!)'AVFIGIIE$, ANNONCES, AVIS (T NOUVELLES DIVERSES.
No 2428.
24me Année.
FEUILLETON.
TPRES.
JUSTICE.
LES MARCHANDS D'ÉTOUPE.
On file beaucoup dans le monde, par le
temps qui court. Les marins filent du
câble, filent la ligne de sonde, filent des
nœuds; les gouvernements font filer les
troupes; la tribune et au barreau on file
des périodes; les musiciens filent des sons;
les freluquets filent le parfait amour; cer
tains joueurs filent la carte; les graveurs
filent les eaux; les chandeliers filent la
cire; partout il s'en trouve qui filent des
intrigues; quelques-uns vont jusqu'à filer
leur corde; ceux qui sont insolents lors
qu'ils sont plus forts filent doux quand ils
s'imaginent être plus faibles; le plus grand
nombre filent de l'or, de l'argent, du lai
ton etc., du lin, du chanvre, de la laine,
du coton, de la soie, etc. Dans nos
campagnes, les plus pauvres ouvriers
LE PREMIER CHEVEU BLANC.
filent de l'étoupe, et font de grosses toiles
durant les longues soirées d'hiver, la
sombre clarté d'une lampe, la femme
tourne le rouet, le mari fait courir la
navette pour atteindre aux moyens de
remplir les exigences les plus pressantes
dé la vie. De là un commerce assez étendu,
assez envahi par la concurrence, dans la
matière première. Les marchands d'étou-
pes parcourent au moins tous les marchés,
grands et petits, d'un arrondissement ju
diciaire leur fonds de boutique ne pèse
pas en raison de son volume, que du reste
on rétrécit avec facilité. Ils se réunissent
ordinairement avec leur marchandise dans
un même cabaret, qui leur sert en quelque
sorte de boursè là ils trinquent, achètent
et vendent; ils se querellent souvent,
quelquefois peut-être ils se battent. Com
me les seules armes que les lutteurs ont
leur disposition, sont des bottes d'étou-
pe, il n'y a jamais ni mort, ni blessé les
lèvres sont desséchées par la poussière
qui émane des paquets que l'on se jette
la tête et l'on boit quelques litres de plus
pour se désaltérer. Cette fois-ci l'affaire
avait pris un caractère grave. Elle s'est
passée, croyons-nous, Poperinghe. Les
marchands d'étoupes ont joué au plus fin
les uns ont floué les autres; ceux-ci s'en
sont apperçu et ont voulu reflouer les
floueurs. Une femme et sa servante com
paraissent devant le tribunal. Elle est
prévenue d'avoir soustrait par sa servante
une botte d'étoupe. Elle avoue la chose,
et proteste qu'elle n'a fait que ressaisir la
propriété qui venait de lui échapper. II
résulte effectivement de la combinaison
des témoignages que le plaignant lui-
même avait déduit du tas de la prévenue
pour l'additionner au sien une forte pe-
lotte d'étoupe. Mais il soutient que, dans
le cours du marché, la prévenue lui avait
vendu une botte n'ayant pas le poids or
dinaire et qu'il avait pu se rendre justice
liii-même. Il s'engage une discussion entre
le plaignant et la prévenue; ils se repro
chent mutuellement des indélicatesses,
des tromperies, etc.; ils s'échauffent, se
livrent des gestes violents; le feu va
prendre aux étoupesLe tribunal pré
vient cet accident et renvoie les parties
dos dos.
On écrit de Bruxelles, 8 janvier
M. Ch. Hen vient d'entreprendre une
publication très-utile. Il s'agit d'un dic
tionnaire de toutes les communes de la
LE PROPAGATEUR,
Ce Journal paraît le MERCREDI et le SAMEDI/ L'a-
nnèment est de fr. par trimestre pour la "Ville, et 4
Ifr. 5o pour toute la Belgique, franc de port par la poste.
Les insertions se paient 17 centimes la ligne. Affranchir
les lettres.
EOapin
C'était la première fois que Marie devait aller
au bal; depuis cinq mois qu'elle était devenue
mère, absorbée par les devoirs impérieux et doux
de la maternité, elle avait oublié le monde et ses
plaisirs; mais ce bal les lui rappelait et elle s'oc
cupait de sa parure avec une joie de jeune fille et
d'enfant. Lès coussins du divan avaient disparu
sous celte foule de jolis riens qui composent la
toilette d'une femme, et c'était avec une sorte
d'émotion qu'elle regardait cette robe étendue qui
semblait déjà dessiner les contours de sa taille
charmante, et les frais rubans aux capricieux replis,
et l'écharpe nuancéeet le bouquetprésent de
Paul, que, dans son enfantillage de jeune mère, elle
avait déjà dix fois comparé la joue de Blanche
endormie, au risque de troubler son léger sommeil.
Cependant un peu de crainte se mêlait au
plaisir de Marie; elle se sentait timide, car elle
avait presqu'oublié qu'elle était belle Paul ne le
lui disait presque plus; Paul l'aimait bien pourtant
mais son amour était devenu une chaleur douce
et continue dont elle était pénétrée de partout
sans voir briller et pétiller la flamme. Elle vou
lait être trouvée belle devant Paul, elle voulait
que l'admiration des antres le fit ressouvenir de
son bonheur, et ses projets de vanité devinrent
des rêveries d'amour, et tout en rêvant d'amour
elle se voyait parée de sa robe légère, elle enten
dait la musique excitante du bal, elle sentait tous
les regards se fixer sur elle et elle s'approcha a
petits pas de sa toilette où elle se vit belle, belle
se charmer elle-même. C'est que cela rend belle
de devenir mère; il y a loin de la jeune fille a la
jeune mère la jeune fille plaît aux yeux, mais la
jeune mère touche le cœur, il y a de la pensée
dans son regard, il n'y fait pas toujours beau la
crainte s'y place côté de l'espoir; pour complé
ter la beauté d'une femme, il faut qu'elle ait été
animée de toutes les tendresses.
En se voyant si belle, Marie avait relevé sa
tête par un vif mouvement d'orgueil, elle se sen
tait reine, et elle soulevait sa fraîche guirlande
pour la poser sur son front, quand elle aperçut un
cheveu blanc qui brillait comme un fil d'argent an
milieu de ses noirs cheveux; elle poussa un petit
cri et retira vivement sa main comme si elle se fût
piquée; sa guirlande lui échappa, elle la suivit de
l'œil comme un roi déchu verrait tomber sa cou
ronne, et elle resta étourdie et terrassée par la
soudaineté de sa chute, car son sceptre de salon
ne s'était pas usé entre ses doigts, le temps ne
l'avait pas vermoulu jour a jour; non, il lui était
arraché d'un seul coup, elle était renversée du faîte
de la puissance. C'était l'éclipsé au plus beau du
jour, une pensée de mort au milieu d'une fête,
et, dans ce moment, la mort même eût semblé
presque douce a Mariecar Paul aurait encore
pu la rêver belle, mais Paul la verrait déchue,
flétrie, elle survivrait h son amour; peut-être
aurait-il pour elle de la pitié, de la bonté, cette
cruelle bonté de celui qu'on aime, mille fois plus
redoutable que sa haine.
Marie s'arrêta; sa souffrance devenait trop aiguë,
et pourtant elle éprouvait un âpre besoin de l'aug
menter encore, mais la forme lui manquait; elle