Je ne vous soufflerai pas de grandes phrases
creuses je serai simple, comme il convient
un villageois qui ne fait que constater.
Depuis la domination autrichienne, il existait
dans le dit village une Société de rhétoriquequi
peu peu s'était transformée en société drama- I
tique. Elle constituait le centre intellectuel de
la commune. Une famille de brasseurs, les
Viaene, gens intelligents et fiers de leur instruc
tion, en occupaient la présidence de père en fils.
Plusieurs curés avaient depuis 20 ans tonné
successivement, mais inutilement, contre cette
société dramatique. Les habitants aimaient les
Troostverncachtersc'était le nom de la société, qui
était pour ainsi dire sortie de leur essence. Le
Dimanche, la tombée de la nuit, ils allaient au
petit théâtre,occupant le premier et unique étage
du cabaret In de Rhètorika, applaudir les JBreidel;
les Deconinck, les d'Artevelde, les Zannekin, les
Anneesens et toute la kyrielle des héros fla
mands. Les femmes pleuraient des chaudes lar
mes sur les malheurs des victimes de l'inquisition
et les spectateurs mâles, l'œil en feu, meurtris
saient leurs mains calleuses pour applaudir avec
frénésie les grandes phrases des grands Gueux
de la Réforme.
Et après chaque représentation, le curé, qui
avait bien mesuré la force de son ennemi, jetait
feu et flammes sur cette comédie des helle.
Mais les bonnes gens du lieu haussaient les épau
les, saluaient bien gentiment Monsieur le curé
et Monsieur son vicaire, faisaient leurs pâques
et votaient pour les libéraux la commune, la
province et la Chambre. C'était le beau temps
où l'arrondissement de Furnes et celui d'Ypres
n'avaient que des représentants libéraux.
Un jour, arriva au village un receveur d'enre
gistrement, bon libéral, aux aspirations démo
cratiques, excellent homme, de beaucoup d'es-
Srit, mais ne comprenant pas un traitre mot de
amand. Il eut la malheureuse idée de vouloir
créer côté du centre déjà existant un autre mi
lieu intellectuel. Il fonda une de ces Sociétés de
lecture, dont l'idée est due Charles Rogier, de
qui les bonnes intentions ont eu en Flandre le
résultat le plus pitoyable. Ces sociétés où tout
se passait en langue française, ont séparé le
peuple de Flandre en deux castes, la première
peu nombreuse, libérale, plus ou moins instruite,
ne lisant plus que le français, pensant en fran
çais, s'exprimant de préférence dans la langue
de son journal et de sa revue la deuxième, fla
mande comme toujours, moins instruite que la
Sremière, manquant absolument du soutien
e la bonne parole, que les demi-savants des
sociétés de lecture ne daignaient lui adresser que
dans un français, très-peu académique il est vrai,
mais dont elle ne pouvait ni ne peut rien com
prendre.
Chez nous la bonne bourgeoisie, qui s'intitulait
comme il faut et se piquait de posséder de l'in
struction, alla bien vite augmenter le nombre
des membres de la Société de Lectureun genre
chic, du moins chacun le disait. La gent fonc
tionnaire, savantissime comme partout, y tenait
le haut du pavé. C'était coup sûr un bon noyau
de libéralisme, mais un noyau qui ne pouvait
germer. Il y avait en effet entre ce noyau et les
habitants un obstacle insurmontable la diffé
rence de langue. Tous les habitants plus ou
moins obligés de se croire comme il faut, faisaient
partie de la Société de Lecture. La Société dra
matique flamande perdant tout ses membres
devait languir et tomber la fin. Ce fut ce qui
arriva. L6 curé donna cette occasion un grand
dîner. Il avait en effet vaincu tout était fini.
Plus de propagande libérale la portée de tout
le monde. Par contre, des conférences, des soi
rées, etc., organisées par les libéraux, mais en
français, langue que sur les 2058 habitants de
mon village, 50 parlent déjà plutôt mal que bien
l'heure actuelle.
La Société de Lecture jouit d'une floraison factice
pendant une ou deux années. Après le départ du
président, la zizanie se mit entre les membres
ronds-de-cuir et les membres épiciers. Un an
après le curé triompha la commune 2 voix de
majorité. Depuis 27 ans, il triomphe chaque
élection et... la Société de Lecture existe toujours.
Elle compte encore 3 membres, les 3 seuls libé
raux du lieu. Je me suis fait un jour traiter de
Turc More par un des trois, parce que je pré
tendais qu'étant natif de Rousbrugge, il devait i
comprendre le flamand. Il ne s'était jamais
trouvé si insulté.
Un fait caractéristique qui m'a fait songer.
J'étais chez nous au mois de Septembre 1885. Il y
avait eu depuis peu de temps des rixes violentes
entre des fonctionnaires et des bourgeois, la
suite desquelles un percepteur des postes avait
été déplacé.
Et son successeur, demandai-je, un vieux
paysan du voisinage (vieux libéral, mais qui
n'avait pas suivi les luttes politiques) est-ce un
calotin ou un libéral
Je n'en sais rien, répondit-il, mais le bou
cher Sus prétend qu'il est libéral il lit un jour
nal en français. Par conséquent...
Vous avez déj compris que le curé avait profité
des éléments négligés par les savants libéraux
de la Société de Lecture. Il avait fondé une société,
Sas dramatique, mais musicale, c'était moins
angereux. Et les jeunes gens qui jadis jouaient
de belles pièces bien libérales, soufflent mainte
nant dans le trombone et le cornet piston. La
fanfare est assez peu libérale dans ses aspira
tions...
Et les Sociétés de Lecture existent toujours.
L'invention de Rogier a été néfaste pour le
libéralisme en Flandre.
Voulez-vous savoir où les cléricaux en sont
arrivés dans mon village. J'ai dit que les deux
écoles communales sont supprimées. Que faire
des bâtiments, du mobilier, etc.
M. le curé de Haeringhe veut les donner aux
religieuses de Cortemarcq M. le curé de Rous
brugge veut les donner aux sœurs du Sacré-
Cœur. Inde Irœ
Les membres du conseil communal se sont
disputés comme des forts de la Halle. M. le
bourgmestre Pell veut faire cadeau des dites
propriétés au Sacré-Cœur, M. Delanote, Gast et
Loncke penchent pour Cortemarq. Ces MM. qui
ne sont pas des paysans, loin de là, car il y a
parmi eux un avocat, un docteur en médecine,
un grand propriétaire, un riche négociant, uïi
agent de change, se sont pris aux cheveux et se
sont dit en séance publique toutes espèces
d'injures.
Enfin le curé de Rousbrugge, mandé en toute
hâte, est intervenu. Il a calmé sa valetaille. On
est tombé d'accord en décidant que chaque ordre
religieux aurait une école en cadeau. Toutefois
le Sacré-Cœur jouira d'un subside de 3,000
francs. (Absolument historique).
Et la population ne s'émeut nullement
Il est vrai que nous avons Bruxelles assez de
gens pour jeter l'anathème sur cette population
de crétins, de goitreux, de têtes de cheval.
Quant nous, nous hurlerions volontiers aux
trois coins du pays qu'il y a un plus grand cou
pable que la population c'est cette fraction de
gouvernants, dont l'orgueil et la cécité politique
ont livré Rome pieds et poings liés, cette bonne
Îjopulation qui ne demandait que la lumière et
a liberté et qui on n'a donné que des journaux
et des conférences en français qu'elle ne pouvait
ni lire ni comprendre. K. H. de Quekeb.
Destitution du Notaire
De Malander.
La Cour d'appel de Gand, 1" chambre, pré
sidée par M. De Meren, a rendu Samedi son
arrêt en cause du ministère public contre De
Malander.
Dès 10 heures, une animation extraordinaire
se manifeste dans la salle des Pas-Perdus plu
sieurs Renaisiens sont venus assister au dénou
ement final 10 heures et demie, lorsque la
sonnette annonce l'entrée de la Cour, la salle
d'audience est envahie.
Le premier président lit l'arrêt dont nous
notons les passages suivants
Attendu qu'il n'est pas admissible que le
sieur De Malander soit maintenu en fonctions
après avoir été reconnu coupable de faits que
la loi qualifie de crimes et qu'elle assimile aux
vols avec violences et menaces qu'à raison
même de l'arrêt du 17 Juillet il est réputé
avoir failli aux règles delà délicatesse et de la
jrobité-; que le caractère des faits posés par
ui rejaillit sur les fonctions qu'il remplit et sur
e corps dont il fait partie.
Attendu qu'il importe peu que lors des
troubles du 4 Mars De Malander ait agi en sa
qualité de bourgmestre, qu'il n'en est pas moins
vrai que l'honneur et la dignité ont subi une
atteinte non moins sensible qu'il est indiffé
rent aussi que le crime ait été correctionnalisé
et qu'en tous cas les faits constitutifs de l'acte
posé sont les mêmes
Attendu qu'il résulte des documents, que
l'intimé De Malander a pris une part considé
rable l'extorsion et est intervenu tout autant
que les autres coupables qu'après s'être ab
stenu de paraître sur les lieux de l'émeute où
ses fonctions de bourgmestre l'appelaient né
cessairement, après qu'elle se fut apaisée et
après avoir assisté cette lutte inégale entre
les patrons intéressés, la foule des ouvriers sur
excités, ivres, et M. Gravitz, après avoir vu
l'envahissement et le sac de l'Hôtel Lefèvre ainsi
Sue le péril imminent couru par M. Gravitz,
e Malander a exploité les menaces de la foule
pour arracher M. Gravitz sa soumission; qu'il
a lui même préparé l'acte, cet instrument des
tiné constater l'extorsion, avec la formule
spéciale en toute liberté et sans contrainte
qu'il s'est même empressé de rassurer les pa
trons qui émettaient des doutes sur la validité
de la convention qu'on allait signer
Attendu qu'il ne peut exister dans la cause
d'explication atténuante: que le caractère frau
duleux de sa coopération l'acte est dûment
constaté et qu'il n'est pas contestable qu'il im
porte pour la dignité du corps notarial d'en
exclure l'intimé
La Cour destitue le sieur De Malander,
Ephrem, des fonctions de notaire qu'il exerce
Renaix, le condamne en outre aux dépens des
deux instances.
Un banquet.
Il est question, dit-on, d'un grand banquet
qui sera offert par les ligues agricoles aux dépu
tés de Nivelles l'occasion du vote de la loi
en faveur de l'agriculture.
Si M. Dumont est juste, c'est lui qui payera
les frais de ces agapes, car il est le Belge qui
gagnera le plus d'argent la mise en vigueur
de la loi de famine.
Et s il veut écouter un conseil charitable,
nous lui dirons d'aller organiser ce gueuleton
agricole et protectionniste dans une des locali
tés du Borinage ou des environs de La Louvière.
A moins qu'il ne préfère réunir les ligues agri
coles Lodelinsart ou Jumet, deux pas des
usines Baudoux.
Le cimetière de Roux conviendrait très-bien
aussi la petite fête des sauveurs de l'agricul
ture I Chronique
La Chambre
devant le Code pénal.
Il ne se pouvait pas, chacun l'avait compris,
que la scandaleuse élection de M. De Malander
restât sans protestation la Chambre.
Sous peine de porter une part de responsa
bilité dans cette honte, la gauche se devait
elle-même, la dignité du mandat parlemen
taire de relever publiquement cet insolent défi
jeté la conscience publique.
Dans la séance du 18, l'honorable M. Bara
s'est fait l'organe de ce sentiment en déposant
sur le bureau de la Chambre la proposition
suivante
La simple histoire que je viens de vous dire est celle
de presque toutes les communes en Flandre, ne
l'oubliez pas, interrogez vos amis de la province,
tous vous répondront c'est bien cela
<!T~i||| m
Article premier. Ne jouiront pas du droit d'éligibilité
aux deux Chambres législatives et ne pourront rester re
présentants ou sénateurs ceux qui ont été condamnés pour
les faits prévus daus la Section II Titre IX Livre II du
Code pénal.
Article second. La présente loi sera exécutoire le len
demain du jour de sa publication au Moniteur.
(Signé) J. Bara.