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et qui, je l'espère, ne trouveront pas de contra
dicteurs sur ces bancs. Malheureusement, ils ont
été méconnus dans la pratique.
A quoi aboutit, en dernier résultat, la discussion
actuelle? Trois svstèines sont en présence tout
par l'Étaltout par la liberté concours de tous
les efforts pour que la plus grande somme de bien
se fasse dans la société.
M. le Ministre des finances l'a dit tout a l'heure
avec une franchise h laquelle je rends hommage, le
système du gouvernement, c'est tout par l'État,
tout par les institutions qu'il a fondées. Il est im
possible qu'à côté de ces institutions de l'État
viennent s'eD placer d'autres.
L'on nous dit, avec un sérieux que j'admire,
qu'un tel système a donné un grand développement
h la charité publique. Comment! vous avez deux
manières de faire le bien; vous en excluez une et
vous dites qu'ainsi vous avez donné a la charité
une rapidité, un élan extraordinaire!
Nous voulons qu'à côté de la charité, h côté de
la bienfaisance exercée au nom de l'État, puisse se
placer, dans certaines circonstances, avec certaines
garanties, l'intervention de la bienfaisance privée.
Et ce n'est pas trop que de permettre la réunion
des efforts de tous, en vue des misères qui vont plus
vile que tous nos efforts, qui grandissent plus vite
que la bienfaisance prête a les soulager.
On nous cite des abus. Mais quand on veut lire
l'histoire, il faut la lire a toutes ses pages, il ne faut
pas envisager quelques abus, mais voir tontes les
graudes choses qu'a faites autrefois la charité chré
tienne.
Vous avez fouillé dans les archives des hospices
de Bruxelles. Examinez les archives de tous les
hospices du royaume, vous verrez l'origine de tant
de fondations. Jetez les yeux sur les dotations de
tant d'établissements de bienfaisance, et vous verrez
que si votre système avait existé depuis quelques
siècles, comme il n'existe que depuis trois ans, nos
pauvres en seraient réduits h attendre longtemps
encore la première pierre de l'asile où ris sont reçus.
Nous voulons que la charité légale subsiste.
J'irai plus loin avec vous, si j'avais a exercer sur la
volonté d'un donateur une influence quelconque,
je lui dirais Donnez plutôt aux administrations
existantes surveillées par l'État.
Mais s'il ne se rendait pas ces conseils, je lui
dirais Donnez d'une autre manière; car mieux
vaut que les pauvres reçoivent par la charité libre
plutôt que de ne rien recevoir. Je ne dis pas Pé
rissent les pauvres plutôt qu'un principe
Et quel principe!
Si vous me dites qu'a l'époque antérieure 1789
on ne trouvait aucune garantie suffisante dans l'or
ganisation de la société, vous avez raison; tonte
l'histoirs le prouve. La multiplicité des édits contre
les gens de main-morte démontre l'impuissance
des précautions prises a cette époque.
Mais ne méconnaissez pas la force de nos mo
dernes institutions: nous jouissons d'institutions
libres parce que tous les droits trouvent leurs ga
ranties, tous les devoirs leur sanction.
Lorsque vous parlez d'abus, vous vous méfiez
de ce dernier était généralement connue; en un
clin d'oeil, il devina tout. Il vit clair son tour
dans ces profusions inouïes qui, depuis six mois,
avaient changé la maisou de son ami en une salle
de festins; il s'expliqua enfin, par l'abus de.con-
fiance dont se plaignait Osman, le luxe, les fleurs
et les folles musiques de Nuh-Effeudi, et ne put
se défendre d'avouer h ce dernier qu'il était con
vaincu que le dépôt du pèlerin avait payé toutes
ces coupables prodigalités.
Il est inutile de dissimuler plus longtemps,
Nuh-Effendi, ajonta—t—il, espérant ramener son
ami h un aveu qui aurait déjà de beaucoup amoindri
sa faute. Allons, confesse légalement tes torts, et
tu pourras te les faire pardonner.
Mais ces efforts furent superflus; l'hoggia se
montra inflexible, et persista dire qu'il n'avait
rien reçu des mains d'Osman.
Un aveu vaudrait mieux, dit Sidi-Aga, mais
puisque rien ne peut te l'arracher, songe a ce pro-
veibe de notre pays
M—
de vons-mêmes. En plein xix" siècle, vous calom
niez la société, l'organisation actuelle de la société.
Comment voulez-vous que des abus tels que
ceux qu'il y avait au temps de Marie-Thérèse et
de Louis XV puissent se renouveler! Mais exa
minez quelle est la force dont vous disposez, quelle
est la sanction inévitable de toutes les dispositions
que vous prenez. Aucun de ces abus ne peut re
venir vos précautions n'ont pas de raison d'exister.
Du reste, nous nous associerons a vous pour don
ner toutes les garanties nécessaires dans l'intérêt
des familles, de l'ordre public, de la société.
A entendre certains orateurs, on défendrait ici
un intérêt clérical. Non, messieurs, l'intéiêil que
uons défendons, c'est l'intérêt de la société, du
pays, l'intérêt des familles; nous voulons que le
bieu puisse se faire, que les familles, quand elles
veulent consolider un acte de bienfaisance, en
trouvent le moyen dans votre législation.
Comme le disait tout a l'heure mon honorable
ami M. De Decker, la charité sans le droit d'établir
des fondations moyennant les garanties et condi
tions établies par la loi, ce n'est pas la charité, c'est
l'aumône; pour que la charité puisse librement se
manifester, il faut recounaitre le droit de faire des
fondations.
Quel serait le principe de cette législation Vous
me permettrez de donner en aumônes une fortune
considérable; et je ne pourrais faire que ce bien
profilât, non-seulement la génération actuelle,
mats qu'il soit assuré toujours?
Ne nous perdons pas dans des questions d'inter
prétation de textes, dans des difficultés de légistes;
sachons être ici ce que nous sommes, soyons légis
lateurs. Voyous, non pas ce que les lois peuvent
recevoir d'interprétation, mais quel est le but vé
ritable de toute législation.
Depuis i85o j'ai vu la conciliation s'opérer sur
de plus grands intérêts. Je l'appelle de tous mes
vœux sur celui-ci j'espère qu'elle s'opérera, lors
que la discussion sera franchement abordée et j'y
concourrai de tons mes moyens.
Mais je repousse avec énergie uo système d'in-
lerprétaiiou qui ne permet personne de connaître
avec certitude quels sont ses droits et qui paralyse
les généreuses inspirations de la bienfaisance.
Quaud ce débat s'ouvrira, je combattrai, au point
de vue de l'intérêt du pauvre, le système de la cha
rité laïque exclusive.
M. Okts. Je demande la parole.
M. Malou. Quand je dis le système laïque, je
ne voudrais pas que cette parole fût mal inter
prétée.
Je combats le système qui proscrirait l'interveu-
tion de l'idée religieuse dans la bienfaisance.
Voyez ce qui se passe: lorsqu'une calamité
quelconque sévit dans notre pays, n'est-ce pas le
clergé que vous trouvez partout rendant aux mal
heureux de nombreux, d'incontestables services
Après des calamités, n'est-ce pas lui que vous
avez décerner des récompenses?
Et vous ne voudriez pas que l'idée religieuse
pénétrât auprès des pauvres en inêuie temps que
le secours!
La peau du renard vient toujours la
boutique du pelissier.
Ce disant, il salua son hôterêt disparut.
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LE CIltVD VISIR.
A quelques jours de l'a, le pauvre Osman, ne
pouvant plus maîtriser son chagrin, prit une réso
lution extrême; il se fit introduire au divan et de
manda une audience Hussein-Pacha, grand visir
du sultan Amuralh. Rendant avant tout hommage
a la vérité, il lui exposa comment les choses s'é
taient passées, et le supplia d'user de moyens
conciliateurs plutôt que de châtiments.
Hussein-Pacha passait pour un personnage du
plus grand sens et était sans contredit un ministre
éminent; ou citait par toute la Turquie sa science
aussi bien que sa sagesse.
Qui nous amène Osman le pèlerin? dit-il.
Une révélation h vous faire.
Songez donc l'origine même de celle charité;
songez aux bienfaits qu'elle a procurés la société,
et ne lui enlevez pas le plus précieux, le plus saint
de ses attributs, celui de faire pénétrer, en même
temps que le secours matériel, les consolations de
l'âtne au milieu des douleurs de cette vie. Laissez
la charité religieuse sou noble caractère, sou libre
développement.
Il y a là aussi une grande pensée d'intérêt pu
blic. On s'applaudira peut-être un jour «l'avoir
secondé, d'avoir fortifié ces idées religieuses qui
apprennent au pauvre la résignation chrétienne,
qui lui enseignent, en vue d'un monde meilleur, h
supporter l'inégalité des conditions sociales.
Je regrette,.messieurs, que le gonvernemenl pa
raisse vouloir contester la prise en considération
du projet. Le gouvernement a nommé une com
mission; l'honorable Ministre de lu justice recon
naît qu'il y a quelque chose faire, et il ne veut
pas prendre en considération une simple idée, un
principe qui seta modifié, qui, d'après ce que l'ho
norable auteur de la proposition vient de dire
lui-même, serait soumis simultanément avec la
proposition du gouvernement un examen dans
les sections.
En quoi cela peut-il blesser l'initiative du gou
vernement Quelle question est préjugée contre
lui? On nous dit bien qu'on n'accepte pas la prise
en considération; mais je voudrais qu'on eut la
bonté «l'en donner les motifs. Je n'eu ai entendu
absolument aucun.
Ira-t-on jusqu'à dire, comme paraissait le vou
loir soutenir tout-à-l'heure l'honorable Ministre
des fioauces, que la proposition est inconstitution
nelle?
M. Frère, Ministre des finances. Du tout, je
ne dis pas cela.
M. Malou. Vous invoquez les discussions du
Congrès, pour soutenir que l'on vent, eu vertu de
la proposition de l'honorable M. Du Mortier, ré
tablir précisément le contraire de ce que le Congrès
a voulu.
M. Frère. Ministre des finances. Vous m'avez
mal compris, permettez moi d'expliquer ma pensée.
J'ai dit qu'on nous accusait de reveuir sur les
idées du Congrès, sur les Idées de liberté du
Con grès; et j'ai démontré, je pense, en citant les
discussions du Congrès et des votes formels, qu'il
n'avait pas voulu, sous le manteau de la liberté
d'association, consacrer la constitution de personnes
civiles, et qu'il n'avait pas voulu non plus le sys
tème de fondation dont vous parlez en ce moment.
M. Malou. Je connais, Messieurs, cette décision
du Cougrès. Elle a abouti ce seul résultat, que le
Congrès n'a voulu admettre aucune opinion ex
clusive; qu'il a laissé la législature le soin de
régler tout ce qui concerne les personnes civiles.
Le Congrès n'a décidé que cela. Il y a des opi-
nioos extrêmes dans un sens comme dans l'antre;
l'honorable M. de Sécus voulait que les associations,
par cela seul qu'elles se constituaient, fussent per
sonnes civiles l'opinion contraire tendait inter
dire la législature même le droit de constituer des
personnes civiles.
Les ministres de cet empire ne doivent avoir
d'oreilles que pour les fidèles sujets de Sa Hau-
tesse. Parlez, je vous écoule.
Osman n'omit rien. Lorsqu'il eut terminé son
récit, le grand visir, voyant que cette affaire était
délicate et que llioggia pouvait facilement nier
une convention qui s'était passée sans témoins,
dit au pèlerin qu'il piît patience et qu'il en parle
rait au grand-seigneur lui-même; ce qu'il fit.
L'histoire rapporte que le sultan Amuralh sa
vait être aussi dissimulé que cruel. A11 rapport qui
lui fut fait, il se sentit plein de défiance; il com
manda, en conséquence, Hussein-Pacha, de bien
ménager l'affaire, dont il voulait savoir la vérité,
d'envoyer quérir le docteur de la loi, de faire
amitié avec lui et de lui donner l'espérance d'être
employé en des choses importantes.
Sans s'arrêter davantage aux plaintes d'Osmau,
et afin de se conformer aux ordres qu'il avait reçus
de son maître, le grand visir fit un matin venir le
docteur auprès de lui.