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JOURNAL D'TPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
tfo 3503.
34me année.
-a
7P3.ES, 26 Avril.
La mission du pouvoir consisté sans
conteste veiller au bien-être de ceux qui
lui sont soumis. Aussi est-ce juste titre
que des philosophes chrétiens ont reconnu
dans tout gouvernement légitime le délé
gué, le représentant de la divinité! Heu
reux, si fidèle sa haute mission, il ne
consulte jamais que le bien-être réel des
peuples; si élevé au-dessus des préoccu
pations mesquines de parti, il reste sourd
leurs clameurs intéressées et s'attache
totalement aux justes soins qu'exige le
bien-être général. Heureux, sans doute
encore, s'il ne craint pas de compromettre
sa popularité, en résistant au torrent dé
bordé des passions subversives, et que
bien loin de se laisser entraîner honteu
sement la remorque, il sait les contenir
d'une main ferme et guider malgré elle
une nation aveuglée aux vraies sources
du bonheur.
Tel devrait être l'histoire de tous les
gouvernements, et néanmoins l'on ren
contre fréquemment des homfnes d'état
qui ne voient dans l'art de gouverner
qu'un froid calcul, tendant tantôt main
tenir l'équilibre entre le bien et le mal,
tantôt se concilier par un concours as
sidu les instincts mauvais, source pro
chaine de ruine.
C'est ainsi qu'on a vu, sous le gouver
nement de juillet, des ministres, d'ailleurs
hommes de bien, reculer sans cesse devant
les exigences de la révolution, jusqu'à ce
qu'enfin acculés au bord de l'abime, il a
suffi d'un choc de la démagogie pour les
DAVID TENNIERS
y précipiter. Cependant les catholiques ne
leur avaient épargné ni remontrances, ni
avertissements. Mais les hommes de juillet
croyaient devoir pactiser avec desdoctrines
essentiellement subversives; trop tard, ils
ont reconnu leur erreur; trop tard, un
des plus célèbres d'entr'eux, M. Thiers, a
reconnu et avoué noblement que les om
brages, qu'il avait nourris l'égard de
l'influence du clergé dans l'enseignement,
étaient des puérilités. Toutefois, il est en
core des gens, (sont-ce des dupes ou des
complices?) qui s'écrient que les catholi
ques, en s'efforçant d'éclairer le pouvoir
et de l'arrêter dans la funeste voie où il
s'engageait de plus en plus, ont déterminé
sa chute. Ces gens ne nous inspirent qu'une
méprisante pitié; poureux, prévoirun mal
heur, c'est en être la cause; s'élever contre
le mal, c'est le faire prévaloir.
On sait ce qu'il est advenu la monar
chie de juillet, pour avoir flatté les passions
anti-catholiques, pour avoir fait, quoique
bien malgré elle, concessions sur conces
sions aux idées subversives de l'ordre so
cial. Eh bien, il est un autre gouvernement
de forme constitutionnelle; ainsi que le
ministère français d'avant février, il obéit
aux inspirations de ce libéralisme ombra
geux envers tout ce qui tient de près ou de
loin au catholicisme ou au clergé; ainsi
que lui, il ne fait -preuve d'énergique vo
lonté qu'alors qu'il s'agit de courir sus au
clérical. Dans le corps législatif une majo
rité docile sanctionne ses œuvres. En un
mot, sa position et ses tendances l'assimi
lent aux gouvernants de la France de juil
let; il lui manque toutefois un autre février.
Encore est-il vrai de dire que les mi
nistres Français furent poussés dans la
funeste direction qu'ils ont suivie par les
égarements de l'opinion publique, et c'est
ce qui explique leurs actes. Chez nous
en est-il bien de même? Qu'on recherche
parmi nos quatre millions d'habitants qui
sont ceux qui applaudissent de cœur aux
défiances que l'on affiche en haut lieu
l'égard du Clergé et des principes catho
liques. Qu'on interroge et nos trois mil
lions de campagnards, et celte classe nom
breuse d'ouvriers et d'hommes de peine
dont se compose le peuple de nos cités,
qui voués au travail et l'indigence ont
appris du prêtre seul supporter leurs
privations sans murmure. Et puis, en re
montant aux classes plus aisées de la po
pulation, qu'on nous dise ce qu'en pensent
les amis mêmes du ministère (nous ne
parlons pas des autres); ce qu'en pensent
notamment tant de pères de famille qui
confient aux soins, au dévouement du prê
tre ce qu'ils possèdent de plus chjsr.
Les passions politiques auront beau s'a
giter le peuple Belge ne verra jamais dans
le prêtre qu'un conseiller fidèle, un ami
dévoué.
Dans son dernier n°, le Progrès convient
en termes formels que l'état a voulu
avoir son ensignement lui, pour con-
trebalancer celui donné par le clergé.
Ainsi les champions les plus ardents du
ministère ont finalement abandonné le
prétexte spécieux du perfectionnement des
études, dont on s'était d'abord prévalu. De
leur propre aveu l'enseignement de l'Etat
s'organise grands frais, dans un intérêt
de parti, sinon dans des vues anticatho
liques.
Nous prenons acte des paroles du Pro
grès et le félicitons de cet accès inusité de
franchise.
VÉMTÉ ET JUSTICE.
On s'a bon ue Ypres, rue de Lille, 10, près la Grande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIX DE LMItOIKGMENT, par trimeetre,
Ypres fr 3. Les autres localités fi 3 5o. Uu n° a5.
Le Propagateur paraît le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaiue (insertions 19 centimes la ligne)'
EE JOUEUR DE CORNEMUSE.
{Suite et fin.)
II
LE QUART D'HEURE DE RABELAIS.
Pendant que le jeune Tenniers, la tète dans une main, re
gardait dans l'autre le peu d'argent qui s'y trouvait, Vau Her-
mann d'un coup d'oeil rapide avait fait l'inspection de la salle;
leur droite la porte qui conduisait la cuisine, et qui servait
en même temps d'entrée au cabaret, un peu plus loin dans
l'angle, fort obscur, par l'absence de toute croisée, le voyageur
qui s'était assoupi en attendant les chevaux de poste qu'il
avait demandés pour sa berline, la salle prenait donc jour par
une porte qui ouvrait sur un jardin. Yan Hermann se leva,
s'avança sur le pas de cette porte, jeta un regard au loin, et
l'œil brillant, il se rapprocha de son ami.
Tu n'as pas de quoi payer la dépensedit-il demi
voix.
Non, et je réfléchis au moyen de m'en procurer, ré
pondit Tenniers.
Sans y réfléchir, je l'ai trouvé, dit Van Hermann, dési
gnant du doigt l'ouverture qui donnait le jour làle jardin,
au bout du jardin, une porte ouverteet la graude route...
suis moi.
Assemblée législat. du i3 février t85o.'
Sans payer? dit Tenniers avec un geste d'indignation.
Puisque tu n'as pas de quoi... dit Van Hermann..
moins toutefois que tu ne veuilles me donner uu mot d'écrit
pour eu aller quérir au logis paternel.
Je doute que la somme entière soit au logis, répondit
Tenuiers.
—-Tu vois bien qu'il faut suivre mon conseil, reprit Yan
Hermann.
Fi donc! dit Tenniers avec un geste qui ne permettait
pas la réplique."
Sur ces entrefaits le son d'une cornemuse s'était fait enten
dre, et peu après, par cette même porte qui paraissait être
Yan Hermann son seul espoir de salut, parut un jeune enfant
qui jouait de cet instrument... il s'arrêta sur le seuilet com
mença un de ces plus jolis airs.
u Va-t'en, lui dit brusquement Van Hermann, je ne donne
ni aux enfants, ni aux vieillards, ni aux femmes.
A qui donc donues-lu lui demanda Tenniers.
Je ne donne pas, répondit Van Hermann.
Au son de voix de Tenniers l'enfant avait fait uu mouve
ment de joie.
Oh mon bon jeune homme, s'écria-t-il, ne me dounerez-
vous rien aujourd'hui, je n'ai pas encore étrenpé, voici bieutôt
la nuit, et ma mère est malade.
Si ta mère est uue paresseuse comme toi 5 un paresseux,
répliqua durement Vau Hermannc'est une maladie difficile
guérir.
Si tu ne peut rien donner cet enfant, ne l'insulte pas,
au moins Van Hermann, dit Tenniers d'un ton d'humeur,
M' Ciiarles Van Praet, de cette ville,
ancien élève du collège S' Vincent de Paul,
et aujourd'hui étudiant l'université de
Liège, vient de passer son examen de can-
qu'appelles-tu paresseux uu eufaut qui gagne sa vie et celle
de sa mère aveugle?
En jouant de la cornemuse, beau métier! dit Van
Hermann.
Et que veux-tu qu'il fasse son âge, Van Hermann, il
fait ce qu'il peut, et c'est beaucoup... Tiens... Armand... et
Tenniers lui jeta la monnaie qu'il avait dans la main.
Bien, dit Van Hermann, le seul argent que tu eusses...
Le bon Dieu vous le rendra, dit l'enfant avec une vive ex
pression de reconnaissance... celui-là, et tout celui que vous
me donnez depuis un mois... oh oui, il vous le rendra... mais
je vous prie, dites-moi votre nom, afin que je mêle le soir avec
celui de ma mère, dans mes prières.
Oui, ça vous fera du bien tous les deux, dit Van
Hermann d'un air goguenard,
Votre nom, bon jeune homme, dit le petit joueur de
cornemuse,^ans faire attention aux paroles du méchant jeune
homme.
Tenniers... répondit doucement Tenniers.
Lequel?le jenue oule vieux, demanda naïvement l'enfant.
Le vieux, dit Van Hermann eu riant.
Prie pour tous les deux, cher Armand, répondit Tennirs,
car le vieux est mou père, et moi je suis le jeune.
Eh! bien! cela met-il quelques ducats dans ton escar
celle, dit Van Hermann après un petit moment de silence.
Peut-êtrp, répondit Tenniers relevant la tête, et appelant
le garçon. Une graude feuille de papier blanc et un crayon,
dit-il.
Le garçon apporta ce qu'on lui demandait.