
mune avec elle on prononce, dans certaines
feuilles françaises, le gros mot de trahison.
Ce sont là des calomnies, d'indignes calom
nies. Si pitoyable que soit le gouvernement
actuel, il n'en est pas encore arrivé sacrifier
notre neutralité en cas de conflit, il ne se
prononcerait ni pour l'Allemagne, ni pour la
France.
Mais l'heure est venue de le dire, et de le
dire bien haut.
C'est notre honneur politique qui est en
cause et que l'on met en suspicion.
A ceux que cette considération ne toucherait
pas, nons ferons remarquer que nous avons le
plus grand intérêt affirmer solennellement
devant l'Europe la neutralité belge. Les destins
et les flots sont changeants la victoire est ca
pricieuse, et si la France l'emportait dans le
prochain conflit, nous pourrions payer bien
cher les injustes soupçons auxquels nous som
mes en butte et les attaques calomnieuses aux
quelles notre gouvernement ne se donne pas la
peine de répondre.
Le Courrier de Bruxelles reçoit de son cor
respondant Rome l'importante lettre que
voici
Rome, le 14 Février.
A la suite des interprétations erronées et de
Jiarti-pris auxquelles ont donné lieu les deux
ettres de S. Em. le cardinal Jacobini au nonce
de Munich sur le Centre allemand et le Septen
nat, le Saint-Père vient de faire adresser une
troisième lettre, toute de louange et d'encoura-
fement au chef du Centre, M. le baron de
rankestein. Ce document est d'ailleurs, le com-
Slément, l'explication naturelle des deux précé-
ents, dans lesquels le Saint-Père conseillait
l'adoption du Septennat pour des raisons d'un
ordre supérieur. Ces raisons, le Centre n'a pas
cru d'abord qu'il était facile de les faire com
prendre aussitôt du public, parce qu'on était
alors impressionné des lourdes charges que le
Septennat entraînerait. C'est uniquement pour
cela, comme l'attestent les explications trans
mises au Vatican par le chef du Centre, que les
représentants de ce parti ont cru pouvoir différer
de se rendre aux conseils du Saint-Siège. Main
tenant au contraire, la faveur du mouvement
électoral et la suite de la publication des deux
premières lettres du cardinal Jacobini,quelle
que soit, d'ailleurs, la source d'où cette publi
cation est venue, il est plus facile au Centre de
faire comprendre aux électeurs les raisons de
haute politique et les motifs de suprême intérêt
religieux qui pourront permettre la votation du
Septennat ou conseiller au moins une partie
du Centre de s'abstenir du vote. C'est dans ce
sens que plusieurs candidats catholiques ont
soin de diriger le mouvement électoral, et c'est
ce qui explique l'opportunité de la lettre de
louange et d'encouragement que vient d'en
voyer le Saint-Père, afin qu'il ne reste pas le
moindre doute sur la valeur que le Saint-Siège a
toujours attachée aux services éminents rendus
par le parti catholique en Allemagne.
LE PROGRES
TIRES ACQCIRIT El'NDO.
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