JOURNAL D'YPRES IF DI L'ARRONDISSEMENT.
TV» 3009.
30me année.
7PB.3S, 1" AOÛT.
L'ATHÉNEE DE TOURNAI.
Le départ de l'aumonier et du principal,
tous deux ecclésiastiques, causé par l'an
nulation du contrat, existant entre la
régence et le chef diocésain,a fait réfléchir
plus d'un conseiller communal de Tournai.
Dans sa séance de samedi, 25 juillet, mal
gré les avis de nos jennes libéraux Yprois,
un nouveau projet de convention a été
adopté, peu près dans les mêmes termes
que celle que les efforts machiavéliques
de M. le comte Lehon avaient fait annuler.
La discussion de ce nouveau projet a été
fort remarquable, et plusieurs membres
semblent avoir voulu atténuer, par des
paroles générales de conciliation le mau
vais effet, que leur langage, jadis si pas
sionné avait produit Tournai. Ensuite
nous aimons signaler le discours de M.
Savart, autrefois l'idole de notre Progrès.
Les travaux législatifs l'avaient empêché
de prendre part la Séance où fut annu
lée la convention avec Mgr. l'Evèque. Ce
discours peut être considéré comme la
critique de l'administration communale
dans ce déplorable conflit. Je n'entends
pas, a-t-il dit, donner ici un vote politique,
mais faire tout simplement un acte d'ad-
MONSIEUR GUILLAUME.
ministration communale. De bonne foi, si
l'on eût toujours ainsi pensé et agi au
conseil communal, le conflit n'eût jamais
existé. M. Savart déclare qu'il désire laisser
au clergé l'influence morale et religieuse
nécessaire pour le bonheur de la jeunesse
et pour la prospérité de l'établissement.
Il reconnaît que tel est le vœu de tous ses
concitoyens et que ce vœu doit être un
ordre pour l'administration communale.
Le même orateur a ajouté, quant au
principe même de la conventionnés mots
qui méritent d'être notés: Je n'ai point
hésité admettre que ce bel établisse-
ment, pourvu des professeurs du plus
grand mérite,ait toujours pour principal
un membre du clergé. Il en fut toujours
ainsi Tournai depuis la translation du
collège de Saint-Paul, donc depuis plus
de 60 ans, et probablement avant; tel
est, d'ailleurs, je n'en doute pas, le vœu
de la presque totalité de nos pères de
famille, et pour moi, membre du conseil
communal, mandataire de nos conci-
toyens, ce vœu équivaut un ordre.
Administrer les intérêts moraux et ma-
tériels de la ville autant que possible
conformémentauxintentionsde la popu-
iation, c'est là notre devoir. Je me trouve
donc au nombre des membres de cette
assemblée qui ont pensé qu'il y aurait
lieu s'entendre avec l'épiscopat, pour
n obtenir l'un de ces respectables ecclé-
siastiques qui ont le talent bien difficile
de plaire toutes les opinions; mais
a personne, je crois, n'a eu l'idée que l'ad-
ministration communale abondonnerait
la direction de l'Athénée.
ÉLECTIONS DE SOIGNIES.
Le parti libéral modéré a remporté une
victoire éclatante; M'le comte De Lannoy
a obtenu une majorité de 56 voix. Ce ré
sultat est d'autant plus significatif que le
parti libérâtre, c'est dire; le parti clubiste
avait mis tout en œuvre pour faire élire
l'homme de son choix. Il est clair main
tenant que les hommes sages de l'opinion
libérale repoussaient hautement les préten
tions rétrogrades des meneurs des clubs.
Par arrêté royal en date du 26 juillet
1846, le sieur Vrambout (Benoit), avoué
licencié près le tribunal de première in
stance d'Ypres, est nommé juge suppléant
au même tribunal, en remplacement du
sieur Mulle, démissionnaire.
Par arrêté royal de la même date, lesieur
Berten(F.-J.), ancien notaire Poperinghe,
est nommé juge suppléant la justice de
paix du canton de Poperinghe, arrondis-
On s'abonne Yprès, rue de
I.ille, ig5, près la Grand'place, et
chez les Percepteurs des Postes du
Royaume.
PRIX DE L'ABONNEMENT,
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Pour Ypreafr. A
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Tout ce qui concerne la rédac
tion doit être adressé l'Éditeur
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le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine.
PRIX DES INSERTIONS.
I* centimes paf ligneLes ré
clames, centimes la ligne.
VÉRITÉ Et JUSTICE.
(Balte et Ho.)
te vieillard en était au plus chaleureux endroit de sou élo
quente plaidoirie, souvent interrompue par ses sanglots. Tout
coup l'auditoire fat ébranlé par un cri mal comprimé qui
partit en ce moment d'une des tribunes de la salle. C'était
Pierre qui avait oiu reconnaître, qui avait recounu sou bien
faiteur dans le sublime vieillard. Il voulut s'élancer vers lui,
ou le retint; on craignit l'effet d'une telle scène sur le public
et ou l'entraîna moitié évanouie, hors de l'assemblée.
Quoi! s'éoiia-t-il quand il eut reprisses sens, M. Guil
laume, mon bienfaiteur, n'est autre chose que l'ancien minis
tre I amoiguon de Malesherbes, le défenseur aotuel du Roi
Et il s'appuya en dehors aux murs de la salle des séances
du tribunal, bien décidé y attendra le vieillard sa sortie,
et lui demander la faveur de presser encore une fois ses
vénérables maius, de contempler encore une fois ses traits que
les malheurs, le temps et la blancheur de sa chevelure n'a
vaient pas tellement changés, qu'il ne fut aisé de les recon
naître. Mais ce n'était pas ce jour-là que le ciel lui réservait
de voir son illustre et modeste sauveur, M. de Malesherbes
accompagna la victime condamnée mort, par une porte
secrèteet Pierre attendit en vain. Peu de temps après, le
défenseur du Roi Louis XVI fut son tour accusé: car une
couronne manquait sa vertu, celle du martyre, et cette ter-
rihle époque se chargeait de la lui remettre.
Pierre jusque-là n'avait pu parvenir le voir. Malesherbes
avait été jeté dans la prison connue sous le nom de Madelooet-
tes. Dans cette demeure, d'où il ne devait plus sortir que pour
aller I échafaud, le vieillard toutefois avait souvent reçu par
des moyens détouinés des secours et des consolations qu'il
n'attendait plus des hommes, lui qui eu avait été si prodigue
naguère envers les autres. Tantôt c'étaient des ouvrages litté
raires qui le reposaient un instant de ses tristes pensées, tan*
tôt c'était la lettre d'un auii qu'il pouvait croire emporté
avant lui par le tribunal sanglant, il ue savait quel était cet
ange ignoré, quelle était la main mystérieuse, qui trouvait
moyen de pénétrer ainsi jusqu'à lui sans être vue, quand uii
jour il reçut une missive ainsi conçue:
Le pécheur de Marseille attendra M. Guillaume (ce nom
était souligné), son bienfaiteur, douze nuits durant, sous les
fenêtres de la prison dans laquelle il est enfermé. A cette
lettre est jointe une lime qui servira couper l'uu des bar
reaux. qui paraissent peu épais; et quand l'heure sera venue
une échelle de corde se trouvera au pied de la muraille. Made
moiselle de R(fe>ambo, se trouvant dans la même prison, se ser
vira des mêmes moyens d'évasion; nous partiions pour Mai-
seille où il sera facile de vous dérober tous les yeux, et ma
maison, où vous rencontrerez une honnête aisance qui est due
vos bienfaits, selon la vôtre.
Pierre attendit effectivement douze nuits consécutives sous
la fenêtre de la prisou mais malheureuseiut nt le plan échoua
et ne fit que bâter le supplice du vénérable Malesherbes.
Trois jours après, le vieillard accompagnait sa tille dans la
charrette fatale qui servait conduire les martyrs l'échafiud;
elle passait lente et funèbre au milieu d'une multitude silen
cieuse et impassible, qui jadis avait porté en triomphe le
ministre Malesherbes, père des malheureux. Une seule voix
osa protester contre le crime qui allait se commettre. On
devine aisément que ce fut celle de Pierre qui, par trois ou
quatre fuisse cramponna comme pour les arrêter aux roues de
ACTES DU GOUVERNEMENT.
la charretle. et faillit être écrasé.
Le voilà, s'écria-t-il dans sou délire lè voilà moo véné
rable bienfaiteur. Voilà l'homme des pauvres et des opprimés
que l'on va assassiner.
Vous avez une mère, mon ami, dit alors avec calme le
vieillard, dont la voix descendit jusqu'au fond des entrailles
de Pierre; conserve/.-vous pour elle; vous ne pouvez nous
sauver, et ce que vous faites peut vous tuer sur l'heure.
Ah vous me reconnaissez dono, vous reconnaissiez doue
le pauvre Pierre de Marseille, s'écria Pierre de nouveau, eu
suivant toujours la fatale charrette du plus près qu'il pouvait.
Mon ami, reprit encore le vieillard, j'aurais eu bien pins
de satisfaction si, en vous restant inconnu jusqu'à la fin, j'avais
pu vous éparguer la peine de m'apporter vos remerciaient?
dans un moment aussi dangereux pour vous, Croyez-moi,
éloignez-vous, et retournez votre mère, qui d besoin de
votre appui.
La pensée de sa mère put seule décider le jeune homme
s'arrachera une scène dans laquelle il courait chaque seconde
le risque de sa vie il s'éloigna en tournant chaque instant les
yeux vers l'infortuné vieillard.
Sans cette cruelle destinée qui venait de frapper celui qui
l'avait relevé de la misère, Pierre eut pu passer des jours heu
reux auprès de celle pour laquelle il s'était conservé; mais le
souveuir de celle fatale charrette, de la noble tête couronnée
de cheveux blancs, qui s'appuyait sur l'épaule d'une jeune
femtne, fille du noble vieillard, également traînée a la mort,
demeura toujours dans sa méinoiie, et lui prouva que ce n'est
qu'au sein d'une autre vie que l'on peut attendre un bonheur
pur de tout mélange et de toute douleur.