Dimanche, 19 Mai 1901. Journal de l'Alliance libérale cT Ypres et de l'Arrondissement Kel igions el Religion. Vires acqurït euro. PRIX DE L'ABONNEMENT: pour la ville Par an 4 francs. pr la province Par an 4 fr. 50 Lellrc du Comte Tolsloï Oq s'abonne' au bureau du journal, eue oe Dixmltde, 53, Ypres. Les an nonces, les faits divers et les réclamés sont reçuà^oour l'arrondissement d'Y près, les deux Flandres, le restant de la Belgique et de l'Etranger, au bureau du journal Le Progrès ON TRAITE A FORFAIT Léon Tolstoï. A propos de la Loi sur les Assoeialious, L UNION FAIT LA FORCE. Ê'araissan! le Dimanche. Le grand écrivain comte Léon Tolstoï, excommunié par le Saint-Synode russe, vient de répondre ce décret par une lettre superbe qu'il communique aux journaux des deux mondes. En Belgique surtout, au lendema;n de l'acte de conscience accompli par l'ex-abbé Renard, elle sera lue avec le p'us vif intérêt. Car elle ne vise pas seulement l'Eglise or thodoxe russe elle constitue, en réalité, un formidable réquisitoire contre toutes les Eglises fondées sur des dogmes prétendu ment révélés et dont l'essence est d'être intolérantes ainsi que le disait du catho licisme romain le cardinal Consalvi. Et c'est avec pleine raison qup Tolstoï lui a donné pour épigraphe cette pensée de Coleridge a Celui qui commence par aimer le chris tianisme mieux que la vérité en arrive aimer sa propre secte ou s propre Eglise mieux que le christianisme et finira par s'ai mer lui-même mieux que tout, n a Le document du Saint-Synode, écrit l'excommunié d'hier, a provoqué contre moi, comme il fallait s'y attendre, la colère et la haine de ceux dont l'intelligence est obscure et incapable de raisonnement. Quelques-uns m'ont é.rit des lettres où leur fureur s'em porte jusqu'à me menacer de mort, a Te voilà maintenant voué l'anathèrne, tu se ras précipité, après la mort, dans les tour ments éternels et tu crèveras comme un chien... Anathè.ne sur toi, vieux démon... Sois maudit. Ainsi me parle un de ces hommes. Un autre reproche au gouverne ment de ne pas m'avoir encore enfermé dans un monastère et remplit sa le tre d'injures grossières. Un troisième écr it a Si le gou vernement ne te fait pas disparaître, nous saurons bien, nous-mêmes, t'obligir te taire. La lettre se termine par des malé dictions. a Pour t'anéantir, s. élérat, me dit un quatrième, je trouverai les bons moyens... r Suivent des invectives que la décence m'interdit de reproduire. Chez quel ques personnes que j'avais renco .trées, de puis que s'était répandue la nouvelle de l'ar rêté synodal,j'avais déjà remarqué les signes de cette violente colère. Le jour même où il fut publié, j'entendis, en passant sur une place, les paroles suivantes Voilà le diable, sous la forme d'un homme s>Et, si la composition de la foule eût été différente, il se peut bien que l'on m'eût roué de coups, comme ce malheureux qu'on assymrna, il y quelques années, près de la chapelle Pante- leïmonovskaïa. Quel est donc mon crime Ayant conçu certains doutes sur la vérité de l'Egliae, j'ai cru devoir consacrer plu sieurs années létude théorique et pratique de son enseignement, avant de la renier et de rompre avec uu peuple auquel me liait «n indicible amour. D'une part, je me suis eff 'reé de lire tout ce qui se rappor te cet enseignement, je me suis attaché l étude et l'examen critique de la théologie dog matique d'autre part, je me suis scrupu leusement conformé, pendant plus d'un an, toutes les prescriptions de l'Eglise, obser vant tous les jeûnes, assistant tous les offices. Et je me suis convaincu que l'ensei gnement de l'Eglise est, théoriquement, un mensonge astucieux et nuisible pratique ment, un composé de superstitions grossiè res et de sorcelleries, sous lequel disparaît absolument le sens de la doctrine chrétienne. Alors, j'ai renié l'Eglise J'ai cessé d'accom plir ses rites et, dans mon te tament, j'ai re commandé mes proches de ne donner accès auprès de moi, quand je mourrai, aucun représentant de l'Eglise, mais de faire dispa raître au plus vite mon cadavre, comme l'on fait d'une chose repoussante et inutile, afin qu'il ne soit pas une cause de gêne pour las vivants. Il est dit, dans l'arrê du Synode, que je r,ie i'existenee d'un Dieu en trois personnes, Créateur et Providence de l'univers qut je nie Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu fait homme, Rédempteur et Sauveur du monde, qui a souffert pour tous les hommes et pour leur salut, et qui est ressuscité d'entre les morts que je me la conception miraculeuse de Notre Seigntur Jésus-Christ que je nie la virginité, avant el après la naissance de son fils, de la Très Sainte Mère de Dieu. Oui, c'est vrai, je nie une trinité incompré hensible et la fable, absurde en notre temps, de la chute du premier homme, je nie l'his toire sacrilège d'un Dieu né d'une vierge pour racheter la race humaine, je nie tout cela, c'est vrai. Mais Dieu-esprit, Dieu- amour, Dieu unique principe de toutes cho ses, je ne le nie pas. Bien plus, je ne recon nais qu'en lui d'existence reelle, et je vois le sens de la vie dans l'accomplissement de sa volonté, dont la doctrine chrétienne est la plus haute expression. On dit encore que je ne crois pas une autre vie au-delà da la tombe, non plus qu'à l'éternité des peines et des châtiments Si l'on ne sépare pas la conception d'une autre vie de l'idée du a Jugement dernier s, d uu enfe." peuplé di démons où les damnés souf frent des tourments éternels et d'un paradis où les élus goûtent une perpétuelle félicité, il est très vrai que je ne crois pas cette vie dans l'au-delà. Mais je crois la vie éternelle et je crois que l'homme est récom pensé selon ses actes ici et partout, mainte nant et toujours. Je crois tout cela si fer mement qu'a mon âge, me voyant sur le bord de la tombe, je dois souvent faire un effort pour ne pas appeler de mes vœix la mort de mon corps, c'est-à-dire ma nais sance une vie nouvelle. E' je suis con vaincu que toute bonne action augmente le bonheur de ma vie éternelle comme toute mauvaise action le diminue. On dit que je nie tous les sacrements. Cela est parfaitement exact. Je considère tous les sacrements comme des sortilèges vils et grossiers, inconciliables avec l'idée de Dieu et renseignement du Christ, et, de plus, comme des transgressions des préceptes for mels de l'Evangile. Dans le baptême des nouveaux-nés, je vois une corruption du sens même que peut avoir le baptême pour des adultes qui embrassent consciemment le christianisme. Dans le sacrement du maria ge administré deux êtres qui se sont t'avance volontairement unis, dans l'admis sion de cas de divorce et dans la consécra tion donnée au second mariage de personnes divorcées, je vois des contradictions formel les l'esprit comme la lettre île l'enseigne ment évangélique. Dans le pardon périodi que des péchés, acheté par la confession, je vois une dangereuse illusion, qui ne peut qu'encourager l'immoralité et faire dispa raître t:.ute hésitation devant la faute. Dans l'extrême-onction et le sacre des souverains, dans le culte dos icônes et des reliques, dans toutes les cérémonies, prières et incanta tions fixées par le rituel, j« vois des pra'i- ques de grossière sorcellerie. Dans la com munion je vois une divinisation de la chair contraire la doctrine chrétienne. Dans la cano isation, je vois le premier acte d'une série d'impostures et, de plus, une trans gression de l'enseignement du Christ, qui a défendu qui que ce fût de se faire appe ler maître, père ou docteur. (Mathieu, XXIII, 8-10 Ou dit enfin, comme pour mettre le com ble mon indignité, qu'après avoir insulté aux obj'-ts Us plus sacrés de la foi, je n'ai pas craint ue diriger mes railleries contre le plus saint de tous les sacrements l'Eucharistie. Il est très vrai que je n'ai pas craint de déerre simplement et objective ment t 'US les actes qu'accomplit le prêtre pour la préparation de ce prétendu sacre ment. .Niais que cette cérémonie constitue quelque chose de sacré et qu il y ait sacrilè ge la décrire simplement, telle qu'elle est célébrée, cela est ab olumenl faux. Il n'y a pas sacrilège appeler une cloison une cloi son. et non pas un inconostase. nommer une coupe une coupe, et non pas un calice. Mais on commet uu sacrilège, et le plus hor rible, le plus revotant des sacrilèges, eu se servant de tous les moyens dont on dispose p ir "trorrîpêi- et Hypnotiser les gens, en profita it (le la simplicité des enfants et des hommes du peuple pour leur persuader que, si l'on rompt un morceau de pain d'une cer taine façon, en prononçant certaines paro les, et qu'on le mette ensuite dans du vin, la nature divine se communique ce mor ceau de pain; que le prêtre, suivant qu'il l'élève au nom d'un vivant ou .d'un mort, assure celui-ci une amélioration de son sort dans l'autre monde enfi.i, que qui conque mange ce morceau de pain reçoit dans son corps Dieu lui-même. Ne voit-on pas que tout cela est horrible L'enseignement du Christ est défiguré, transforme en une suite de grossiers sortilè ges bains, onctions, mouvement du corps, incantations, déglutition de morceaux de pain, si bien qu'il ne reste plus rien de cet enseignement. Et si quelqu'un s'avise de rappeler que toute cette sorcellerie, toutes ces prières, toutes ces messes, tous ces citrges, toutes ces icônes n'ont aucun rap port avec l'enseignement du Christ, que celui-ci commande seulement aux hommes de s'aimer Jes uns les autres, de ne pas ren dre le mal pour le mal, de ne pas juger, de ne pas tuer leur semblable, tous ceux qui profitent du mensonge éclatent en protesta tions indignées et, avec une au lace incroya ble, proclament publiquement dans leurs églises, impriment dans leurs livres, leurs journaux, leurs cathéohismes, que le Christ n a jamais défendu le jureiqent (serment), qu il n'a jamais défendu le meurtre (exécu tions capitales, guerres), et que la doctrine de la nou-résisteuce au mal est une inven tion, une ruse satauique des ennemis du Christ. Le p us hor. ible est que les hommes qui profitent du mensonge ne trompent pas seulement les adul.es, niais que, profitant du pouvoir qui leur est donné, ils induisent en erreur les enfants eux-mêmes, les enfants dont le Christ a dit que celui-là seiait mau dit qui voudrait les tromper. N us pouvons, nous devons dénoncer ceux qui perdent les hommes par leurs men songes. S'il existe quelque chose de sacré, ce n'est pas leurs prétendus sa rements, mais cette obligation de dénoncer, dès que nous l'avons aperçue, leur imposture reli gieuse. Et ni leur grand nombre, ni l'an cienneté de leur superstition, ni leur puis sance ne sauraient imposer silence mon indignation, t Je crois, en D eu, qui est pour moi l'E-prit, l'Amour, le Principe de toutes choses Je crois qu il est en moi comme je suis en lu:. Je crois que la volonté d Dieu n'a jamais été plus clairement, plus nette ment exprimée que dans la doctrine de 1 homme Christ mais on ne peut considé rer Ciirist com.Tie Diou et lu; adress r des prières, sans commettre, mon avis, le plus grand des sacrilèges. Je crois que le vrai bonheur de l'homme consiste en l'accomplis sement de la volonté de Dieu je crois que la volonté de D eu est que tout homme aime ses semblables et.agisse toujours envers les autres comme il désire qu'ils ag ssent en vers lui, ce qui résumé, dit l'Evangile, toute la loi et les prophètes. Je crois que le sens de la vie, pour chacun de nous, est seule ment d'accroître l'amour en lui, je crois que ce développement de notre puissan e d a'mer nous vaudra, daus cette vie, un bonheur qui grandira chaque jour et, dans l'a itre monde, une félicité d'autant plus pirfaite que nous aurons appris aimer davantage je crois, en outre, que cet ae- roissement de l'amour contribuera, p us que toute autre force, fonder sir la terre le r yaume de Dieu, c'est-à-dire remplacer uni organisation de la vie où ia division, le mensonge et la violence sont tout puis sants, par un ordre nouveau où régneront la concorde, la vérité et ia fraternité. Je erois que, pour progresser dans l'amour, nous n'avons qu'un moyen la prière. Non pas la prière publique, daus les temples, que le Cnrist a formellement réprouvée (Ma thieu VI, 5-13j. Mais la prière dont iui- ANNONCES Annonces 15 centimes la ligne. Réclames 25 Annonces judiciaires 1 fr. la ligne. même nous a donné l'exemple, la prière solitaire, qui consiste rétablir, rafi'ermir en nous la conscience du sens "de notre vie et le sentiment que nous dépendons seule ment de la volonté de D.eu. 11 se peut que mes croyances offensent, afiligent ou scandalisent les uns ou les autres, il se peut qu'elles gênent ou déplai sent. Il n'est pas en mon pouvoir de les changer, comme il n'est pas en mon pouvoir de changer mon corps. Il me faut vivre, il me faudra mourir (et ce sera bientôt) tout cela n'interesse que moi. Je ne puis croire autre chose que ce que je crois, l'heure où je me dispose retourner vers ce Dieu dont je suis sorti. Je ne dis pas que ma foi ait été la seule incontestablement vraie pour tous les temps, mais je n'en vois pas d'autre plus simple, plus claire, et qui réponde mieux aux exigences de mon esprit et de mon cœur. Si, tout coup, s'en révélait une autre qui fût plus propre me satisfaire, je l'adopte rais sur le champ, car rien n'importe Dieu que la vérité Quant revenir aux doctrines dont je m suis émancipé au prix de tant de souffran es, je ne le puis plus L'oiseau qui a pris son essor ne rentrera plus dans la coquille de l'œuf dont il est parti (Le Petit Dieu du Jeudi 2 Mai 1901). On peut résumer la nouvelle loi fran çaise en deux lignes Défense aux congrégations non-au- torisées de posséder Défense ces mêmes congrégations d'enseigner. Et ce sommaire de la loi, cette con densation de son texte en deux formu les dominantes sert mettre eu relief le double but de légitime défense so ciale, poursuivi par le législateur. Il faut défendre la société laïque contre l'extension de la main-morte. Il faut la défendre contre la conta gion des doctrines ultramontaines. Les cléricaux, devant ces mesures de protection sociale et de salut public, crient la persécution et c'èst au nom des droits de l'homme et du citoyen, proclamés contre l'Eglise parla révo lution del789,qu'ils revendiquent pour leurs moines le droit de reconstituer leur puissance d'autrefois. C'est toujours le même système cy niquement professé par Louis Veuillot: Là où nou* sommes minorité, nous réclamons la liberté en vertu des priucipes de nos adversaires som- mes-uous majorité, nous la leur ref'v- sons en vertu des ncùres. Aujourd'hui, le moine se réclame du droit commun et trouve inique qu'on lui en refuse le bénéfice. Tort bien, mais pourquoi a-t-il com mencé par se mettre hors de ce droit commun sous l'égide duquel il deman de vivre En dépit des sophismes par lesquels on essaie de le. dissimuler, la congréga tion brise le lien social et constitue la lettre un Etat dans l'Etat. Le religieux a ses lois, ses règle ments, son intérêt collectif absolument indépendant de celui des antres ci toyens il ne connaît d'autre lieu so cial que celui qui l'attache la congré gation, ce petit groupe solidifié°par I obéissance servile et l'effacement des personnalités. La congrégation brise les liens de la famille, elle isole 1 individu pour Tab- eorb >r tout entier. Elle ne peut se dé velopper qu au péril de la vie sociale, Lue société qui tient sa conserva tion ne peut reconnaître, accepter protéger des corps qui ne visent qu'a la détruire.

HISTORISCHE KRANTEN

Le Progrès (1841-1914) | 1901 | | pagina 1