Eh bien, me-sienrs. j'ai la convic
tion que si les hommes de ce temps là,
mon père lui-même et tous les hom
mes .politiques de sou epoqu^ qui
étaient hostiles la contrainte scolaire
parce qu'ils avaient foi dans les œuvres
delà liberté, j'ai la conviction, dis je,
que si ces hommes revivaient aujour
d'hui. s'ils se baignaient daus notre
atmosphère, s'ils contemplaient la si
tuation morale et économ'que actuelle
de la Belgique, s'ils pouvaient mesurer
la dureté des luttes que nous devons
soutenir contre la concurrence étran
gère, s'ils voyaient les institutions dé
mocratiques que la nation s'est donnée
et qui appellent tous les citoyeus
l'exercice des droits politiques, ces
hommes là «liraient sans hésiter Nous
sommes avec vous pour l'instruction
obligatoire. {Approbation a gauche.)
Maintenant, messieurs, sans que je
veuille m'appesautirsur cette partie da
Ja question, il faut cependant que par
quelques chiffres, je détruise l'argu
mentation artificieuse de M. Colaert
M. Colaert et M. Woeste avant lui,
disaient Voyez las progrès accomplis,
le nombre des écoles a augmenté, la
population scolaire augmente, le chiffre
des subsides augmente, les dépenses de
l'Etat, de la province et des communes
augmentent C'est évident, et le con
traire serait bien étonnant En effet, la
population générale augmente et je
voudrais bien voir quel gouvernement,
quelque réactionnaire fût-il, oserait
réduire le budget de l'instruction. Mais
la questiou est de savoir quels sont les
résultats, quel est le rendement de
notre système actuel d'enseignement.
Eh bien, les chiffres sont décisifs II
suffit de prendre ceux de l'Annuaire
statistique.
Parmi les miliciens examinés avant
d'entrer au régiment, il y a 15 p c.
d'ignorants. Ce sont des jeunes gens de
19 ans, ilsout donc quitté l'écoledepuis
sept ou huit ans et peut-être en est il
parmi eux qui ont fréquenté l'école
d'adultes. Voyez le résultat n'e-t-il
pas déplorable
Les expérimentations faites par M.
Buis ne sont pas moins saisissantes, M.
Vandervelde en a rendu compte der
nièrement. M Buis a pu examiner
deux groupes de soldats il a constaté
que dans l'un il y avait 40 p. c d'igno
rants et dans l'autre 54 p. c.
Tenez, Messieurs, voici un chiffre
inédit, pris au hasard. Une enquête a
été faite dans une fabrique des environs
de la capitale je la connais, mais ne
l'indiquerai pas - où l'on emploie 370
ouvrières. Sur ces 370 ouvrières, il en
est 97 dont l'instruction est absolu
ment nulle, ce sont des illettrées com
plètes. Il y en a 18 dont on dit que
l'instruction est rudimentaire, c'est-à-
dire qu'elles lisent péniblement, écri
vent d'une façon illisible, savent
peine signer leur nom et n'ont aucune
notion du maniement des chiffres.
Voilà, Messieurs, des indices graves
et symptomatiques.
Il y a progrès, c'est bien possible,
mais c'est un progrès lent, c'est un pro
grès insensible. A un système qui ne
procure qu'un progrès aussi lent, nous
opposons un système de progrès rapide
et intensif C'est vous de choisir.
Je «lisais tantôt, Messieurs, que l'in
suffisance de l'enseignement primaire
en Belgique, le déficit scolaire - com
me on peut l'appeler ne provieut
pas seulement de ce que beaucoup
d'enfants ne vont pas l'école", mais
aussi de ce que beaucoup da ceux qui
sont inscrits l'école ne la fréquentent
pas régulièrement et la quittent avant
d'avoir fait des études primaires com
plètes.
Messieurs,si l'obligation de Pinstruc
ti«m n'amenait pas d'élèves nouveaux
dans les écoles, mais n'avait d'autre
effet que d'assurer la fréquentation
régulière des écoles par les élèves qui
y sont inscrits, ce serait déjà un bien
énorme A ce point de vue encore, Mes
sieurs, dos attestations positives nous
sont fournies par les documents offi
ciels.
Il y a quelques années, le gouverne
ment a institué. vous le savez le
système suivant. Il a établi deux caté
gories d'écoles les écoles primaires
programme maximum, c'est dire cel
les qui comprennent les trois degrés de
renseignement prmfaire, comportant
six années d'étu les ensuite, les écoles
primaires programme minimum,
c'est dire celles qui ne comportent
que les deux premiers degrés de l'in
struction primaire, représentant en
réalité, quatre années d études.
Eh bien, voici les résultats de ce sys
tème établis par les rapports trien
naux Pendant l'année 1898 1899,
147,562 élèves ont quitté l'ecole et, sar
Ct-s 147.562 élèves, 29,644 seulement
avaient fait des études primaires com
plètes, soit 20 p. c. 80 p. c. des élè
ves ayant quitté définitivement l'école
primaire, n'y avaient fait que des étu
des incomplètes c'est saisissant.
Comparons maintenant l'année 1898-
1899 l'année 1901-19o2 Les chiffres
pour cette dernière sont les suivants
163,982 élèves ont quitté définitive
ment l'école primaire et sur ce nombre
21.026 avaient tait des études primai
res complètes, 60it 14 1/2 p. c.
Voilà donc une diminution, un recul
sur les résultats obtenus au cours de
l'année 1898-1899
Je sais bien qu'on nous dit que, par
mi les élèves qui ont quitté l'école pri
maire sans y avoir fait des études com
plètes, 47,000 sont entrés ensuite daus
d'autres écoles où ils ont continué leur
éducation.
Je veux bien en tenir compte, car je
désire approcher autant que possible
de la vérité complète. J'ajoute donc
ces 47,000 élèves aux 24.026 qui ont
fait des études primaires complètes et
j'arrive ainsi un total de 71,000 élè
ves ayant fait des études primaires
complètes sur les 163,000 qui ont quit
té définitivement l'école primaire en
1901-1902.
Il reste donc encore 92,000 enfants
qui ont quitté les écoles primaires sans
y avoir fait des études complètes.
Le mal est très grave, l'absentéisme
qui sévit, partout est néfaste et il faut
y mettre fin.
Voici encore cet égard quelques
indications qui confirment ma thèse et
qui ont été publiées récemment par un
instituteur distingué, secrétaire de la
Fédération des instituteurs belges. Il
cite trois communes de la Flandre.
Dans l'une rie ces communes la fié
quentation moyenne est de 145 jours
par an et l'absence moyenne de 110
jours. Dans une autre commune, la
fréquentation moyenne est de 162
jours et l'absence moyenne de 93jours
Dans une autre encore la fréquenta
tion moyenne est de 172 jours et l'ab-
sen e moyenne de 83 jours. On peut
donc dire que la plupart des enfants,
dans ces communes, ne fréquentent
l'école que pendant 4 ou 5 ana et peu-
daut 3 ou 4 mois de l'année seulement.
Voilà décrite en quelques mots la
situation exacte et véridique. D'ail
leurs, l'on se rend si bien compte de la
gravité du mal, que la section centrale
qui n'était pas, que je sache, compo
sée en majorité de mes amis, a décidé
qu'une enquête était indispensable sur
la fréquentation scolaire En effet,
dans le rapport sur le budget je lis le
passage suivant
Un membre a proposé qu'une en
quête soit faite par le gouvernement
sur les points suivants
1" Quel est le nombre d'enfants de 6
11 ans qui fréquentent l'école?
2° Quel est le nombre d'enfants de 11
14 ans qui ne fréquentent aucune
école
3° Quel est le nombre de ceux qui
fréquentent l'école irrégulièrement
4° Quelles sont les causeB de cette
irrégularité
Ce vœu a été adopté par la section
centrale l'unanimité moins une ab
stention.
J'ignore quelle- suite l'honorable
ministre compte y donner, mais puis
qu'il doit preudiv la parole dans cette
discussion, j'espère qu'il voudra bien
nous faire part de ses intentions. Pa
reille enquête est indispensable et si
elle est faite avec un grand souci d'im
partialité, si elle est faite sincèrement,
elle est destinée jeter une vive lumiè
re sur la situation de l'instruction pri
maire eu Belgique et provoquera peut-
être des réformes fructueuses.
La Ligue de l'enseigement s'en est
occupée et l'honorable M. Buis, qui a
fait une étude spéciale de cette ques
tion, a élaboré avec ses collègues un
tableau qui me paraît le meilleur pour
arriver faire une enquête exacte et
sincère Je ne veux pas vous donner
lecture des mentions de ce tableau ce
serait d'ailleurs extrêmement difficile,
mais je demande la Chambre la per
mission de l'insérer anx Annales parle
menlaires
Il sera ainsi placé sous les yeux de
l'honorable chef lu département des
sciences et des art- et de son adminis
tration qui pourront en apprécier la
valeur.
Messieurs, on a cherché tout l'heti
re effrayer les pères de famille en
brandissant les peines dont on frappera
ceux qui se soustrairaient l'obliga
tion scolaire et ou a, parlant du tem
pérameot belge et de nos mœurs si
hostiles la compression et la con
trainte, montré les daugej-s auxquels
on s'exposerait en décrétant une loi
trop rigoureuse
Eh bien, Messieurs, il est certain
que lorsque nous établirons l'instruc
tion obligatoire en Belgique, nous
serons obligés de tenir compte de la
mentalité de nos populations. Il est
incontestable que nous ne pouvons
pas rêver et si nous tentions de Je
faire ce serait une faute grave
il est incontestable, dis je, que nous ne
pouvons pas rêver de les assujettir
la discipline rigide qu'acceptent cer
tains pays étrangers, tels que l'Allema
gne, par exemple mais pour ma part,
je compte moins sur la contrainte que
sur la persuasion.
Je compte sur le bon sens des popu
lations; je compte sur la propagande
que nous ferons tous pour encourager
les parents su soumettre la loi et
lui faire produire tous ses effets -, je
compte sur l'instinct des classes labo
rieuses.
Les classes ouvrières saveut parfaite
ment que lorsque nous préconisons le
développement de l'instruction popu
laire, c'est pour leur bien elles savent
parfaitement que, quand nous défen
dons cotte cause, ce n'est pas pour le
vain plaisir de développer des thèses
politiques et parlementaires ou pour
rechercher des applaudissements dans
les réunions publiques. Elles saventque
nous détendons nue cause qui tient
étroitement leurs propres intérêts et
non seulement leurs intérêts moraux,
ma s même leurs intérêts économi
ques.
En effet, s'il est une chose dont tout
le monde se rend compte aujourd'hui,
c'est que l'instruction primaire esta la
base de tous les développements de no
tre force productive, de tous les déve
loppoments de la situation physique et
matérielle de la classe ouvrière.
Les aptitudes techniques se perfec
tionnant, les salaires monteront, le
rendement industriel haussera, notre
puissance de concurrence augmentera.
Tout le monde sait cela et M. Vander
velde, dans l'excellent discours qu'il a
prononcé l'autre jour, a montré par
des citations extraites de diverses mo
nograplnes agricoles publiés par le dé
partement de l'agriculture, que l'on se
plaignait partout de l'insuffisance de
l'instruction de nos cultivateurs.
Je ne veux pas relire ces citations,
mais j'appelle toute l'attention de la
Chambre sur les extraits si caractéris
tiques des monographies de l'Ardenne
et du Condroz.
M. De Ponthière. Les cultivateurs
sont plus intelligents que les ouvriers
de villes. [Réclamations sur certains
bancs
Une voix lia sont plus malins.
MHymans. Ne faisons pas de ces
comparaisons On me dit que le paysan
est plus malin que l'ouvrier. Je ne com
prends par très bien le mot, car il ne
s'agit point ici de malice, maisd'éduca-
tion, de développement moral et intel
lectuel, il s'agit du développement de
la capacité technique. Et puisque je
parlé de capacité technique, s'il y a
une question qui, aujourd'hui, préoc
cupe l'industrie, c'est assurément celle
de l'éducation professionnelle. On com
mence se méfier et peut-être avec
raison de l'éducation livresque, de
l'éducation abstraite, purement théo
rique On comprend qu'il faut s'atta
cher faire des hommes, des ouvriers
connaissant bien leur métier, des
artisans habiles, et que la prospérité
du pays en dépend.
Eh bien, partout où l'on s'occupe
d'éducation professionnelle, od affirme
que la base de cette éducation doit être
une forte instruction primaire et tous
ceux qui s'occupent chez nous d'édu
cation professionnelle proclament la
nécessité de l'obligation scolaire.
Avaut de donner aux ouvriers une édu
cation professionnelle il faut qu'oD
leur donne une bonne instruction pré
paratoire-
Voulez-vous des preuves, Messieurs
Je vous citerai la petite commune
de Hamme. Dans ce village il y a d'im
portantes corderiee et le travail do
micile est assez répandu. Voici ce que
je lis dans un article écrit par un insti
tuteur connaissant bien ia situation
Un fabricant de cordages lui a ra
conté qu'il avait peine trouver deux
ou trois hommes, parmi une centaine
d'ouvriers, capables de faire quelques
petites annotations
Dans un des rapports que publie
l'Office du travail sur les industries
domicile, je note les deux passages
suivants
A Hamme, l'inapplicabililté au tra
vail domicile de la législation sur
les personnes protégées se fait particu
lièrement remarquer tous les coins
de rues surgissent des fillettes et des
garçonnets de 6 13 ans, courant le
long des fileries ou tournant le rouet.
A l'instar de leurs parents, ces enfants
grandiront dans l'ignorance, heureux
encore s'ils apprennent leur métier
sous la direction paternelle et échap
pent ainsi la dureté du sweating sys
tem d'un maître étranger
Et ailleurs
Le manque total d'instruction met
la classe ouvrière hammoise dans nue
infériorité déplorable,
Voilà un exemple combien d'autres
ne pourrait-on pas citer
Aussi l'idée fait soo chemiu elle
pénètre dans tous les milieux Et
tenez, il n'y a pas bien longtemps, se
réunissait Bruxelles un congrès où il
semble vraiment extraordinaire, pre
mière vue, qu'on ait parlé de l'instruc
tion obligatoire C'est le congrès des
gouttes de lait qui réunissait des
médecins, des hommes d'œuvres, des
femmes charitables s'occupant de la
créatiou de dispensaires pour première
enfance, dans le but de réduire le
fiéau qui décime notre clause ouvrière,
la mortalité infantile.
L'un des principaux objets dont ce
congrès s'e»toccupé c'est l'organisation
de l'éducation des mères, la création
de cours de puériculture pour la classe
ouvrière Voici que surgit un Busse
qui tait, remarquer qu'en Russie la
mortalité infantile est eft'rayanteet due
surtout l'ignorance des populations.
L'instruction générale et obligatoi
re, dit-il, devrait être la base des
mesures de vulgarisation de la puéri
culture.
Un délégué belge, se lève, s'associe
l'initiative de son collègue et déclare
que des recherches récentes lui per
mettent de formuler cet axiome que la
mortalité infantile reflète le degré de
l'ignorance des populations
Et voilà qu'alors un vœu est formu
lé, on le discute et, l'unanimité, au
milieu des acclamations, on vote l'or
dre du jour suivant
La vulgarisation de l'hygiène infan
tile n'est possible qu'à la condition que
les leçons donner soient accessibles
la masse de la population Le point de
départ de toutes les mesures destiuées
combattre la mortalité infantile doit
donc être l'instruction obligatoire
Dans le moude industriel et commer
cial, on dédaigne assez volontiers nos
disputes de partis, nos discussion par
lementaires, on nous prend quelquefois
pour des théoriciens et même peut-être
pour des bavards. [Sourires.)
Ce sont des g6ns pratiques qui s'oc
cupent de leurs affaires, du développe
ment des entreprises industrielles et
commerciales L'honorable MHubert,
je ne parle pas du rtunistre, je parle de
l'autre, l'honorable M. Hubert a été,
en 1895, chargé par la Fédération pour
la défense des intérêts belges l'étran
ger, d'étudier la situation économi
que de la Belgique et les moyeus néces
saires pour lui conserver sa puissance
L'honorable membre a fait un rapport
en 1905, et savez vous ce qu'il dit Je
me demande même ce que va penser
de lui l'honorable M. Colaert.
Voici ce que dit M. Hubert
L'Allemagne, depuis de nombreu
ses années, s'est appliquée réformer
et perfectionner l'organisation de
l'enseignement, voulant ainsi former
les sujets les plus aptes la lutte pour
l'existence.
Nous citerons en première ligne
l'instruction tous les degrés, aussi
générale que pofsible C'est elle qui a
préparé la jeunesse allemande suivre
les cours des écoles spéciales dont nous
parlerons plus loin. En Belgique, au
contraire, on constate trop souvent le
manque de préparation des élèves qui
se présentent aux écoles industrielles.
Le seul remède ce mal qui nous met
dans une telle situation d'infériorité
est, de l'avis de la commission, d'obte
nir, bref «iélai une loi décrétant l'o
bligation pour les parents de donner
ou de faire donner dans la famille on
dans l'école de leurchoix, l'instruction
primaire leurs enfants n {Ah ah
gauche.)