N° 75. Dimanche,
55e ANNÉE.
10 Septembre 1895.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Au travail.
Mœurs électorales.
Une supplique suggestive.
L'Europe.
6 FRANCS PAR AN.
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE.
Ypres, le 9 Septembre 1893.
La revision est faite et le Roi ne tardera pas
la promulguer. Un an nous sépare des élec
tions législatives, celles-ci ne pouvant avoir lieu
en Juin prochain, la loi électorale n'ayant pas
été discutée en temps voulu.
Un an Ce n'est pas trop pour permettre au
parti libéral de se réorganiser et de se préparer
au nouveau régime électoral. Tandis que les
cléricaux, depuis deux ans, n'ont cessé d'avoir
en vue l'échéance prochaine, créant des cercles
ouvriers, des associations cléricales, des comités
agricoles, des fédérations ouvrières, des coopé
ratives, etc., répandant la presse bien pensante et
faisant une propagande active et incessante,
les libéraux se sont croisé les bras, absolument
comme si leur rôle était terminé.
Or, les élections françaises viennent de le dé
montrer encore, le suffrage universel s'il n'est
ni dédaigné, ni abandonné des influences cer
taines, se porte vers le parti de la liberté et de
la modération, condamnant ensemble les conser
vateurs extrêmes, les socialistes et les radicaux
pointus.
Mais il faut pour cela le cultiver intellectuel
lement, afin qu'il donne la moisson désirée.
Aux libéraux accomplir leur devoir sans
tarder, préparer l'avenir, en réorganisant leurs
associations qui ne répondent plus du tout aux
nécessités de la situation présente, en faisant
surgir des ligues ouvrières capables d'être les
meilleures alliées du drapeau bleu, en fédérant
sous ses plis les forces de la bourgeoisie et du
peuple, fidèles au libéralisme.
Les ouvriers comme les bourgeois sont divisés,
et certes beaucoup restent attachés aux idées
d'ordre et de liberté, répudiant celles du collec
tivisme. Les cléricaux s'efforcent de s'emparer
de cet élément si vivant et si intéressant de la
classe ouvrière. 11 faut les empêcher d'arriver
ce résultat en liguant l'armée libérale cette
armée nouvelle qui lui insufflera un sang nou
veau et jeune.
Le futur programme des libéraux tenant
compte de cette alliance, qui lui donnera la force
de vaincre, fera une large part aux réformes
annoncées, tout en évitant la réglementation
outrance, sœur du collectivisme.
Et grâce cette réorganisation fandamentale
des associations et du programme initial, secon
dée par la création de ligues ouvrières libérales
grâce l'union de tous les modères et de tous les pro
gressistesrépudiant les éléments extrêmes, les
élections prochaines peuvent être aussi favora
bles aux libéraux qu'elles viennent de l'être aux
républicains en France.
Au travail donc avec zèle, activité et espoir,
afin que l'avenir ne soit ni aux cléricaux, ni aux
socialistes.
Au moment où le suffrage universel, lesté de
pluralité, va être introduit en Belgique, il n'est
pas sans intérêt de constater où en est la France,
après 40 ans de pratique du suffrage universel.
Nous lisons dans le grand journal parisien, le
Tempsconnu pour sa réserve et sa modération
autant que pour son dévouement la cause ré
publicaine
Il était temps que cette période électorale prit
fin. A mesure qu'elle avançait, le sérieux des
discussions politiques diminuait de jour en jour
et les violences de toute nature allaient crois
sant. Hier soir, Paris et en province, comme
on était sans doute un peu partout bout d'ar
guments et de patience, on a échangé force ho
rions. Les réunions publiques sont devenues des
champs clos où, quand on s'y risque, il importe
beaucoup plus d'avoir de forts poings qu'une
grande éloquence.
Dans ces conditions, alest-il pas clair qu'un
hercule de la foire est plus apte briguer une
candidature Paris que Mirabeau, Thiers ou
Gambetta
Au lieu de discuter ses idées, son programme
ou ses votes, on trouve plus commode de diffa
mer son adversaire et de le faire passer pour une
canaille. Ainsi conduites, les élections ne sont
plus des luttes d'honnêtes gens, ce sont des com
bats de Peaux-Rouges, des guet-apens où bien
tôt personne ne voudra plus se risquer.
Craignons qu'un temps ne vienne où il sera
presque impossible de décider un honnête hom
me, raisonnable, d'ailleurs, descendre dans ce
cirque de bêtes fauves. Ces mœurs ont tué déjà
la liberté de réunion que nous avons eu tant de
peine conquérir et qui ne sert plus rien.
Elles peuvent tuer la longue des choses plus
précieuses encore.
C'est Paris et Draguignan que les élections
ont donné lieu aux luttes les plus passionnées,
avant le scrutin de ballottage.
Les réunions publiques sont devenues impos
sibles d'un côté, on les agrémente de violences
et parfois de guet-à-pens de l'autre.
En contemplant ce triste spectacle, n'est-il
pas permis de se demander où nous mènent en
Belgique l'imprévoyance, la faiblesse et l'inex
périence de ministres qui nous ont fait passer
d'un régime électoral très restreint au suffrage
universel sans transition et sans préparation
L'instituteur communal de Sorée, une petite
localité de la province de Namur, vient d'adres
ser au Roi la supplique qu'on va lire
Sire,
Je soussigné, instituteur communal Sorée,
province de Namur, prends la respectueuse li
berté de vous faire connaître ma pénible situa
tion.
La commune où j'enseigne est ruinée, la caisse
communale, toujours vide. Différentes mesures
ont été prises, pour remédier cet état de cho
ses, par les autorités communale, provinciale et
supérieure, n'y apportant cependant aucune so
lution, car vingt mois de traite
ment d'école primaire et d'école <Tadultes ne
m'ont pas été payés la date de ce jour, soit dix-huit
cents francs.
Ce traitement est ma seule ressource. Depuis
longtemps, il me fait défaut aussi ai-je dû em
prunter continuellement. Maintenant, Sire je
n'ai plus de crédit
J'ajouterai que ce déplorable gâchis se com
plique encore de la démission de tout le Conseil
communal.
Sire après avoir frappé, en vain, déjà tant
de portes, j'ai recours vous pour obtenir jus
tice, mon pain quotidien.
J'ose espérer que mon appel sera entendu.
Je suis, avec le plus profond respect,
Sire,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
LANDENNE LÉON.
Sorée, ce 4 Septembre 1893.
Cette lettre jette sur la question scolaire un
jour sinistre. Le gouvernement ne s'est-il pas
plu maintenir le gâchis pour ruiner ce mal
heureux instituteur En vérité, n'était-ce pas
Pantalon intervenir et exiger que l'on
solde cet infortuné le traitement qui lui était
dû
La conscience de tous les citoyens répondra.
L'Europe offre actuellement un spectacle uni
que dans l'histoire des siècles. Depuis vingt-
deux ans elle ne cesse de se préparer la
guerre, poussant les armements jusqu'aux limi
tes extrêmes, faisant surgir de toutes parts de
puissantes citadelles, doublant, triplant, qua
druplant les forces maritimes, et donnant cha
que homme un fusil.
Depuis vingt-deux ans les peuples silencieux
sont en armes, attendant le clairon de la mo
derne Nérnésis pour se heurter dans un choc for
midable et suprême. Divisés en deux camps qui
s'équilibrent, ils s'observent, comptant leurs
soldats, entassant corps d'armée sur corps d'ar
mée, jetant des milliards en préparants belli
queux, bref, se ruinant maintenir une paix
qui leur coûte aussi gros que la guerre.
Au fond, redoutant un sacrifice humain sans
précédent, une boucherie gigantesque, la dispa
rition brusque d'un million de jeunes hommes
arrêtant soudain le développement de l'huma
nité, ils ne désirent pas la rencontre laquelle
ils se préparent. Et les manifestations auxquel
les ils se livrent, qu'elles aient lieu Metz entre
Allemands et Italiens, ou Toulon entre Fran
çais et Russes, ont une portée pacifique, s'il faut
s'en référer aux déclarations des chefs d'Etat.
Pourquoi cette paix, dans le désir de tous,
proclamée cent fois par les potentats, ne serait-
elle pas maintenue par d autres procédés et
d'autres moyens? Pourquoi, réunis dans un
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ei 2, lue de l'Enseignement, Bruxelles.