\o 25. Dimanche, 56e ANNÉE 22 Mars 1896. JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT. Souvenirs d'antan. Travailleurs intellectuels. 6 FRANCS PAR AN. M. de Smet de Naeyer était administrateur de la Caisse Générale d Epargne et de retraite avant d'être ministre des finances. Nommé ministre, il a imperturbablement conservé sa place d'administrateur afin de pouvoir, le cas écbeant, jouir de nouveau des avantages qu'elle procure. Tel est le fait signalé par plusieurs de nos confrères libéraux. Que répond cela le Journal de Bruxelles Que le fait est exact en lui-même mais que le Conseil d'Administration de la Caisse d'Epargne n'a pas nommé un nouveau titulaire», et que d'ailleurs M. de Smet de Naeyer, n'ayant plus siégé dans le Conseil depuis qu'il est ministre, n'a plus touché de jetons de présence de ce chef. La réponse est mauvaise autant que mal adroite. Les fonctions d'administrateur de la Caisse d'Epargne le Journal de Bruxelles dit commissaire sans doute pour faire naître une certaine confusion dans les esprits ne sont pas conférées par le Conseil d'Administra tion. On en est investi par un arrêté royal contresigné du ministre des Finances. Il dépen dait donc exclusivement de M. de Smet de Naeyer dénommer un nouveau titulaire, et la responsabilité que le Journal de Bruxelles cherche rejeter sur le Conseil de la Caisse re tombe de tout son poids sur M. de Smet de Naeyer. Et quant aux jetons de présence, il n'eût plus manque que de les loucher et de cumuler ainsi deux fonctions et deux traitements con trairement aux règles formelles de la compta bilité de l'Etat. Au surplus et peut-être est-il opportun de le rappeler -- ce n'est point la première fois que I on s'occupe de M. de Smet de Naeyer et de ses fonctions d'administrateur la Caisse d'Epargne. Quand il fut nommé cet emploi par M. Beernaert en 1889, M. Neujean interpella le Gouvernement sur celte nomination et soutint justement quelle violait la Constitution puis que la place conférée un membre de la Lé gislature rapportait au fait un traitement an nuel de 4,000 francs. Un débat fort vif eut lieu la Chambre dans la séance du 7 Mai 1889 il se termina par le rejet de la motion Neujean naturellement. Mais M. de Smet de Naeyer, qui 1 eût cru fut vivement touché par l'argumentation serrée des orateurs de la Gauche. Huit jours après, le 14 Mai 1889, il déposait avec M. Tack, son collègue en fonctions et en traitement la Caisse d'épargné, un projet de loi portant dé fense tout membre de la Législature de rece voir des jetons de présence ou des allocations par suite d'un emploi la nomination du Gou vernement. Hélas, ce projet de loi fut relégué aux ou bliettes. Jamais plus il ne revit le jour en séan ce publique et, n'ayant môme pas fait l'objet d'un rapport, il tomba par suite de la dissolu tion de 1892. Ni M. de Smet de Naeyer ni M. Tack ne prirent la peine de le représenter. Bien entendu, cela ne les empêcha pas de tou cher leurs jetons de presence. Ne serait-ce pas le moment de ressusciter le projet en question Au milieu de toute la mauvaise besogne que I on fait la Chambre, il y aurait là, tout au moins, une tentative inté ressante. Vous comme moi sans doute, chers lecteurs, aimables lectrices, lorsque vous étiez encore assis sur les bancs de l'école primaire, vous avez, par vos petites impertinences, par vos cris, par votre entêtement, par vos grimaces enfantines, bien souvent fait crier, fait souffrir, sans le vou loir peut être, l'instituteur chargé de vous incul quer, après combien d'eliorts les premières notions de lecture. Avez-vous déjà songé aux difficultés que ce brave maître d'école a dû surmonter pour vain cre votre inertie, pour combattre votre légèreté, pour dégager un peu votre petit cerveau afin de pouvoir vous apprendre ces notions élémentai res qui vous paraissent aujourd'hui si simples l'a, b, c? En y réfléchissant quelque peu, vous direz avec moi que votre instituteur a dû déployer une bien grande activité et devait être doué de beaucoup de patience pour calmer les transports irréfléchis de votre jeune âge. En pensant bien, vous direz que nous oublions trop les services rendus par notre ancien éduca teur, que nous ne lui sommes pas assez recon naissant et que son métier est un métier ingrat. Vous direz aussi que la mission qu'il doit rem plir est une des plus nobles et des plus belles former le cœur de l'enfant et développer son in telligence pour en faire un bon citoyen. Cette tâche est malheureusement enrayée par une foule d'ennui3 et de tracas provenant de l'insouciance des uns, de la rancune des autres, ou ce qui est pire encore, de la persécution pro voquée par des sentiments frisant une politique mal comprise ou intéressée. Vous ajouterez aussi que beaucoup de person nes ne se rendent pas compte des dépenses intel lectuelles, matérielles et pécuniaires qu'a dû et doit encore faire l'instituteur s'il veut maintenir le rang qu'il occupe dans la société. Il faudrait être du métier et il faudrait plu sieurs causeries pour épuiser un pareil sujet, néanmoins, l'on peut affirmer que si cette pro fession est modeste, elle est très étendue et que son action a une influence non seulement sur l'individu mais encore sur les destinées d'une commune, d'une nation. Plus l'instituteur sera instruit, plus il connaî tra les méthodes pour enseigner avec fruit, plus l'enfant qui doit devenir un homme apprendra avec facilité, avec goût. Sensées sont donc les localités qui exigent un corps enseignant capable, mais cela ne suffit pas, il faut le soutenir pour qu'il ait de l'ascendant sur les élèves et le payer raisonnablement pour qu'il puisse faire face aux faux frais, pour qu'il puisse se mettre plus aisément au courant des progrès scientifiques. On est tous d accord, je crois, sur ceci un ouvrier qui produit du bon, qui rapporte beau coup 6on patron, doit être bien payé. Or, l'in stituteur est aussi un ouvrier, mais un ouvrier intellectuel donc si vous exigez de lui de gran des qualités, vous devez bien le payer. C'est aussi un préjugé de croire que le travail de l'esprit use moins l'homme que le travail ma nuel. Ce dernier fortifie l'individu, l'autre, seul, développe trop le cerveau, siège du raisonne ment et de la pensée il néglige trop les autres parties du corps. Le travail intellectuel ainsi en tendu est nuisible si pas dangereûx. L'institu teur se trouve dans ce cas. En effet après avoir été l'école du village, après avoir Buivi les cours normaux qui com prennent environ une vingtaine de branches, parmi lesquelles, la géométrie (8 livres), l'algè bre, la chimie, la physique, la psycologie, la pédagogie, la morale, la zoologie, la botanique, il atteindra sa majorité. Il n'a encore rien gagné, il a été la charge de ses parents et doit atten dre bien longtemps parfois pour qu'une place vacante se produise espérant l'obtenir sans ja mais en être certain Après démarches sur démarches, après avoir présenté diplôme de ceci, diplôme de cela, certi ficats, recommandations, etc., il parvient être nommé, il se met l'œuvre. Dans un local restreint, où l'air pur est insuffi sant, où grouillent, au milieu d'un mobilier sou vent démodé, usé et peu commode tous les bam bins du village, où règne une atmosphère mal saine résultant d'émanations de toute espèce, de transpirations, d'haleines fétides, le professeur doit parler quasi sans discontinuer, de huit heu res du matin quatre heures du soir pour un traitement dérisoire de mille ou douze cents frs. C'est une exploitation injustifiable, c'est l'ex ploitation d'intellectuels. Le mot est écrit, et je pense qu'il n'est pas ex cessif lorsque l'on saura qu'un sous-instituteur de mes amis a jusqu'à 80 90 élèves dans sa classe Ainsi donc, pour un salaire variant de 2 fr. 90 1 fr. 40 par jour, on exige des instituteurs pas tous, mais de la plupart et si ceux des villes sont plus avantagés, c'est qu'ils ont plus de fraiB un travail parfait, une tenue convenable, beaucoup de gentillesee, beaucoup d'intelli gence. C'est avec pareil traitement que l'instituteur devra se procurer des livres et des fournitures pour rédiger ses travaux de conférences, pour former des rapports mensuels et annuels qu'il devra nourrir sa famille, payer sa redevance pour sa pension viagère, faire partie des sociétés du village pour acquérir l'estime du bourgmes tre qui est brasseur et président du Cercle cho ral. C'est avec ce traitement seulcar il ne peut remplir aucun autre emploi rémunérateurqu'il devra payer les contributions de Ba maison, la quelle réclame beaucoup de soins, parce qu'elle est, soit humide, soit mal construite, soit négli gée par les autorités locales, soit aussi mal dis tribuée ou peu en rapport avec son gagne-pain. LE PROG PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE. TIRES ACIJUIRIT eundo. ABONNEMENT PAR AN: Pour l'arrondissement administratif et judiciaire d'Ypres, fr. 6-00 idem. Pour le restant au pays7-00 tout ce qui concerne le journal doit être adressé l'éditeur, rue au Beurre, 20. INSERTIONS Annonces la ligne ordinaire fr. 0-10 Réclames la ligne, fr. 0-25. Insertions Judiciaires la ligne, un franc. Les anyqnces son' reçues Pour l'arrondissement d'Ypres aux bureaux du Progrés Pour le restant de la Belgique et de l'Etranger, également aux bureaux du journal LE PROtIRÈS, Oïl traite forfait. Ypres, le 21 Mars 1896.

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Le Progrès (1841-1914) | 1896 | | pagina 1