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JOURNAL D'TPRES ET UE L'ARRONDISSEMENT.
No 3496.
34mc année.
Il n'est guère possible, a dit un écrivain
respectable, de fixer la quantité de sub
stances alimentaires qui, dans un temps
donné convient aux divers estomacs, tant
il y a de la différence dans leur capacité,
dans leur énergie, dans leur exigence. Le
fait suivant qui vient de se passer dans no
tre ville, et qui, s'il venait se généraliser
pourrait valoir notre milice citoyenne le
nom de garde bachique au lieu de garde
civiquene confirme que trop cette sentence.
Dernièrement sept gardes du bataillon
actif de la cité, parmi lesquels on comp
tait, dit-on, un sergent-major, se trou
vaient attablés dans l'estaminet: le Chemin
de Fer. Après s'être entretenus de mille et
une choses sur lesquelles l'accord était
parfait, la conversation tomba sur un
point qtii excita une divergence d'opinion
assez tranchée. La question du reste n'était
que de pure pratique gastronomique Il
ne s'agissait que du défi fait par six gastro-
litres, de livrer bataille, avec assurance
de succès, contre douze kilos de viande48
terres de bièreet 7 bouteilles de vin.
Tant de forces combinées contre six es
tomacs, c'est là, ne le dira-t-on pas, pour
nos gardes civiques vouloir courir la mort
en face, avec le même sangfroid qu'une
vieille moustache de l'empire! N'importe;
nos hommes ne se firent aucun compte du
danger; le sergent-major seul, quoique
véritable Jean sans Peur n'osa suivre les
guerriers sur le champ de bataille. Cepen-
LE DUEL DU CURÉ.
dant afin d'avoir un échantillon de leur
savoir-faire il s'engagea bravement payer
les frais de l'expédition s'il se faisait que
ses hommes revinssent victorieux de la
lutte. La gageure fut acceptée et le jeudi
soir, les six gardes se rangèrent en ordre
de bataille, au susdit cabaret. Au premier
choc les rôtis et les aîles de poulets plièrent
et furent passés au fil des fourchettes et
des couteaux. Les croûtes de pain eurent
le même sort, et les 48 verres de bière
avec les 7 bouteilles de vin furent égorgés
gloutonnement dans l'espade de quelques
quarts d'heure. Pour se remettre de leur
fatigue, les vainqueurs Se firent servir de
quelques tartines avec du fromage, qu'ils
mangèrent avec appétit au nez de leur
poltron de sergent; après quoi chacun se
retira sous sa tente non sans éprouver l'in
convénient de voir les jambes lui refuser
le service ordinaire, vu la surcharge qui
leur était imposée. Jean sans Peur paya son
pari, dont les frais ne dépassèrent pas 30
francs, et s'en fut conter la chose son
épouse, jurant mais un peu tard qu'on ne
le prendrait plus. Communiqué.)
Quand un malheur frappe l'homme, et
qu'il le supporte avec courage, sans se
laisser abattre, outre qu'il satisfait Dieu,
en ne murmurant point contre l'épreuve,
on peut dire que la perte essuyée se trouve
déjà par là même diminuée de moitié. L'in
cendie de Dimanche, qui a dévasté la mai
son de M. Brunfaut, a été sans doute un
désastre immense, mais l'activité indus
trielle de la famille honorable si cruelle
ment atteinte dans ses intérêts, saura avec
l'aide de la Providence réparer par son
énergie le coup inattendu dont il ne lui
était pas donné de se préserver.
Dimanche avant quatre heures du matin,
le feu éclaté dans le magasin de dentelles,
n'avait laissé M. Brunfaut, que le temps
de se sauver par derrière avec son épouse
et ses enfants. Des cris dans la rue de Lille
attirèrent l'attention du guetteur de la tour
de S1 Martin, le tocsin mit bientôt la po
pulation en émoi, les pompiers arrivèrent
avec leur matériel, et chacun se mit l'ou
vrage pour combattre l'élément destructeur
sous la direction des autorités. Malheureu
sement le feu avait déjà exercé l'intérieur
de grands ravages. L'escalier et les meu
bles des appartements, les précieuses mar
chandises qu'ils renfermaient, tout brûlait
comme dans un four avant que la flamme
eût fait son apparition sinistre au dehors.
L'intensité de la chaleur et de la fumée ne
laissait aucun accès par la porte de devant.
Toutes les maisons du voisinage fournis
saient de l'eau, de doubles rangées d'hom
mes se la transmettaient de divers cotés
avec célérité, les pompes jouaient avec force
et néanmoins lelugubresifflement des flam
mes continuait toujours. Elles avaient fait
sauter les vitres et se fesaient jour par les
fenêtres. Envahissant les étages supérieurs,
on les vit avec une vitesse incroyable ga
gner la charpente, et s'élever deux fois
la hauteur d'un homme pardessus le toit.
Des échelles de diversesdimensions étaient
dressées contre la façade, des pompiers
grimpèrent sur la corniche et de là ver
saient des colonnes d'eau sur le brasier.
Les militaires rivalisaient de zèle avec les
bourgeois. On en a entendu un petit nom
bre, faut-il le dire? dont les blasphèmes
deshonoraient l'uniforme et le dévouement
de la troupe. Il faut absolument que celte
infâme habitude soit extirpée de l'armée:
son honneur intéresse vivement les chefs
y tenir strictement la main. Qu'y a-t-il
de plus intolérablequed'entendre outrager
Dieu la lueur effrayante d'un incendie?
Comme on exprimait la crainte que le feu
ne se communiquât au Couvent de Lamotte,
un soldai répondit: pour ces nonnes, c'est
VÉRITÉ ET JUSTICE.
On s'abouue a Y près, rue de Lille, io, près la Grande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIE DE I/ARDKKEMENT, par trimestre,
Ypres fr 3. Les autres localités fr 3 5o. Un n" a5.
Le Prspagatear paraît le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine. (Insertions 19 centimes la Ligne).
7PRSS, 2 Avril.
comment on tranche a l'amiable une question
intéressante.
(Suite.)
En homme expérimenté, le curé soupçonna qu'il
y avait peut-être l'a quelque motif secret prenant
sa source au cœur. Dans sa prudence, il résolut de
s'éclaircir sur ce point k la première conférence
au pavillon. L'occasion se présenta le lendemain.
Pour mieux disposer le jeune homme a s'épancher
librement avec lui, il se décida, suivant sa maxime,
a en donner lui-même l'exemple.
La conversation était engagée, depuis quelques
instans, sur la carrière militaire.
Monsieur le curé, dit Valentin en souriant,
et avec un peu d'hésitation, il est une chose que je
n'ai pas encore osé vous demander...
Je te vois venir, curieux, interrompit le malin
pasteur; tu désires savoir pourquoi, après avoir
cherché un généralou tout au moins un colonel,
tu n'as trouvé h la fin qu'un modeste curé de cara-
pagne. Je ne t'en ferai pas plus longtemps le mys
tère; tu vas tout savoir.
Pendant mon séjour k Alger, je fréquentais une
famille charmante et honorable sous tous les rap
ports; une fille unique en faisait la joie et l'orne
ment; elle réunnissait tout pour cela.
Je n'avais jamais songé au mariage; l'idée m'en
vint alors. Néanmoins, je me gardai bien de la lais
ser voir, car mes vœux me semblaient trop au-
dessus de ce qu'il m'était permis d'espérer.
Mais il n'était pas difficile, apparemment, de
lire au fond de mon âme, car le père de la jeune
personne devina ma pensée et viol au devant de
la demande que je n'aurais jamais osé lui exprimer.
Sa démarche me causa d'autant plus de bonheur
qu'il ne s'y était décidé qu'après avoir consulté le
goût de sa fille.
Dès lors, j'envisageai ce mariage comme l'heu
reux terme de toutes mes ambitions. Il était k la
veille de se conclure, quand nne maladie aiguë
eoleva celle qu'on allait me donner pour épouse.
Ici le pasteur mit un moment la main sur ses
deux yeux, après quoi il continua avec une voix
sensiblement altérée
Mon désespoir fut si grand que le général
qui me portait intérêt demanda au minisire, de rne
faire quitter l'Algérie. Je revins k Paris où je fus
attaché k l'état-major de la place.
Mais le chagrin me suivait partout. Le découra
gement s'était emparé de moi au point que, ne me
sentant plus assez d'énergie pour remplir mes de
voirs militaires, je résolus de quitter le service.
Sur ces entrefaites, une pensée religieuse vint
tout k coup relever un peu mon courage. D'abord
je l'attribuai au hasard; j'ai reconnu depuis que
Dieu me l'avait envoyée. A mesure que je m'iden
tifiai avec elle, je sentis mon âme reprendre ses
forces. Ce qui se passa en moi alors doit demeurer
le secret de ma conscience et ne peut intéresser
personue.
Finalement, je quittai le monde et me séparai
de mes amispour entrer dans un séminaire, d'où
je ne suis sorti qu'avec le caractère dont tu me vois
revêtu.