JOURNAL D'YFRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
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No 3501.
34me année.
7PB.BS, 19 AVRIL.
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De tout temps, les doctrines subversives
ont pris les noms les plus pompeux pour
séduire la multitude. Aussi ont-elles en
traîné mainte fois non seulement la classe
ignorante du peuple et l'inexpérience pré
somptueuse d'une jeunesse légère, mais
encore une foule d'hommes graves qu'une
éducation mal assise, ou une ambition
désordonnée, ou l'antipathie pour la vérité
et la vertu qu'engendre la dissolution mal
expiée des premiers temps de la vie, ou
un instinct d'indépendance obéit sans dis
cernement, ou l'exemple du grand nom
bre et la singularité attachée des résis
tances isolées, courbait vers les idées cou
rantes. C'est ainsi qu'on a vu des nations
entières livrées l'exploitation des plus
extravagantes théories. Pas un séducteur
n'a négligé de proclamer les innovations
les plus heureuses et les plus grandioses
l'histoire est remplie de ces déceptions
toujours crues. Pour ne pas remonter
des temps plus reculés, Luther apportait
la liberté et la paix qu'allait engendrer la
religion affranchie des formes gênantes, et
laissée l'examen individuel. L'Allemagne,
la Suisse, et plus tard l'Angleterre furent
inondées de sang. Calvin, imitateur d'une
audace qui menait sûrement la célébrité,
étendit le nivellement des dogmes, ren
versant la hiérarchie sous la règle d'une
tolérance absolue, qui ne l'empêcha point
de faire brûler vif son antagoniste Servet.
La guerre civile ne tarda pas de faire payer
cher la France le malheur d'avoir et là
prêté l'oreille aux perfides suggestions des
novateurs;etl'onsaitquelleformidablelutte
de quatre vingts ans, suite des dissentions
de doctrine,sépara violemment la Belgique
de la Hollande, deux pays entre lesquels
il y avait auparavant une complète homo
généité. Les efforts des Puissances n'ont
pas réussi la rétablir, même trois siècles
après, comme l'a prouvé la révolution de
4830. Les chefs des diverses réformes
avaient porté les premiers coups de mas
sue la prospérité des nations modernes:
ils furent suivis, comme conséquence lo
gique de leurs efforts enhardis, des con
tempteurs de toute religion positive, de
Kousseau, de Voltaire, des encyclopédistes,
et de Diderot de d'Helvetiusqui franchirent
le pas de l'athéisme.
Avec l'impiété marchant le front levé sans
plus de retenue s'infiltraient dans la so
ciété le mépris de la morale et de l'autorité
civile. Dulaurens et Parny appartiennent
très bien par leur genre l'époque qui a
vu les dérèglements de laRégenceet bientôt
les horreurs de la révolution.
C'est pourtant le libéralisme tel qu'il
s'appuie encore sur une tolérance pré
tendue, sur un laisser aller indéfini en fait
de religion et de morale, qui est l'héritier
direct de toutes ces infamies. En vain il
renie ses ancêtres, en vain if contrefait sa
voix, en vain il prend le manteau dé l'hy
pocrisie; chaque pas, ses accointances,
ses sympathies et ses aversions, trahissent
son origine, et aucun soin dé dissimuler
le mal, de le parer des apparences du bien,
de le déguiser en toute manière, n'empê
chera un mauvais arbre de porter de mau
vais fruits. Ainsi des élections que les
conservateurs abandonnent lâchement
la merci de l'activité libérâtre; ainsi de
l'instruction publique qu'une loi hostile
place déjà en dehors de l'influence de la
religion catholique, ainsi de la bienfaisance
dans laquelle on cherche extirper tout
vestige de charité chrétienne, ainsi de l'in
dustrie même et du commerce où prévaut
un système de centralisation dans quel
ques grandes villes au prix de la ruine des
campagnes. L'agricullurë destituée de la
protection douanière, écrasée par les im
pôts déjà existants et qui nous menacent
encore, néanmoins appelée son de tam
bour et de grosse caisse aux oripeaux des
expositions c'est le paysan dépouillé, cou
ronné de fleurs et exposé aux applaudis
sements ironiques de la foule. Mais le
propriétaire foncier,.Je. cultivateur aux
mains calleuses, le catholique convaincu
de la vérité de son culte, et donnant néan
moins son vote la politique nouvelle,
la politique du libre échange, la politique
de l'instruction sans prêtre avec le sarcasme
de l'invitation en plus, la politique qui
change les testaments de peur qu'une au
mône ne puisse être distribuée par les
mains du curé, la politique qui descend
en droite ligne du seizième siècle et court
bras dessus bras dessous la face du monde
avec Sue, avec Jacques, avec Michelet, avec
les aboyeurs la soutane, avec les francs-
maçons, avec les assommeurs des Jésuites,
avec les journaux dévergondés: c'est un
spectacle bien autrement déplorable, dont
le premier n'est qu'un coin, et qui n'offre
que trop souvent des symptômes de réalité.
Parce qu'on ne se compte et qu'on ne se
concerte pas en temps ordinaire, parce
qu'on ne réfléchit pas la portée des choix
politiques, parce qu'on écoule tantôt de
spécieux sophismes sur la séparation de
la religion et de l'état, tantôt de fallacieuses
intimidations, lecourage religieux manque
etlenergie civique aussi, et la victoire passe
au désordre, qui déjà ose jeter son nom
la face des vaincus.
La fête de Pâques occasionne d'ordinaire
la grande boucherie un empressement
et une encombre qui ne sont pas sans
danger. Un boucher, dans sa précipitation
pour servir les clients, a coupé ce malin
presque entièrement le poignet de la fem-
VÉRITÉ ET JUSTICE.
On s'abonne Y près, rue de Liiie, 10, près la Qrande
Place, et chèl les Percepteurs des Postes dn Royaume.
PRIX DE L'.tliax.lEnEXT, par trimestre,
YpreS fr 3. Les autres localités fr 3 5o. TJn n° 20.
le Propagateur paraît le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine, (insertions 19 centimes la ligne).
Depuis quelque temps déjà les journaux nous
ont instruit des démarches faites, au nom du gou
vernement Belge, près la Sublime Porte, l'effet
d'en obtenir l'autorisation requise pour rétablir
les deux tombeaux de Godefroi de Bouillon et de
Baudouin son frère. Notre chargé d'affaires, M. le
chevalier Blorideel Vao Caelebroeck vient de ter
miner avec succès cette négociation si éminemment
patriotique. Il appartenait de plein droit la Bel
gique régénérée de veiller sur les cendres de deux
de ses enfants dont les travaux et la noble exis
tence ont fourni sa glorieuse auréole ses rayons
.les plus purs et les plus éclatants.
Parti pour, la Terre Sainte, avec la première
croisade, alors que l'Occident se leva tout entier
la voix de Pierre l'ermite, Godefroid de Bouillon,
duc de Lothier, fut trouvé digne par ses compa
gnons d'armes d'être leur chef et de conduire la
conquête des Saints Lieux la fleur des guerriers
d'un siècle éminemment guerrier et chevaleresque.
On sait les exploits et les traverses qui signalèrent
leur héroïque entreprise, et le triomphe éclatant
qui le couronna. Godefroi, proclamé roi de Jéru
salem, refusa cependant de porter la couronne
d'or dans les lieux où son divin Maître n'avait
porté quune couronne d'épines Ie casque du che
valier chrétien était le seul diadème qui convint
ce front mâle et pieux, blanchi dans les nobles en
treprises.
Les historiens et les poètes ont tour tour cé
lébré les Croisades; pour comble d'honneur les
sophistes du dernier siècle les ont poursuivies de
leurs sarcasmes; mais la science moderne son
tour, faisant abstraction du but religieux qui en
fut l'objet, a démontré leurs conséquences heu
reuses pour la société et la civilisation
Durant ces religieuses jouruées de la semaine
sainte surtout, on aime reporter sa pensée vers
cette terre de Palestine, qui vit s'accomplir le sa
crifice expiatoire dont les offices de l'Église nous
retracent le douloureux mais consolant souvenir.
La pensée se reporte avec un pieux intérêt sur ces
âges de foi, où d'innombrables pélérios bardés de
fer, allaient dans de lointains climats aflronter la
mort sous ses faces les plus horribles, pour obéir
un héroïque instinct. On se rappelle avec une
légitime fierté que le sang des Belges, que le sang
de nos ancêtres a détrempé de ses flots ce sol qu'a
vait rougi le sang divin du Rédempteur
A l'ombre du saint Sépulcre, Godefroi et son
successeur Baudouin méritèrent de reposer. Pour
sa défense u'avaieut-ils pas tout quitté, états, amis,
famille et ce ciel de la patrie, si enchanteur au
souvenir sous un ciel étranger? Aujourd'hui la
terre sainte qui fut confié quelques instants le
corps du Dieu fait homme, garde encore leurs dé
pouilles mortelles, mais l'humble tombe qui les
couvrit jadis est détruite: leur patrie il apparte
nait de comprendre ce que lui prescrivait l'hon
neur. Libre désormais, la Belgigue commence enfin
revendiquer ses titres de gloire; trop longtemps
l'étranger s'est prévalu de notre apathie, pour se
les approprier; trop longtemps il s'est décoré de
nos dépouilles, comme on ferait des dépouilles du
vaincu
Qui a jamais paru se douter parmi nos voisins
du midi, que Godefroi, que Baudouin ne fussent
Français? Mais la Belgique, en veillant sur leurs
cendres, apprendra l'univers entier qu'elle est
véritablement leur mère