Dimanche, 15 Septembre 1908.
Journal de l'Alliance libérale d'Ypres et de l'Arrondissement.
68e année. 57.
le IHimtttche.
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Le Sénat.
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Nous publions ci-dessous, d'après
le Compte-Rendu Analytique du Sénat,
le beau discours prononcé par M.
Delannoy, sénateur de Bruxelles,
notre concitoyen de Warnêton, en
séance du 3 Septembre dernier, lors
de la dicussion générale sur le
Congo.
M. Delannoy. Je suis de ceux qui
pensent que la question actuelle n'est
pas politique. On conçoit, dès lors, que
les partis se divisent et il n'y a pas lieu
de marquer les dissentiments qui exis
tent.
Mais en toute loyauté, je dois signa
ler l'attitude nettement favorable au
Congo que j'ai prise dans cette encein
te, lors de la discussion du projet de
loi relatif aux avances faites par la
Belgique l'Etat du Congo en 1901.
Je votai ce projet de loi en compa
gnie de toute la gauche, l'exception
de mes meilleurs amis, MM. Hanrez,
de Selys Longchamps et Devos.
D'autres progressistes ne prirent pas
part ce vote mais leur intervention
dans les débats, et notamment celle de
l'honorable M. Houzeau de Lehaie, fut
très significative. Comme moi, il se
déclara très résolument partisan de la
reprise du Congo par l'Etat.
L'attitude prise alors par quelques
amis politiques et moi démontre que
dans notre parti, moins qu'il ne s'a
gisse d'une question de principe pur,
nous savons nous combattre les un9 les
autres. Je n'apprécie ni le fait ni ses
conséquences, mais je le constate
L'homme absurde est celui qui ne
change jamais. Je confesse très loyale
ment qu'en préconisant en 1901 l'an
nexion du Congo la Belgique, que je
combats aujourd'hui, j'étais p, cette
époque ignorant de la situation exacte
de la question congolaise.
J'étais épris alors, comme je le suis
encore aujourd'hui, d'une expansion
économique et mondiale, et je me fai
sais une illusion de ce que pourrait
produire, ce point de vue, la posses
sion d'une vaste colonie.
Bien des esprits étaient acquis cette
idée, l'époque que je rappel le et je crois
môme que celui que la démocratie libé
rale se plaît considérer comme son
chef le plus éminent, j'ai cité l'honora
ble M. Paul Janson, figurait au nombre
de ceux qui défendaient la reprise du
Congo par la Métropole.
J'étais donc en excellente compa
gnie. Mais, depuis lors, que de leçons,
que d'événements, que de révéla
tions
La commission d'enquête, d'une part,
le R P. Vermeerscb et le juge Le-
francq, d'autre part, nous signalent do
si gravesabus,que tous indistinctement
nous en éprouvons la plus grande
émotion.
Comme l'honorable M. Renkin, j'ad
mets qu'il peut y avoir dans ces narra
tions et ces constatations certain gonfle
ment voulu mais les abus existent et
ils sont d'autant plus graves qu'ils ont
permis d'exploiter le Congo avec quel
que fruit.
A côté de ces révélations, que de
leçons et d'événements depuis 1901
C'est l'Espagne qui, perdant sa colo
nie de Cuba, voit s'améliorer sa situa
tion économique, puisque son chiffre
commercial passe de 1,200. millions
1,800 millions.
C'est la France qui ne cesse d'être
aux prises avec les plus grandes diffi
cultés, non pas seulement au Maroc,
qu'il s agit peut-être de conquérir
en fin de compte, mais aussi dans
le Sud-Oranaib, où, l'heure actuelle,
on s'attend une nouvelle boucherie
Hier au Tonkin. aujourd'hui en Algé
rie, demain au Maroc, c'er-t toujours la
guerre, sans compter les innombrables
millions p.-rJu* jamais, et que la po
pulation française doit payer sous for
me d'augmentation d'impôts, dont la
répercussion touche inévitablement le
salaire et enraye sérieusement la pros
périté industrielle de la République.
C'est l'Allemagne, qui n'a pas encore
terminé la guerre des Herreros.
C'est la Hollande, qui est éternelle
ment aux prises avec les indigènes de
ses colonies.
C'e3T enfin l'Angleterre, qui prit on
jourleTransvaal,cequi restera une des
pages les plus tristes et les plus san
glantes de son histoire.
De plus, quoique très fier de mon in
dépendance vis a vis du pouvoir com
me vis-à-viH de mes mandants, je consi
dère de mon devoir de tenir compte du
sentiment de la nation Or, celle-ci s'est
très clairement manifestée aux der
nières élections.
Et aprè3 avoir étudié la question, pris
connaissance de tous les documents in
connus en 1901 après avoir très atten
tivement suivi les débats la Chambre,
je dois déclarer, en âme et conscience,
que ma foi annexioniste de jadis est tel
lement ébranlée que je ne saurais pas
même me contenter de l'abstention.
J'ajoute que l'attitude d'hommes tels
que MM. Warocqué et Boël la Cham-
MM. Piret et Verbeke ici-même, dont
les noms figurent au sommet de l'indus
trie belge, n'a pas peu coutribuéà éclai
rer ma religion.
Et que dire de l'attitude de notre
honorable M. Dupont, un homme qui
honore la fois le Sénat et le pays
Quant- aux rapporteurs, taut de la
Chambre que du Sénat, tous deux pré
conisent la reprise sans enthousias
me.
Et le Congo est-il entier comme en
1901 Tout y paraît concédé et certains
articles d'exportation, tel l'ivoire sem
blent déjà n'y plus exister.
Enfin, et je vous prie de croire qu'en
parlant ainsi je n'obéis ni la peur ni
la couardise, j'entrevois pour la Bel
gique, des difficultés internationales
telles que leur conséquence pourrait
avoir pour résultat la perte même de
notre nationalité.
Dans ces conditions, je n'hésite pas
dire que je vois très bien les bénéfi
ces que quelques-uns retireront de
l'exploitation de la colonie, mais que
j'appréhende très vivement les mé
comptes irréparables que peuvent nous
ménager un agrandissement de terri
toire et sa mise en valeur.
La Belgique figure au cinquième
rang parmi les nations commerciales
et industrielles.
Les chiffres qui la placent ce ta
bleau d'honneur resteraient les mêmes
si l'on supprimait ceux qui concernent
notre commerce avec le Congo. Ceux-
ci sont donc peu pertinents pour oser
affirmer que l'esprit d'initiative de no9
commerçants industriels n'a existé que
grâce l'Etat Indépendant du Congo.
La vérité est que, comme le dit ex
cellemment mon ami Lambiotte
La prospérité de la Belgique est
surtout due l'activité, l'économie,
l'intelligence, l'esprit d'entreprise,
la hardiesse de ses ouvriers, de ses
commerçants, de ses industriels, aux
découvertes de ses savants, sa légis
lation relativement libérale depuis
plus de cinquante ans.
Mais, dit-on, si le Congo ne donne
encore que peut de résultats, attendez
l'avenir.
Nommant voilà un territoire im-
meu8e, où l'on a pu se livrer l'exploi
tation la plus intensive et la moins hu
manitaire où moyennant le travail
forcé, p nissé aux plus extrêmes excès,
et qui après vingt-cinq ans, apporte
la Belgique les maigres résul
tats que l'on sait. Comment dis je,
alors qu'un régime de liberté relative
succédera au régime ancien, répudié
par tout le monde civilisé, vous osez
prédire des résultats brillants, voire
même fantastiques
Mais où cherchez-vous la preuve de
ce que vous avancez
Si réellement vous appliquez un ré
gime adouci, grâce au vote d'une char
te qui renferme encore de nombreuses
autorisations absolutistes ne me per
mettant pas de l'accepter sous réserves
si, par suite de la reprise de cette colo-"
nie, vous êtes amenés civiliser 25 mil
lions de nègres, les protéger et or
ganiser un territoire do 235 millions
d'hectares, pensez-vous donc que le
budget actuel suffira
N'aurez-vous pas créer une armée
coloniale, une marine de guerre, en
tretenir une nuée de fonctionnaires qui
tous, après quelques années de service,
devront être pensionnés et resteront
la charge de la colonie eu principe,
mais en fait la charge de la Belgique
Et alors on assistera ce spectacle
étrange que la mère patrie n'a pas le
courage d'organiser sa propre défense,
par pur intérêt électoral, et qu'elle jet
te dans le gouffre militaire ses nom
breux millions et quantité de ses en
fants.
Comment les puissances qui garan
tissent notre nationalité et qui, depuis
près de quatre- vingts ans, nous ont per
mis d'économiser des sommes colossales,
apprécieront-elles l'exode de nos capi
taux aussi égoïstement économisés, en
vue de les concurrencer avec succès
Car c'est bien là, n'est-ce pas, le but
que poursuivent tous les partisans de
l'expansion économique Tâcher de
créer des besoins là où ils n'existent
guère s'efforcer d'établir des marchés
où l'on puisses'enrichir. Four agirde la
sorte, est-il besoin que la Belgique soit
propriétaire des pays où elle cherche
mettre en valeur les qualités de sa po
pulation tant ouvrière qu'industrielle?
Si nous avons le succès auquel nous
sommes tous heureux d'applaudir et que
nous nous efforçons tous, non seulement
de maintenir, mais encore d'amplifier,
c'est parce que nous avons su nous
garder des idées économiques protec
tionnistes. Ce qui nous a permis de
conserver la vie bon marché et, con-
séquemment, de profiter de salaires
fort modérés, trop modérés d'après
moi.
Mais le jour où nous aurons les char
ges inévitablementécrasantesd'une co
lonie; lejour où, la question d'honneur
national étant en jeu, nous n'aurons
plus discuter entre nous sur l'utilité
ou l'inutilité d'une colonie, maisà unir
toutes nos énergies pour conserver la
la chose commune, ce jour-là sera
celui de notre déchéance
Ne vaudrait-il pas mieux d'affecter
toutes nos ressources une représenta
tion plus effective de nos intérêts l'é
tranger Les Chambres sont unanimes
pour accorder notre ministre des
affaires étrangères les voies et moyens
nécessaires pour réorganiser notre re
présentation consulaire et la mettre
la hauteur des nécessités présen
tes.
Je crains fort que l'acquisition du
Congé aura pour effet d'enrayer les
progrès qu'attend l'opinion publique
en matière de développement des con
suls de carrière, voire même d'atta
chés commerciaux. Dans cet ordre
d'idées, l'honorable M. de Nimai, se
crétaire de l'Association des maîtres
de forges, mène une campagne qui
mérite toute notre attention.
Revenant la question spéciale du
Congo, nous entendons souvent dire
que la Belgique a besoin d'une colonie
pour écouler le trop-plein de sa popu
lation.
L'argument n'est pas sérieux, atten
du que de l'aveu de l'honorable M.
Renkin et de celui de l'honorable M.
de Lantsheere, rapporteur de la Cham
bre, semblable espoir ne paraît guère
devoir se réaliser, tout au moins dans
un avenir bien appréciable.
Quant l'honorable M. t' Kind de
Roodenbeke, rapporteur du Sénat, il
ne signale même pas cet argument
dans le copieux rapport qu'il nous a
servi l'appui de la reprise.
Que le Congo subsiste dans l'état
actuel, ne peut-il servir ceux d'entre
nous qui voudraient aller s'y installer
Faut-il nécessairement que son pavil
lon soit celui de la Belgique, attendu
que la liberté commerciale doit y
régner souverainement
Le gouvernementet le parti colonial,
celui-ci exclusivement financier et
plein du désir de s'enrichir, nous di
sent la reprise du Congo par la Belgi
que est une bonne affaire.
Une bonne affaire C'est facile
dire, mais je voudrais qu'on me le dé
montrât.
Je ne connais pas de reprise d'affaire
où l'on veuille traiter sans avoir sous
les yeux tous les éléments de nature
êfre bien éclairés.
Et quand on traite une affaire, il est
bien rare que celui qui achète ne de
mande pas voir soub toutes ses faces
l'objet qu'il s'agit d'acquérir. S'il est
sérieux, le preneur, après avoir enten
du et pesé le offres, voudra contrôler
celles-ci avant de conclure définitive
ment.
Or, on voit bien qu'en fait de caou
tchouc, d'ivoire, d'huiles diverses, de
richesses minières, etc., il y a de nom
breuses allégations, d'aussi nombreux
espoirs, mais aucune preuve ni évidente
ni palpable.
J'estime donc que les éléments du
problème sont incomplets, que le mar
ché qui nous est offert ne constitue pas
ud^ bonne affaire et, dès lors, je ne
veux pas, en ce qui me concerne, me
déclarer suffisamment éclairé pour en
traîner mon pays danB ce que j'appelle
rai une entreprise aventureuse. S'il
s'agit du négociant ou de l'industriel
risquant une partie de ses deniers, il
n'engage que lui-mêm9 s'il s'agit, au
contraire, de la nation, ce ne sont ni
les membres du gouvernement, ni les
députés et sénateurs, ni le parti colo
nial qui payeront de leur fortune per
sonnelle, mais bien le payd tout entier.
Ne parlant plus d'une bonne affaire
traiter, mais se bornant la question
de sentiment, j'aurais compris jusqu'à
un certain point, si la reprise du Con
go s'était faite sans conditions, comme
elle pouvait se faire en vertu même
des conventions antérieures j'aurais
compris, dis-je, que le gouvernement
vint nous dire très catégoriquement Le
Congo étant belge de fait, nous esti
mons que la Belgique ne peut pas l'a
bandonner.
J'avoue que, dans ces conditions j'eus
se voté l'annexion, et je crois ne pas me
tromper en disant que celle-ci eût été
votée une énorme majorité.