SUPPLÉMENT AU PROGRÈS DU 10 JANVIER 1892. Nos parlementaires. Un arrêté royal a promulgué Mercredi la loi inique donnant le coup de grâce aux institu teurs en disponibilité par suppression d'emploi. Le ministère vient donc de satisfaire toutes les rancunes cléricales. On se fera difficilement une idée de ce que cette nouvelle aura de douloureux pour de nombreuses familles qui, dans un avenir pro chain, se verront privées de leurs dernières res sources. Cette loi est une honte pour la Belgique puis qu'elle frappe des citoyens qui n'ont eu que le seul tort d'être restés fidèles leur serment. M. PFAU SLINGENEYER. Les modernes traitent aujourd'hui leurs ar tistes célèbres comme jadis les Egyptiens trai taient leurs rois. Avant d'aller dormir leur der nier sommeil au fond des hypogées, empaillés, cerclés de bandelettes et farcis d'aromates, on les laissait quelque temp3 en vedette la porte de leurs tombeaux les générations qui les avaient connus, devançant la postérité et rem plissant le rôle de l'histoire, instruisaient leur procès et prononçaient l'arrêt suprême qui leur accordait ou leur refusait les honneurs de l'apot héose. Aujourd'hui, quand un peintre en vogue, un sculpteur de renom, un graveur la pointe charmante, s'en vont chercher la paix dans un monde meilleur, un comité plus ou moins désin téressé se forme, recueille partout les œuvres importantes du défunt, dans les musées publics, dans les collections particulières, chez les amis, chez les marchands dans le cabinet des amateurs, et il organise une exposition suprême qui nous permet d'embrasser et de suivre l'ensemble de toute une vie. Quand M. Slingeneyer quittera cette Vallée de larmes et de pfausse peinture, éventualité qui n'a rien d'offensant pour ce frand homme, il peut être certain et c'est éjà une consolation qu'il n'occasionnera pas ces ennuis et ces tracas ses contemporains. Si quelqu'un au monde pouvait concevoir un jour la sinistre pensée de réunir en tas, fin d'exposi tion, les crimes peinturlureux de Maître Slinge neyer, il mériterait hic et nuncsans débat, un emprisonnement perpétuité. Au reste, cette éventualité n'est pas redouter depuis long temps les pouvoirs administratifs et les com missions médicales spécialement, ont voté des règlements qui défendent ce genre d'attentats la santé publique. C'est Loochristy, une petite bourgade sise deux lieues de Gand, sur la route d'Anvers, entre Destelbergen et Beirvelde, empotée dans le cléricalisme, qu'est né M. Pfau Slingeneyer. Loochristy n'a jamais suffisamment apprécié l'honneur que les dieux lui avaient réserve en lui confiant le soin d'écouter les premiers vagisse ments de l'homme qui devait un jour couvrir de grande peinture historique la superficie de plu sieurs cantons de notre territoire national. L'é vénement s'est produit en 1823. M. Pfau Slinge neyer vulgo Ernest, donc aujourd'hui soixante- huit ans, l'âge où la palette tremblotte et où le pinceau zizague. Après des études dont les histo riographes de l'époque signalent toutes les éta pes, car en ces temps reculés de critique sim- plotto, lea débuts du jeune peintre, de Loochris ty avaient pris l'Ecole des Beaux-Arts des pro portions sensationnelles. Slingeneyer,. qui eut Wappers pour maître, exposa en 1842 le Ven geur. Quelque singulière que puisse paraître cette affirmation aujourd'hui, après les Derniers jours d'Herculanum, le pot de confitures de gro seille exhibé par M. Slingeneyer en 1883, il faut rendre hommage la vérité et dire que le Ven geur était un bon tableau. Dans le goût de l'épo que évidemment, avec l'épanouissement de cette bonne naïveté qui prenait la boursouflure et la solennité pour de la grandeur, et transformait les de Biefve, les de Keyzer, les Decaisne, etc., en autant de Michel-Ange incompris. Mais le Vengeur était de la sage école de Wappers la toile valait par le dessin, la composition. Le co loris même était assez riche. Cette œuvre fut exposée d'abord, Anvers, Paris, puis La Haye, enfin achetée pour le Musée de Cologne qui la possède encore. Elle méritait le succès qu'elle obtint. Le Vengeurmalheureusement, n'eut pas de lendemain. Immédiatement après M. Pfau Slin geneyer inaugura l'invraisemblable série de ma chines qui lui assureront une place spéciale dans l'histoire de l'art belge, un peu au dessus de la firme Devriendt frères, mais très en dessous de l'illustre enlumineur anversois Vanderouderi- dera. Dans l'ordre chronologique des méfaits perpétrés par l'honorable député de Bruxelles, on compte la Mort de Classicus que s'est offerte la Hollande. les Syndics de Rembrandt récla mant un pendant la Mort de Jacobsonla Mort de Nelsonune trilogie cadavérique qui, réunie, donnerait la jaunisse au roi de Birmanie lui- même. Les événements de Lépante fournirent M. Slingeneyer plusieurs montures du même sac d'abord la Bataille elle-même qui se trouve au Musée moderne, cette étourdissante toile de six ares de superficie, dont tous les personnages semblent avoir une petite bougie allumée dans la tête, tellement leurs crânes sont brillants, étincelants, illuminatifs puis le Don Juan après la bataille de Lépanteremisé au palais de la Na tion, dans une des salles de commission, et que M. Malou vint contempler le 7 décembre 1883 au matin, le lendemain de l'incendie, disant de l'air douloureux et férocement ironique qu'il savait si bien prendre Mon Dieu Il a résisté Naturellement, ajouta quelqu'un, il est en zinc. Notons encore, dans ce Livre d'or, la Bataille de Broumershafen, un Episode de la Saint Barthélé myles Martyrs du feu une joyeuseté incompa rable VArrestation du comte de Crécyet enfin les deux immortels chefs-d'œuvre le Camoëns et les douze toiles douze, oui monsieur du Palais Ducal. Cette dernière entreprise, dont la vue rendrait M. Yandenpeereboom spirituel et gai s'il se décidait passer une demie-heure par semaine dans la grande salle des Académies, a donné lieu une de ces aventures qui ne sont possibles qu'en Belgique, pays où l'on voit, par exemple, uu sculpteur chargé depuis quinze ans des bas-reliefs destinés la statue de Godefroid- de-Bouillou, s'obstiner ne rien livrer au gou vernement qui l'a payé par avance. A propos des douze toiles Slingeneyer, il se produisit cette chose inouïe que le premier travail ayant été ju gé abominable, le gouvernement accorda un subside nouveau et important l'artiste pour retoucher, remanier, améliorer son œuvre... si possible Evénement qui ouvrit des horizons nouveaux certains quémandeurs, sûrs désor mais que le bénéfice utile di'une commande est en raison directe de la mauvaise qualité de la peinture. Mais le Camoëns marque la grande période, l'apogée de la carrière de M. Slingeneyer. L'é- closion de ce phénomène ne fut cependant ac compagnée d'aucun des signes extérieurs qui marquent les grands bouleversements de la na ture. La lune ne s'obscursit point, les étoiles restèrent leur place, aucun tombeau ne s'en- tr'ouvrit. Camoëns apparut tranquillement, vers 1874, la cimaise d'une exposition, aux applau dissements des populations émerveillées, accou dé son rocher, d'une belle couleur ventre de puce en fièvre de lait, l'œil glauque d'une carpe de Fontainebleau le jour des Adieux la Vieille- Garde, pieds nus. En quelques jours, une hila rité énorme, inextinguible, gagna les extrémités les plus reculées de nos neuf provinces. Un seul détail parut détonner dans le joyeux ensemble les pieds nus du héros. On fit délicatement com prendre Slingeneyer qu'il était invraisemblable que Camoëns, homme, généralement bien élevé, eut ainsi exhibé ses extrémités sur la terre étran gère. Aussi, l'exposition suivante, nouvelle ap parition de Camoëns, celui-ci en bottes Ce fut un délire dans tou8 les ateliers. Certains jeunes Seintres moururent subitement, un critique d'art evmt fou, le serpent de mer réapparut dans les colonnes du Bien Publicune femme âgée accou cha devant le tableau... Aujourd'hui, triste re tour des gloires d'ici-bas, le Camoëns aux bottes se trouve consigne, conservé dans l'atelier même de Bastien Slingeneyer, rue de Verviers. Seule ment, les bottes ont fait place de superbes chaussettes rayées. Le Maître exhibe volontiers ce fin morceau ses fidèles, et dit avec une poin te de mélancolie résignée Le voilà Ils ne l'ont pas compris Nous sommes heureux de pouvoir révéler cette occasion que le Camoëns sera légué par l'au teur au Musée communal de Loochristv. La carrière politique de M. Slingeneyer, est connue. C'est le 3 Juin 1884 que le Journal de Bruxelles, un peu embarrassé lui-même apprit aux populations ébouriffées, la candidature par lementaire de l'auteur du Camoëns. Dans son nu méro du 3 juin, notre confrère se crut obligé de donner une biographie du Maître. Ce fut court, comme les prières avant les bons dîners a Un de nos aVtistes les plus connus en Belgique écrivait-il, et l'étranger. Auteur de toiles qui ont leur place dans l'histoire de la peinture en Belgique... Dans l'histoire comique, évidem ment. A la Chambre, M. Slingeneyer s'est con stitué le protecteur aimable, plein d'affabilité réelle et de bienveillance, des jeunes peintres en quête de commandes. Il a émis dans les dis cussions des observations souvent justes sur l'en seignement de l'art, et qui devraient être comp tées son actif, si une épouvantable mésaventure n'avait démontré que 1 honorable cordonnier du Camoëns pige loisir les meilleurs auteurs pour fabriquer les meilleurs harangues esthétiques. On découvrit ainsi qu'un discours jugé char mant, bien pensé, bien écrit, applaudi, prononcé par M. Slingeneyer la Chambre, avait été litté ralement emprunté par l'auteur M. Pfau un critique de notoriété. Le mauvais jour que celui où cette pfausse tuile tomba sur cette pauvre tête Pas méchant du tout, M. Pfau Slingeneyer, si ce n'est, naturellement, pour les confrères qu'il croit ses concurrents directs. Lui, qui ignore la réalité, le coloris la belle pâte, le morceau large ment traité, qui n'en a nulle idée, et enlumine avec la placidité touchante d'un contre-maître d'Epinal des compositions bizarres vaguement dessinées, ii a toujours été terrible pour ceux de ses collègues ayant les qualités qui lui man quent le plus Cet usinier de la peinture histori que, qui aurait obtenu un certain succès dans la décoration des établissements de natation sous les Mèdes et les Perses, jouit de l'admiration incontestée des puissants critiques de la droite cléricale. Lorsque la Chambre tenait ses séan ces au Sénat, il régnait dans les couloirs plus d'intimité, plus de cordialité que dans les vastes locaux du Palais reconstruit. On se groupait en petites confréries amicales pour bavarderàl'aise, pendant que les Kervyn de Lettenhove sévis saient l'intérieur. Slingeneyer était toujours le centre d'un de ces clubs parlementaires. Il y re cevait du maître avec une supériorité satis faite très drôle voir. Feu Bouvier avait le ta lent de le mettre en grande colère. En l'aperce vant, le joyeux député de Virton avait toujours un An Mes-Bottes bon enfant et gai, par ticulièrement soigné. Ce qui nous rappelle les nombreuses plaintes adressées jadis par M. Slingeneyer la police de Bruxelles contre les enfants de l'école proche de son atelier, qui, durant les recréations, charmaient volontiors les oreilles du peintre par l'air Chez lui, domicile, Slingeneyer est jovial, ac cueillant, populacier, prometteur et promettant tout le monde. Il a des poignées de main éner giques et électorales soulignant des C'est en tendu convenu C'est comme si vous l'aviez J'en fais mon affaire qui émerveillent les sol liciteurs débutants. Un peu Numa Roumestan, sous ce rapport. Partage avec Mlle Beernaert l'influence suprême dans les coulisses artistiques actuelles. Arpente le boulevard du Régent tous les jours midi, étonnant par la verdeur de son allure, marchant autant des mains que des pieds. Une petite voix de fausset, chantonnante. Des yeux mobiles et fins. Meissonier aimait le tarabuster. Lors de l'Exposition internationale des beaux-arts An vers, pendant les opérations du jury, il l'appe lait tout instant d'un bout de la salle l'autre Hé monsieur Slaingenaiya.re A l'un de ses passagesà Bruxelles, on conduisit l'auteur de la Rixe au Musée moderne, dans la salle où se trouve la pyramidale Bataille de Lé pante. Meissonier considéra le morceau, puis Slamgenaiyaire, dit-il, a toujours fait de la peinture sur une grande échelle. Il a des boites, haslieo {Etoile Belge).

HISTORISCHE KRANTEN

Le Progrès (1841-1914) | 1892 | | pagina 5