55e ANNÉE.
25 Mai 1895.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
La future Chambre.
l\° 42. Jeudi,
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PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
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et 2, me'de l'Enseignement, Bruxelles.
Ypres, le 24 Mai 1893.
Pour qui a assisté, comme nous, pendant de
longues années aux élections la campagne,
l'espoir d'un grand, d'un radical changement
naît dans les cœurs.
Nous voyons encore le futur Représentant
passer dans la localité, visiter avec force sala
malecs les huit quinze fermiers, électeurs gé
néraux dont il venait demander la voix il
caressait les enfants, faisait force compliments
Madame, très, très honorée de la familiarité
de ce bon M. le baron. On parlait chevaux,
bœufs, cochons, récoltes, on promettait des
places, des honneurs,de la pluie, du beau temps,
du beurre et du fromage, puis on s'en allait re
commencer dans un autre village.
Le candidat libéral avait bien soin d'égaler
son concurrent en obséquiosité -, il était de la
prudence du serpent, se gardait bien de froisser
en quoi que ce soit les convictions religieuses si
respectables de ses électeurs. Seulement, le soir,
l'auberge, quand on avait réuni autour de soi
quelques fidèles, libéraux ardents qui auraient
voulu cesser de piétiner sur place, oh alors, on
se déboutonnait. On soupait d'un curé, on dé
jeunait d'un chanoine... quitte, la Chambre,
voter des augmentations aux curés et créer de
grasses prébendes aux chanoines.
Que nous en avons connus, de ces bons far
ceurs l'eau de rose, la gueule tour tour
pleine de paroles mielleuses ou de crocs formi
dables suivant les circonstances et les moments
Hommes vides d'idées, la cervelle raccornie,
mais au cœur plein de sollicitude pour leurs
intérêts matériels.
Et au jour de l'élection, nous voyions partir
pour le chef-lieu d'arrondissement ces doûze
faces rougeaudes, épanouies au-dessus de leur
grosse cravate et de leur blouse bleue, la bou
che fendue jusqu'aux oreilles la pensée du
festin de Gargantua qui les attendait.
Le soir, ils revenaient, pleins comme des
outres, la voix haute et avinée, la jambe lourde,
jurant, buvant toujours sur le compte de l'élu.
Et souvent, M. le curé se mêlait aux groupes,
et il n'était ni le moins allumé, ni le moins âpre
continuer la ripaille.
Las las ce beau temps est passé, et il ne
suffira plus de quelques tirades bien senties, de
quatre paroles banales pour conquérir les voix
de tous les citoyens de 25 ans Il y a parmi
ceux-là beaucoup de victimes de l'état social
actuel, petits cultivateurs, fermiers tondus par
leurs maîtres, ouvriers agricoles, menuisiers,
cordonniers, maréchaux-ferrants, etc., autre
ment indépendants que les anciens censitaires et
qui bien certainement ne se contenteront plus
d'une brabançonne sur la prospérité de la pa
trie, nos soixante années de paix, la couleur
rosée de l'avenir et autres balançoires qui for
maient trop souvent le bagage de nos élus
d'autrefois. Que dis-je c'était là leur plus sûr
moyen de réussir.
Nos honorables vont donc avoir s'occuper
des questions qui intéressent directement les
déshérités. Que faire pour améliorer les baux?...
pour arriver une amélioration de la terre tout
en permettant au loueur de ne pas donner ses
peines, ses sueurs perte
Comment améliorer le sort des travailleurs
agricoles dont un grand nombre ne gagnent que
50 60 centimes par jour en hiver Que leur
raconter de l'armée, des impôts actuels
Et dire que tous ces gens vont être visi
tés, instruits par les socialistes et les progressis
tes, et que lorsqu'on viendra leur pruposer les
emplâtres qu'on a mis jusqu'à présent sur les
jambes de bois, ils vous enverront lanlair Et
ils raisonneront, et ils demanderont des engage
ment formels, et ils feront rendre compte des
votes dont ils ne seront points satisfaits Il n'y
aura donc plus prendre cenme panacée un
produit quelconque débité daus un journal par
un marchand d'orviétan politique plus quelcon
que encore
11 faudra lire les œuvres des De Laveleye, des
Hector Denis, des De Greef, des De Paepe, des
Bebel, même
Ah non par exemple Zut alors M. le baron
n'en est plus, dans ce cas J' vous d'mande un
peu, mon bon quand donc alors qu'y trou-
v'rait 1' temps d' s'occuper d'Mirabelle et des
courses, et des chiens, et des pigeons Ya-t-en
voir s'il vient, sœur Anne Tant que la politique
a été facile et joyeuse, qu'on pouvait faire de
bons petits séjours Bruxelles, y avoir sou petit
nid bien chaud et bien douillet, ou était l'hom
me Mais du moment que c' n'est plus pour la
blague parlementaire, et qu'y faudrait s'occuper
de tas d' gueux qu' ces imbéciles ont eu la
stupidité de faire électeurs, Msieu le Bâron vous
fiche son billet Il en a assez de ces sacrés types
d'élus et d'électeurs qui rêvent d'évolutions ou
de révolutions. Oh là là ma sœur Il y perdrait
son avant-dernier cheveu, et il y tient, son
cheveu... pas dans sa soupe. Tiens tiens il a fait
un bon mot, le bâron C'est donc que la vie
aura encore de la joie et des jours de folie Et
il envoie la politique tous les diables.
Du reste, on lui aurait confectionné une buse
colossale, et il n'aime pas ces. accidents-là, le
brave fils de croisé.
Telle est bien notre conviction donc, qu'une
foule, que la grande majorité de nullités actuel
lement la Chambre vont disparaître, fondre
comme par enchantement au feu des discus
sions sérieuses, au vent de réformes qui va souf
fler partout, la poussée de justice qui briserait
tous les obstacles s'il s'en présentait.
Place ceux qui ont étudié nos institutions,
qui en ont vu les défauts. Place aux travailleurs,
place aux savants, place ceux qui, mettant de
côté leurs intérêts, veulent plus de bien-être
pour leurs frères tenus trop longtemps au bas de
l'échelle.
Et nos mesquines discussions de personnes, de
places, les critiques absurdes, les demandes de
subsides n'absorberont plus le meilleur du temps
de nos législateurs. Les lois seront étudiées
fond les institutions sociales créées les grands
intérêts comme ceux de l'enseignement, dos
chemins de fer, des travaux publics soustraits
aux caprices politiques des ministres qui se suc
cèdent le crédit agricole, industriel aura ses
institutions.
Et les bârons rageront, et ne comprendront
rien aux nouvelles mœurs.
C'est idiot, diront-ils. Ma bonne, Mirza, Tou
tou, venez tous. Allons souper, car pour un peu
on userait ses facultés penser toutes ces
rêvasseries.
r»KK>auaac»n.
On ne voit plus aujourd hui la presse cléri
cale prétendre, comme elle le faisait encore,
il n'y a pas un an, que le socialisme était fils
du libéralisme et que le meilleur moyen de
détruire la grande hérésie du jour était de
ramener le monde dans le giron de l'Eglise.
Cest qu'aujourd'hui celte thèse est devenue
absolument insoutenable, en presencedu mou
vement socialiste ou quasi socialiste qui se
manifeste dans le camp clérical.
Ce n'est pas dans le code du libéralisme que
les apôtres de la démocratie chrétienne vont
chercher leurs inspirations ils invoquent
même le Pape et son encyclique Rerum nova-
rum c'est aux sources du christianisme qu'ils
vont puiser.
Il est vrai que leurs contradicteurs leur ré
pondent textes sacrés textes sacrés, Léon
XIII Léon Xlll, mais il n'est pas moins évi
dent que la thèse cléricale d'il y a un an est
détruite par le fait, et qu'il n'est plus permis de
représenter aujourd'hui I Eglise comme le meil
leur rempart contre linvasion des socialistes.
Il en est même parmi ceux qui le prétendaient,
qui sont passés, armes et bagages, dans le
camp des Philistins.
On annonce, sans doute dans l espoir d'en
rayer le mouvement et de rétablir un peu
d'unité, l'intervention même des évêques
mais ceux-ci ne peuvent, péril de se mettre
en contradiction avec le Saint-Siege. que
répéter le langage et les instructions ambiguës
de lencyclique, et dès lors il faut s'attendre
voir se perpétuer les disputes.
Il sera exact de dire que les doctrines écono
miques de l'Eglise pour le moment du
moinsressemblent singulièrement au sabre
glorieux de M. Prud'homme et qu'elles servent
défendre la société et au besoin la com
battre.
Mais dans quel désarroi doivent se trouver
les bonnes âmes qui cherchent consciencieuse
ment s'orienter dans ce chaos de théories
catholiques, où le pour et le contre se heurtent
et s'entrechoquent continuellement.
LE PROGRÈS