75. Jeudi, 15 Septembre 1887, JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT. 47e ANNÉE. 6 FRANCS PAR AN. PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE. Y près, le 14 Septembre 1887. La solution de la question sociale, si long temps et si vainement recherchée par tant d'esprits éminents, est enfin trouvée assurons la prédominance absolue de l'Eglise et l'huma nité sera délivrée, comme par enchantement, de toutes les difficultés au milieu desquelles elle se débat. Cette admirable découverte a été faite Liège et elle a été proclamée par tous les ora teurs. On la retrouve au début, au milieu, la fin de tous les discours. Lisez-les tous, ceux de la première, de la seconde ou de la troisième journée, ceux prononcés l'assemblée générale ou dans les sections, tous s'inspirent de la même Eensée l'Eglise seule peut nous délivrer de la arbarie socialiste qui menace de nous englou tir. Ces répétitions incessantes ne laissent pas que d'être un peu monotones mais peut-on sen plaindre quand il s'agit de notre salut en ce monde et en l'autre Pour bien marquer le caractère de la réu nion, M. Verspeyen a fait, le dernier jour, un discours sur le rétablissement du pouvoir tem porel du Saint-Siège. Qu'y a-t-il de commun, direz-vous, entre la souveraineté papale et la réglementation du travail ou l'assurance obli gatoire ou la lutte contre l'alcoolisme? De fait, ces questions paraissent absolument étrangères la situation politique de la Papauté. Avant l'incorporation de Rome l'Italie on a légiféré sur ces matières et on l'a fait depuis et la restauration du pouvoir temporel ne pourrait rien ajouter la sollicitude des pouvoirs pu blics pour les classes populaires. M. Verspeyen et ses auditeurs ne l'ignoraient pas. Mais ils n'étaient là que pour faire une manifestation politico-religieuse, et une excursion sur un domaine étranger au programme du congrès était dès lors chose naturelle. Dans un pareil milieu l'éloquence imaginée et chaude de M. Verspeyen devait avoir du suc cès l'orateur a recueilli les applaudissements de son auditoire. Lu tète reposée, son dis cours paraît bien faible et ses expressions peu heureuses. Le pape n'est pas libre, s'est-il écrié entr'autres il ne l'est que comme Daniel dans la fosse aux lions. Ce rapprochement fera sourire quiconque y apporte un instant de réflexion. La fosse de Léon XIII est, en effet, une habitation assez convenable. Nous nous sommes laissé dire qu'elle constituait un ma gnifique palais, contenant de superbes jardins, qu'elle était assez vaste pour loger toute une cour et môme une petite armée. Il y a de plus mauvais logis que celui-là, et nous connaissons )as mal de gens disposés abdiquer leur iberté, pour entrer dans la prison occupée par Léon XIII. S'il n'est pas roi, le Pape n'est pas libre, dit- on. Y a-t-on bien réfléchi Il ne suffit pas de porter la couronne pour jouir de la liberté. Le Îirince de Bulgarie doit en avoir déjà fait la âcheuse expérience. Un autre chef d'Etat, un potentat bien plus puissant que lui, se trouve dans une situation encore pire que la sienne. Le Czar de toutes les Russies ne peut mettre la tète hors de son palais sans être entouré de gardes. Léon XIII peut parcourir les rues de Rome, traverser l'Italie, voyager dans le monde entier, s'il lui plaît Alexandre III est tenu de se renfermer dans quelque résidence dont ses sujets ne peuvent approcher la plus dure, la plus intolérable des servitudes pèse sur lui. L exercice du pouvoir ne donne pas seul la sécurité et la liberté. 11 y faut encore l'affection, le dévouement de ses sujets. Léon XIII pour rait-il y compter On sait bien que non. On sait que son règne serait comme celui de ses prédécesseurs, menacé par d'incessantes con spirations. Pour étouffer celles-ci, il serait réduit faire peser sur ses Etats un despotisme brutal et provoquer des haines qui menace raient incessamment son autorité et même sa vie. Ce n'est pas ainsi, on en conviendra, que s'opérerait la réconcilalion du peuple avec la société moderne. A vrai dire, nous comptons bien peu sur le secours du catholicisme pour obtenir l'apaise ment. Certes, si elle voulait y travailler de con cert avec nous, sans arrière-pensée, l'Eglise pourrait, grâce sa puissante organisation et son énorme ascendant, réaliser un bien incal culable. Mais elle ne poursuit pas le même but que nous: la destruction de la misère. Elle veut atténuer les souffrances, les soulager mais non travailler efficacement les prévenir. Elles ont, en effet, leur source dans l'ignorance, l'impuis sance du peuple. Eclairer, fortifier les âmes, tel est notre remède ce ne sera jamais celui des catholiques. Le temps a déjà des frissons d'hiver. Le soleil pâlit et commence avoir le dessous des luttes avec le brouillard. Les jeunes hirondelles es saient leurs ailes pour un lointain et prochain voyage. Les théâtres se fardent, tandis que le public, effrayé par les incendies, réclame pour eux, des travaux plus sérieux qui les mettraient l'abri du feu. L'Europe cependant est, dit-on, sur un vol can et pendant que les optimistes dansent, banquettent, s'amusent, les pessimistes nous prédisent la guerre pour le mois de Mars pro chain sans préjudice aux éventualités que pourrait avoir, pour notre pays, la succession du Roi de Hollande, propos du Luxembourg. Puis l'hiver est mauvais au pauvre monde qui, s'il se plaint et se révolte en été, est en core plus plaindre pendant la mauvaise saison. Qui sait ce que l'hiver nous apportera dans les plis de son manteau Dieu veuille nous épargner ces fléaux. Mais si nous échappons la guerre, il est certain Îu'il y aura bataille en Belgique, alors que uin nous ramènera les chaudes effluves de l'été. Une lutte préparatoire aura lieu, le mois prochain, dans nos 2566 communes. Or, dans notre pays, la commune est quelque chose comme un petit Etat, dont les décisions ont un grand poids dans la balance générale. La commune y est jalouse de ses droits, et le joug clérical commence lui peser. Elle se rappelle le temps où ses devanciers élevaient leurs beffrois pour faire parler leurs cloches plus haut que celles des temples. Aujourd'hui c'est coups de votes qu'on affirme sa supério rité. Mais il y a parfois des votes frelatés, so phistiqués, comme il y a des cloches félées. Nos adversaires ont fait un usage immodéré de tous les deux, quant au public il est lasse d'entendre jouer faux. Il s'apprête donner une leçon aux maîtres de chapelle. On parle souvent, et avec raison, de la triste situation de certaines classes d'ouvriers, mais ce que l'on ne dit pas assez, parce qu'on ne le sait pas toujours, c'est le dénuement auquel seront réduits une quantité de citoyens, qui battent le pavé des grandes villes, sous une mise relativement decente. Ces citoyens-là souffrent avec un courage stoïque, mais s'ils se réunissaient pour faire entendre leurs plaintes, on reculerait épouvanté devant cet abîme de misères. 11 y a trois mois, une place modeste, pour ne pas dire humble, s'ouvrait au département des chemins de fer. On demandait un agrégé, c'est dire un employé 700 francs, révocable volonté. L'agrégé, en effet, n'entre pas dans les cadres. C'est un auxiliaire temporaire au bout d'un ou deux ans, selon les besoins de l'adminis tration, ou lui donne congé, sans un sou d'indemnité. 11 est d'ailleurs prévenu, il sait que sa position est précaire et que son maigre traitement peut lui échapper tout moment. Eh bien, sait-on combien il s'est présenté de candidats pour cette place? Sept cents. Nous écrivons 'ce chiffre avec douleur. Sept cents citoyens en habit noir qui de moins pau vres qu'eux demandaient peut-être l'aumône dans la rue, sept cents de ces faméliques la tenue décente se sont rués sur cet emploi infime et sans avenir. Et dans ce nombre, il y avait cinquante avocats et autant d'ingénieurs 1 Nous garantissons l'authenticité absolue du fait. Mais ce n'est là qu'un exemple on en verrait d'autres si les bureaux du ministère pouvaient parler on ferait une montagne des pétitions déchirantes que l'on y reçoit tous les jours. Combien de ces infortunés ont dû lire, avec un sourire navré, certaines déclamations contre l'infâme bourgeois? Nous en connaissons un qui a pu les entendre dans des meetings où il était de garde. C'était un avocat, un jeune avocat ayant terminé ses études aux prix de mille privations, et qui avait dû, pour ne pas mourir de faim, accepter une place d'agent de police Bruxelles 1 II est resté quelques mois dans l'administration, mais sa santé s'étant ébranlée, il s'est trouvé heureux d'avoir quel ques écritures faire chez lui. 11 est devenu copiste, trois centimes la page c'est le prix Après tant de rêves d'avenir, tant de jeunes illusions, après des études poussées avec fièvre, des veilles sans nombre, après tant d'efforts et de sacrifices la mansarde où l'on pleure entre quatre murs nus, la croûte de pain obtenue par un labeur de forçat... N'est-ce pas lugubre (PréT.) LE PROGRES VIRES ACQUIRIT EUNDO. ABONNEMENT PAR AN: Pour l'arrondissement administratif et judiciaire d'Ypres, fr. 6-00. Idem. Pour le restant du pays7-00. tout ce qui concerne le journal doit être adressé l'éditeur, rue au Beurre, 20. INSERTIONS Annonces: la ligne ordinaire fr. 0-10 Réclames: la ligne, fr. 0-28. Insertions Judiciaires la ligne un franc. Pour les annonces de France et de Belgique s'adresser l'Agence Havas, Bruxelles, 89, Marché aux Herbes. 'tceoeCCCt«u—xj

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Le Progrès (1841-1914) | 1887 | | pagina 1