JOURNAL D YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
No 2936.
Samedi, 22 Novembre 1845.
29me année.
7PR3S, 22 Novembre.
Si les libéraux se gaudissent dans quel
ques conseils communaux, ils enragent
dans les chambres, surtout dans la Cham
bre des Représentants.
Ils ont tort en bas comme en haut. Dans
les conseils communaux, ils ont tort d'a
buser de leur victoire contre les catho
liques; dans les chambres, ils ont tort de
craindre que les catholiques n'abusent de
la majorité contre leurs adversaires.
Pourquoi donc Mr Rogier se constitue-
t-il l'organe de toutes ces colères? Parce
que M' Rogier veut redevenir ministre et
que le Roi n'a pu accepter ses prétentieu
ses conditions. On ne l'ignore plus aujour
d'hui, la rentrée au pouvoir de Mr Rogier,
après la retraite de Mr Nothomb, est de
venue impossible uniquement parce qu'il
aurait requis du Roi la faculté de dissou
dre les chambres, au moment et pour le
motif qu'il jugerait convenables, parce
qn'il aurait exigé que son portefeuille con
tînt la prérogative royale, parce qu'il au
rait imposé la couronne une abdication
virtuelle.
Si les preuves n'étaient sous les yeux,
croirait-on une pareille conduite de la
part d'un homme considérable qui se pose
en chef du parti libéral la Chambre des
Représentants
JACQUES ET BERTRAND.
Les catholiques sont en majorité, dans
la chambre, les libéraux l'avouent impli
citement et néanmoins ils ne veulent point
que le ministère soit le représentant ex
clusif des catholiques; le chef de l'État
daigne satisfaire les libéraux, il compose
un ministère qui représente la fois les
libéraux et les catholiques; ce n'est pas
assez, les libéraux forcés de reconnaître
qu'ils sont en minorité veulent que le mi
nistère soit le représentant exclusif des li
béraux.
Cela n'est point juste, cela n'est point
constitutionnel.
Cela n'est point juste, car si les libéraux
ont le droit d'empêcher que les catholi
ques les excluent de toute participation
au gouvernement et l'administration, les
catholiques ont également le droit d'em
pêcher que les libéraux les traitent en
ilotes ou en parias.
Cela n'est point constitutionnel. Les
chambres et le ministère sont deux degrés
qui conduisent de la nation au Roi et du
Roi la nation. C'est par les chambres
d'abordqui représentent la nation, et par
le ministère ensuite qui doit résumer les
tendances des chambres, que le chef de
l'Etat parvient connaître et apprécier les
vœux et les besoins de son peuple, c'est par
le mouvement naturel de ces institutions,
et par les avantages qui en résultent que
se distinguent les monarchies constitution
nelles. Vouloir que les chambres repré
sentent la minorité de la nation, ou que
le ministère représente la minorité des
chambres, c'est viser au bouleversement
de ces institutions.
Les exigences de Mr Rogier devaient
conduire ce résultat anarchique. Au lieu
de laisser l'esprit des chambres se modifier
sans secousse par les élections biennales
d'après les termes de la constitution, il
entendait forcer la situation par l'usage de
ce pouvoir extraordinaire que possède le
Roi de dissoudre les chambres lorsqu'il
éclate un dissentiment profond entre elles
et ses ministres, afin de consulter la na
tion sur le point de savoir s'il faut modifier
ou maintenir le Gouvernement. Mr Rogier
entendait faire dans tout le pays, ce que
ses adeptes font dans les villes, créer des
libéraux en masse par des nominations et
des destitutions, par des intimidations et
des promesses.
Il faut rendre grâce la haute sagesse
du Monarque il a su résister aux orgueil
leuses et téméraires tentatives du libéra
lisme exclusif, il n'a pas souffert que le Pays
fût en proie des commotions violentes et
désastreuses. Aucun vrai belge ne restera
sourd cet appel d'un Roi qui a sauvé nos
Oïl s'abonne Ypres, Grand'-
Place, R4, vis-à-vis de la Garde, et
chez les Percepteurs des Postes du
Royaume.
PRIX DE t'XBOXXEMEXT,
par trimestre,
Pour Ypresfr. 4
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tion doit être adressé l'Éditeur
Ypres. Le Propagateur parait
le SAMEDI et le MERCREDI
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clames, RS centimes la ligne.
VÉRITÉ ET JUSTICE*.
les libéraux et la royauté.
En i328, de petits enfants s'ébattaient gaîment
sur la place du village de la Motte-Broon, près de
Rennes, lorsque tout-h-coup leurs jeux se trouvè
rent interrompus par ce cri Gare au mauvais
jeté par l'un d'eux, qui prit aussitôt la fuite a toutes
jambes. Ses camarades l'imitèrent: en un instant,
la place se trouva vide, et quand un jeune garçon,
qui pouvait compter quatorze ans, arriva, il ne
restait plus personne. A la vue de la terreur qu'il
inspirait, un rire de satisfaction ouvrit la large
bouche du jeune garçon qui ramassa un bâton et le
jeta avec une force et une adresse peu communes
dans les jambes des fuyards les moins éloignés de lui.
Quelle peur je leur fais dit-il, puis il s'assit
sur l'herbe; mais bientôt l'ennui, que cause cet
âge la solitude, s'empara de lui, et il se mit bailler
d'une manière démesurée; il faut le dire, ces bâil
lements ajoutèrent encore son air disgracieux et
sa laideur peu commune car il avait la taille
épaisse, les épaules larges, la tête monstrueuse, et
les yeux petits, quoique ardents. Le désordre de
ses habits ne prévenait guère davantage en sa
faveur; car, déchirés et couverts maints endroits
de sang et de boOe, ils révélaient des habitudes et
des goût querelleurs peu louables. Après trois ou
quatre larges bâillements, il se leva brusquement
et jeta les yeux autour de lui pour chercher s'il ne
trouverait rien qui pût le désœuvrer ou se laisser
tourmenter par lui. 11 ne vit rien, mais il entendit
sortir tout coup des hauts herbages d'un marais
voisin un mugissement extraordinaire qui le lit
tressaillir d'abord.
Honteux de ce mouvement instinctif de frayeur,
il avança et vit l'énorme tête d'un buffle s'élever
travers les hauts herbages, et fixer sur lui des
regards graves et imposants. Le jeune garçon, mal
gré la nature agressive de son caractère, se sentit au
fond du coeur l'envie de passer son chemin et de
laisser tranquille le gigantesque animal, qui se
tenait la couché devant lui. Il fit même quelques
pas, mais comme s'il eût été honteux au fond du
cœur de cette faiblesse, tout coup il se retourna
précipitamment, ramassa une pierre et la lança au
buffle.
L'animal entendit siffler le projectile ses oreil
les et secoua nonchalamment la tête. Son apathie
encouragea le jeune garçon.
Ah ah! dit-il, tu ne trouves pas de ton
goût les pierres de Bertrand, et elles te font secouer
la tête: attends attends! et j'espère bien que tu
la secoueras tout l'heure d'une manière moins
lente et moins insoucieuse.
Il fit dans les poches de son pourpoint une
ample provision de pierres, et soudain le buffle se
trouva assailli d'une grêle de cailloux qui vinrent
tour tour le frapper soit au poitrail, soit dans
les jambes.
Le puissant animal se leva avec une sorte de
difficulté; puis quand il se trouva sur ses jambes
il regarda fixement le querelleur qui l'attaquait.
A l'instant même, celui-ci lança une pierre qui
vint frapper l'animal dans l'œil. Il faillait le voir
soudain bondir, jeter un long mugissement de
douleur, et s'élancer sur l'assaillant, qui prit la fuite
de toute la vitesse de ses jambes. Mais le buffle,
irrité par la douleur, courait aussi vite que lui, et
ne tarda pas l'atteindre. Soudain, Bertrand tomba