JOURNAL D YPRES ET DE L ARRONDISSEMENT.
>0 3132.
31me année.
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VÉRITÉ ET JUSTICE.
- - - .itJ,
6 OCTOURE,
DU LIBRE ÉCHANGE.
Il y a déjà plusieurs jours que Bruxelles a vu
se réunir dans son sein un congrès d'éconoinisles,
composé en grande partie de membres étrangers.
On y remarquait beaucoup d'Anglais et de Fran
çais, des Italiens, des Allemands, un représentant
de l'Ohio et quelques Belges. Les ministres de l'in
térieur, de la justice, des finances et des travaux
publics ont assisté a quelques séances.
Les doctrines du libre échange y ont trouvé de
nombreux partisans, tandis que très peu d'orateurs
ont défendu la cause de la protection a accorder au
travail national. Quelles conséquences faut-il tirer
de l'absence des uns, de la multitude des autres?
L'opinion la plus générale des hommes compétents
et experts a-t-elle voulu se prononcer pour la plia-
lange des libres échangistes contre les défenseurs
du protectionismeLe supposer, serait, nous pa
rait-il, tomber dans une erreur très grande. Quel
ques reflexions conduisent a des conclusions toutes
différentes. Si les défenseurs du libre échange,
comme l'a fait remarquer M. Duebateau, peuvent
prendre la parole partout, puisqu'ils parlent au
nom de la fraternité universelle, il n'en est pas
ainsi des défenseurs du système protecteur, qui,
parlant au nom d'intérêts nationaux, ne peuvent
point aller prendre la parole au delà des fron-
tières. D'ailleurs puisque, de l'aveu implicite
de ses plus chaleureux disciples, les théories du
free-trade ne sont pas réalisables, la question re
lative a leur exécution pratique n'ayant pu obtenir
une solution quelconque, est-il étonnant que peu
d'hommes se soient attachés combattre des idées
plus ou moins chimériques.
Maintenant que veulent les libres échangistes?
Pour l'apprendre jetons un coup d'oeil rapide sur
les débats qui ont eu lieu. Le but des libres
échangistes, c'est M. De Brouckere, président du
congrès, qui s'efforce de l'établir, est la fraternité
entre tous les peuples. Pour la première fois, dit-il
en s'adressant l'assemblée, vous verrez chercher
a mettre en pratique le précepte de Dieu aimez
vous les uns les autres. Mais est-on bien assuré
d'atteindre le but humanitaire que l'on croit aper
cevoir et d'obtenir, pour résultat, une égalité plus
complète entre les nations différentes, en brisant
les barrières qui ont toujours protégé dans de
justes mesures, les droits des faibles contre les
empiétements des plus forts. Dans l'état d'inégalité
ou les siècles passés, les événements politiques ont
distribué eu Europe les ressources, les connais
sances industrielles, les moyens de produire, la
Belgique, par exemple, peut-elle avec avantage,
faire du libre échange avec l'Angleterre. Cette
observation fut présentée par un journal de Brux
elles. Ce n'est pas y répondre par un argument
solide que d'opposer, avec M. Faider secrétaire du
congrès, aux ennemis de la liberté commerciale,
la libre production et le libre écoulement. Car
pour nous servir du raisonnement qu'a fait valoir
M. Rissinghausen,tel peuple comme tel Individu,
possède des facultés que son voisin ne pos-
sède pas... De la vient l'inégalité industrielle
comme l'inégalité individuelle— Et la libre
concurrence entre pays amène les mêmes ré-
sultats qu'entre individus, le plus riche et
surtout le plus habile ruinera les autres. L'au
torité d'un partisan du système nouveau confirme
encore ce qui vient d'être exposé. Avec le
libre échange, disait M. Ramon, le plus habile
l'emportera et entre les habiles, le peuple soumis
une aristocratie financière l'emportera a sou
tour. Ainsi une nation dont l'esprit créateur
serait plus puissant ou qui se verrait placée dans
des conditions plus favorables parviendra a placer
ses produits dans les autres pays au détriment des
industries nationales encore trop peu vivaces et
incapables, si elles ne trouvent d'abord quelque
appui hors d'elles-mêmes, de soutenir la lutte avec
les industries étrangères, rivales et plus fortes. Loin
de faire régner une égalité plus parfaite entre tous
les peuples, comme les free-traders le font entre
voir, le système de laisser faire et de laisser passer
amènerait pour dernière conséquence, l'anéantis
sement du travail national dans les pays d'une force
industrielle inférieure et par suite la diminution ou
la ruine du bien être de la classe ouvrière.
Le libre échange, s'est écrié le docteur anglais
Bowring, ne tue aucune grande industrie, aucune
industrie normale.))Eh bien soit, admettons le pour
un moment. Mais des circonstances peuvent se pré
senter où il deviendrait nécessaire ou éminemment
utile d'opposer a une industrie étrangère et pleine
de vigueur une industrie du même genre, nationale,
nouvelle. Tel serait le cas, si un peuple était tombé,
pour l'usage et la consommation de certains pro
duits sous la sujétion onéreuse d'autres peuples. En
théorie, la libre production étant admise, on ne
prévoit pas de difficultés sérieuses. Il en est tout
autrement dans la pratique. L'industrie croissante
exigera de plus grands sacrifices, l'emploi d'im
portants capitaux et par ce motif le prix de revient
de ses produits devra être plus élevé. Or, si les
avantages que peut lui procurer une protection
sage et éclairée ne viennent alors la soutenir, au
moins jusqu'à ce qu'elle ait atteint un état normal,
elle ne pourra lutter d'aucuue façon, non seule
ment elle sera incapable de prendre des dévelop
pements, mais la supériorité de sa rivale l'écrasera
son origine. Les principes d'une liberté absolue
serviront ainsi déguiser le joug d'un monopole
dont il sera impossible de s'affranchir.
Dans sa troisième et dernière séance le congrès
a agité une question fort importante; celle de l'in
fluence du libre échange sur les classes laborieuses
de la société. La discussion en a été longue. Nous
nous bornerons a rapporter textuellement les pa
roles d'un adversaire déclaré du régime prolecteur.
Son opinion, formulée avec une netteté et une
franchise peu favorables a la cause qu'il voulait
défendre, en sera d'autant moins suspecte. Elle en
acquerra une autorifé plus grande. Je pense, a
dit M. Debehr, que les ouvriers seront aussi
malheureux sous le système du libre échange
qu'ils le sont aujourd'hui, car la concurrence de-
)i venant plus grande amènera plus encore qu'au-
jourd'hui la réduction des salaires. Le nombre
des machines deviendra plus grand. Ce seront
toujours les ouvriers qui seront victimes... Si le
libre échange est établi, on fera tout pour dimi-
nuer le prix de revient et les ouvriers s'en res-
sentiront. Malgré ces paroles concluantes et
fondées sur une expérience déjà longue, la majorité
des libres échangistes a fini par résoudre la question
dans un sens affirmatif.
Après avoir rappelé les faits qui ont été ex
posés, les arguments que l'on a fait valoir dans
le cours de ces discussions, demandons nous
quelles seraient les conséquences du libre échange,
pour ce qui concerne notre pays. Nous devons
convenir avec M. David, de Copenhague, libre
échangiste, qu'une crise et une grosse crise serait le
résultat immédiat de l'application du libre échange
a l'industrie linière. Pour nous qui avons dù voir,
depuis quelques années déjà, le triste spectacle des
effets désolants que l'affaiblissement de cette in
dustrie autrefois prospère a amenés dans les deux
Flandres, nous reculons devant un régime qui em
pirerait encore cette situation déplorable. L'avan
tage que nous offre la production de la matière
première n'empêche pas les Anglais d'arriver au
milieu de nous avec leurs produits. Nous paierions
la toile fabriquée en Angleterre un peu moins cher
que celle qui se travaille aujourd'hui dans les
Flandres; comme on en fait la remarque, les
libres échangistes s'en applaudiraient, mais quelle
compensation les libres échangistes ont-ils a offrir
a notre population de la Flandre. Que les Anglais
viennent nous dire avec M. Bowring que si le
monde ne veut pas de ce qu'il nomme le progrès
commercial, V Angleterre le veut pour elle elle
dira au monde tant pis pour vous. Libre a
l'économiste anglais de proclamer que pour les
nations comme pour les individus le temps est
venu où ils verront leur bonheur dans la pros
périté dhautrui... Qu'il espère pouvoir dire
au parlement anglais et au peuple qu'il a vu