Vers neuf heures, il s'était formé, peu
peu, sur la Grand'Place, un rassemblement
de trois quatre cents personnes. Tout a
coup, aux cris de bas la calotte, ce gros
sier et brutal mot de ralliement de la li-
béralerie, l'attroupement se dirige vers 1 é-
tablissement des Jésuites.
Sur son passage, il brise les vitres chez
deux boulangers, et arrivé devant le col
lège de Notre-Dame, il en saccage la façade
coups de pavés.
Surpris, en quelque sorte, de ne pas
rencontrer de résistance, mais bientôt en
hardis par l'impunité, les émeutiers tra
versent les rues delà Magdelaine, de Saint-
Jacques et du Cygne, brisant, chez les
boulangers, non plus seulement les vitres,
mais même les volets, en y lançant des pa
vés qui semblaient placés dessein sur le
chemin que suivait l'attroupement.
La foule longe le quai, insulte en pas
sant la maison des Rédemploristes où quel
ques carreaux sont brisés, et va dévaster
rue du Pont et rue du Quesnoy, la façade
de six maisons de boulangers et de mar
chands de grains.
Elle était occupée lancer des pavés
travers les fenêtres de la maison de M. Iler-
rier, lorsque quelques gendarmes, envoyés
sur les lieux par M. le procureur du Roi,
dissipèrent l'allroupementen opérant quel
ques arrestations.
A partir de ce moment, dix heures et
demie, les perturbateurs essayèrent en vain
de se réunir de nouveau, ils furent facile
ment dispersés, chaque fois, en laissant les
plus hardis d'entr'eux entre les mains de
la gendarmerie et de la troupe de ligne
dont le concours venait enfin d'être réclamé
par l'autorité.
L'Emancipation, rapporte les faits sui
vants
D'après les renseignements que nous
avons recueillis, les désordres qui ontcom-
mencé devant la boutique du sieur Wyns,
boulanger, paraissent avoir eu pour cause
une dénonciation faite au commissaire de
police contre ce boulanger, fondée sur ce
qu'il ne vendait pas son pain au poids
indiqué par la taxe.
Cette dénonciation a d'abord amené
une rixe entre le sieur Wyns et l'individu
qui l'avait dénoncé; la police est survenue;
la suite de la police, le rassemblement
s'est formé et quelques perturbateurs en
ont profité pour jeter des pierres dans les
fenêtres de la maison du boulanger, puis
pour se faire délivrer quelques pains sans
les payer.
Le négociant de la rue des Sœurs-Noi
res est un marchand de grains; on avait vu
la veille, entrer dans sa maison une voiture
pesamment chargée de froment et de seigle.
Unedémonslration,qui n'a pas été sérieuse,
mais qui aurait pu le devenir, a été faite
contre cette maison et réprimée par la
présence de la police et des pompiers.
La soirée de Mardi s'est bien passée.
Cependant des rassemblements beaucoup
plus nombreux que la veille s'étaient for
més sur la Grand'Place, rue de l'Ami, der
rière l'Hôtel-de-Ville et rue des Tanneurs.
Dans tous les groupes on s'entretenait
vivement de l'excessive cherté des vivres
et des abus de l'accaparement.
Tous les estaminets de la place de l'Hô-
tel-de-Vi Ile et des environs regorgeaient de
monde, mais ils ont été évacués exactement
pour l'heuredela retraite,c'est-à-dire avant
minuit.
L'instruction judiciaire commencée im
médiatement se poursuit avec une telle ac
tivité que dès samedi prochain, les inculpés
comparaîtront devant le tribunal correc
tionnel.
On craint avec raison que ces tentatives
de troubles n'empêchent beaucoup de cam
pagnards de se rendre en ville pour appro
visionner les marchés.
Le Moniteur annonce que démission
de ses fonctions est donnée M. Trémou-
roux, procureur du Roi Nivelles. Cette
mesure s'explique par l'altitude équivoque
que M. Trémouroux a prise, attitude in
compatible avec ses droits de magistrat.
Après s'être porté comme candidat indé
pendant des clubs, M. le procureur du Roi
de Nivelles a subi toutes leurs exigences.
Dès lors les plus strictes convenances ré
clamaient de lui qu'il abandonnât ses fonc
tions. 11 ne pouvait en même temps repré
senter le pouvoir des clubs qui font une
guerre mort au gouvernement.
Un ancien maréchal qui habitait le
Marché-aux-Pores, et qui, de simple ou
vrier était devenu millionnaire, a fait un
legs la commune de Molenbeek-S'-Jean
d'une somme d'environ 500,000 fr., pour
l'érection d'un hôpital desservir par les
Sœurs de Saint-Viucent-de-Paul.
Les rogations ont eu lieu cette année
avec beaucoup de solennité aux environs
de Bruxelles.
Partout un nombreux cortège de fidèles
suivait dans le recueillement les procès-
sions, implorant les grâces du Ciel sur les
fruits de la terre.
Un accident, dont les conséquences eus
sent pu être déplorables au delà de toute
expression, est arrivé mardi dernier au
chemin de fer.
S. M. la Reine revenait de Verviers par
un train spécial qui traversait la station
d'Ans, vers 5 heures et demie, lorsque, par
suite d'une manœuvre que l'on ne sait en
core comment expliquer, le train royal fut
pris en travers par un convoi public qui
entrait au même instant.
Les quatre voitures composant le train
royal furent, surtout les deux premières,
assez fortement endommagées. Par un bon
heur providentiel, S. M. la Ileine ne reçut
pas même de contusion, et son premier soin
fut de s'informer de l'état des voyageurs
du convoi public et des personnes de sa
suite.
Aucun voyageur n'a été atteint; mais,
parmi les personnes de la suite de S. M.,
trois ont été blessées; ce sont le général
Chazal, le sieur Carbonelle, sommelier, et
un valet de pied.
Le général d'Hane de Steenhuyze et M"*
la baronne de Strassaert n'ont essuyé que
de légères contusions.
Une enquête sévère est ordonnée sur les
causes de cet accident. (Moniteur.)
L'Indépendance, en confirmant cette fâ
cheuse nouvelle, y ajoute les détails sui
vants
Nous avons appris que M. le général
Chazal a été assez grièvement blessé; il a,
dit-on, une côte enfoncée; on nous a tou
tefois assuré que son état n'inspire pas de
vives inquiétudes.
M. le général d'Hane a reçu une contu
sion la tête. Un des fourriers du palais a
eu le bras cassé.
S. M. est arrivée mardi soir au château
de Laeken.
.M. le général Chazal a été transporté
Liège.
Ce cruel événement a eu lieu entre
deux et trois heures de l'après-midi; une
locomotive est partie immédiatement, por
teur d'une lettre de la Reine pour le Roi
qui devait passer la nuit Deutz (Cologne),
et qui aura reçu la triste nouvelle vers sept
heures du soir.
La Heine a été admirable de dévouement
et de tranquillité d'esprit.
soq œuvre de destruction par une hécatombe humaine, par
une de ces orgies de sang qui dépassait tout ce que l'histoire
nous a légué d'horrible; il fallait bien que ce dévoué patriote
pût donner la France uue haute idée de son civisme.
Il restait dans les cachots quelques centaines d'aristocrates
ou soupçounés de l'être, qui attendaient, résignés en silence,
qu'on vint les mener au supplice. Voici l'ingénieux moyen
qu'imagina Collot pour se débarrasser, d'une fdçon plus expé-
ditive, de tous les brigands qui mangeaient encore le pain de la
République, et qui nécessairement étaient une charge pour elle.
Le 5 décembre midi, il fit extraire des cachots ao5 infor
tunés qui n'eurent pas même le triste avantage de paraître
la barre républicaine. Ils descendirent tous, deux deux et
lentement les dégrés de 1 Hôtel-de-Ville. Puis on les rangea
sur trois files au milieu de la place des terreaux, en avaru de
la guillotine, précisément sous les fenêtres des représentants
de la Convention ils étaient escortés par un piquet de cavalerie
et par cent cinquante dragons du nouveau régiment. Une foule
immense s'était ruée sur la place, et sans cesse la cavalerie la
faisait refluer vers les rues adjacentes. C'étaient presque tous
des inontagnards-saus-culolles, têtes et bras nus, hideux et
menaçants. Ils étaient venu là parce qu'ils sentaient le sang qui
allait couler; aussi étaient-ils joyeux, tout eu proférant des cris
de mort et eu huilant pleine gorge leur inexorable Ça ira
Un jeune homme qui se trouvait là, comme curieux aussi, et
qui avait le malheur de faire contraste par l'élégance de sa
mise, fut aperçu d'un de ces groupes débraillés qui l'entourèrent
aussitôt.
Que fais-tu ici citoyen? demanda impérieusement l'un
des orateurs de ce club en plein veut.
Je viens voir exécuter les aristocrates.
Qui est-tu
Paul Detnarroy, voyageur.
Il en a menti, je le connais, c'est un agent des émigrés!
cria uue voix de la foule; mort l'aristocrate! mort! répon
dirent mille voix retentissantes, mort!
Le m. lin urcux étranger eut beau crier vive la république!
et piotester de son patriotisme, il fut l'iustant saisi par cent
mains calleuses, et déchiré, broyé sous les sabots de ce peuple
en délire.
La première syllabe de.sou nom, qui pourtant n'était pas uue
particule, avait aussi été la cause de cet affreux assassiuat.
Collot-d'Herbois, qui, de sa fenêtre, eu avait été le témoin,
dit avec enthousiasme Maribon-Montaut
Allons, ça ira, le civisme commence Commune* Affran
chie, qu'en penses-tu, citoyen
Celui-ci ne lui répondit pas, il régardait une autre scène qui
se passait en même temps, mais plus attendrissante. Une jeune
femme vêtue de noir, pâle, éclievelée, s'était fait passage
travers les royalistes qu'on allait égorger; un de ces proscrits
Pavait reçue dans ses bras et la tenait convulsivement serrée
avec un enfant de cinq aus blond et souriant, qu'elle avait en
traîné avec elle. C'était un vieillard que le proscrit; et sa fille
bien-aimée venait lui rendre cet hommage suprême quelques
pas de sa tombe; il fut ému d'abord; des larmes coulèrent sur
ses joues ridées il embrassa la femme et l'enfant l'une pleurant
comme lui, et l'autre regardant naïvement et avec quelque
surprise sou grand papa dont la barbe était longue, souillée, et
ACCIDENT ARRIVÉ SL R LE CHEMIN DE FER AU CONVOI
ROYAL.
la face décharnée.
Une pensée soudaine vint rembrunir le front dç ce malheu
reux père; il venait de voir et de reconnaître la fenêtre le
farouche Collot, ricanant côté du représentant Maribon.
O ma fille, ma bonne Marguerite, adieu! va-t-en, tu
te perds, adieu Collot le regarde Et d'un sigue il avait indiqué
l'Hôlel-de-Ville.
A ce nom de Collot, une pensée était venue aussitôt cette
courageuse jeune femme, pensée noble, mais désespérée.
Un instant après, Mrac de Seuset-Duperré était aux genoux
des conventionnels, implorant pitié pour son père, M. Doverli,
qui n'avait d'autres torts que son âgé, sa fortune et l'alliance de
sa fille avec M. Senzet qui, un des premiers après le siège était
monté la guilloliue.
Pendant ce temps ou avait fortement lié les deux cents roya
listes, et, pour mener boune lin la féroce conception de
d'Herbois, on avait eu soin de les attacher tous, les mains der
rière le dos, un câble, où pas un ne faisait un mouvement qui
ne se communiquât immédiatement au dernier; c'était comme
une chaîne de galériens...
Toutes ces victimes d'une cruauté ombrageuse faisaient piété
voir' Elles allaient toutes mourir, sans procès, sans condam
nation! Ou n'osait encore y croire, et cependant le drame allait
commencer et finir! Il y avait là de nobles vieillards, des
hommes la fleur de l'âge et pleins d'un glorieux avenir, des
femmes jeunes et belles qui avaient voulu s'attacher au sort
des leurs! Ah! c'était poignant voir! mais du reste, pas un
cri, pas une plainte ne sortirent de celte foule résignée.
Pour être continue.)