Mons avait été informé a 8 heures dn matin du rejet du recours en grâce et de l'ordre d'exécution pour le lendemain malin a 7 heures- Le directeur, avant que de faire connaître au condamné ce dont il s'agissait, fit signe aux gardiens de lui mettre la camisole de force, ce qui fut fait. Dès lors le comte de Bocarmé commença pressentir le moment su prême. Ce fut alors de sa part une série de protes tations; il se troubla, des paroles entrecoupées et presqu'intelligibles s'échappèrent de sa poitrine. II s'écria a plusieurs reprises Mais, maisce n'est pas moi... Je n'ai rien fait c'est... c'est... ma femme... Il se recria ensuite sur ce que l'on avait fait grâce tant d'individus certainement coupables, tandis que lui ne l'était pas L'arrivée du doyen de S" Wadru, M. l'abbé Descamps, revêtu de la dignité de chanoine du chapitre, vint couper court ces protestations. Le respectable doyen aborda le condamné avec des paroles de consolation et de paix, en engageant le comte se soumettre, se résigner et ne songer qu'à mourir daus la grâce après avoir fait une con fession générale et sincère. De Bocarmé se plaignit des rigueurs dont il venait d'être l'objet; il supplia M. le doyen d'in tervenir pour qu'on le débarrassât de ses liens. Le digne ministre de la religion lui fit comprendre qu'il devait avant tout se soumettre la loi com mune, aux exigences de la justice humaine et que cette soumission ne pouvait qu'être agréable au juge suprême devant lequel il devra bientôt com paraître. Le patient finit par se rendre <1 ces sages exhor tations et celles de ses gardiens, qui, nous nous plaisons le dire, n'ont rien négligé pour seconder jusqu'au bout le directeur de la maison d'arrêt et les dignes ecclésiastiques qui ont assisté le con damné dans ses derniers moments. Le comte de Bocarmé a paru très-peiné de ce qu'aucune personne ne venait le visiter dans cet instant suprême. On a tâché de lui faire com prendre combien cela eût élé pénible et difficile. Ici nous devons rectifier une erreur qui a fait dire que la comtesse Ida, mère du condamné, s'é tait rendue la prison pour avoir une dernière entrevue avec son fils. La comtesse était partie de Bruxelles la veille, avec un passeport pour Milan, et sous le nom de comtesse Visart. Elle ne s'est pas arrêtée Mons, et s'est rendue directement Paris. Ainsi que nous croyons l'avoir dit déjà, le comte n'a voulu faire aux magistrats qui l'ont interrogé la veille du supplice, et ce matin encore, aucune révélation concernant le drame du château de Bi- tremont. Le condamné s'était confessé plusieurs fois du rant la journée d'hier. Mais presque jusqu'au der nier moment, il semblait convaincu d'une chose, c'est qu'on ne lui avait annoncé sa dernière heure que parce qu'on voulait lui faire remplir «es de voirs religieux. Il se refusait obstinément croire que réellement le moment de l'exécution était ar rivé. Plein de confiance dans le respectable doyen Descamps qui l'avait si souvent exhorté revenir h Dieu, il y avait cependant chez lui une sorte de méfiance opiniâtre qui lui faisait envisager les ec clésiastiques qui se présentaient lui comme des gens envoyés par le parquet. Ce sont ses expres sions. Sa crainte était telle que pendant qu'il se con fessait Mgr l'évêqne de Cincinnati, il avait chargé le doyen de S'° Waudru de se tenir auprès des gardiens l'entrée de sa cellule, afin de s'assarer si de là l'on ne pouvait entendre ce dont il se con fessait. Lorsque M. de Bocarmé eut compris enfin que l'échafaud se dressait pour lui, il a essayé de cor rompre ses gardiens en leur promettant trente mille francs s'ils pouvaient parvenir le faire évader. Cette offre, il l'a faite entr'autres un de ses gardiens en se servant de l'idiome allemand qu'il connaissait un peu. On pense bien de quelle manière elle fut accueillie par des braves fonc tionnaires, la conduite desquels, au surplus, tout le monde ici se plait rendre hommage. Ce sont pour la plupart des gardiens de la maison de ré clusion de Yilvorde qui ont été détachés Mons depuis la détention des époux Bocarmé. force d'exhortations, le comte se montra plus tard complètement résigné et il voulut remplir tous ses devoirs religieux avec la plus grande piété. Il ne prit que fort peu de nourriture pendant la journée et la soirée d'hier. Il assista, ce matin, quatre heures, une pre mière messe que célébra dans la chapelle de la prison Mgr l'évêqne de Cincinnati pendant laquelle il communia avec les saintes filles qui desservent l'établissement. Il assista ensuite une seconde messe basse dite par M. l'abbé André, aumônier ordinaire de la maison ordinaire. Pendant le cours de ces cérémonies religieuses, ayant aperçu une dame qui se trouvait au jubé (c'était l'épouse de M. le directeur) il se pencha l'oreille de l'un de ses gardiens pour lui demander, en s'exprimarit encore en flamand, si cette dame n'était pas sa femme. Après avoir reçu saintement les sacrements, le comte sembla avoir repris beau coup de calme; il ne voulut prendre qu'une tasse détail pour son déjeuner. Mgr l'évêqne de Cincinnati et M. le doyen de S'° Waudru ne l'ont pas quitté durant toute la nuit qui devait précéder l'expiation. A six heures et demie, l'exécuteur et ses aides se présentèrent la prison. En les apercevant le patient sembla faillir un instant; il demanda rester seul un moment et confia en même temps ses gardiens l'impression plus que fâcheuse que lui avait causée la mine désagréable de ses auxi liaires de la loi. Revenu avec ses gardiens dans le bureau de la prison, le comte de Bocarmé subit avec courage les apprêts de la toilette des condamnés. Il recom manda plusieurs fois et haute voix l'exécuteur de faire en sorte que rien ne manquât pour que l'exécution se fît le plus promptement possible et sans le faire souffrir inutilement. Déjà la veille, il avait prié M. le procureur du Roi de veiller ce que l'instrument du supplice ne manquât en au cune façon. Ce magistrat crut devoir répondre la fin au comte qu'il n'était pas le charpentier de la guillotine et que l'exécuteur connaissait ses de voirs. Lorsqu'on lui lia les bras, M. de Bocarmé supplia les aides de ne pas trop le serrer. A sept heures moins un quart le lugubre cortège partait de la prison. Une voilure cellulaire qu'es cortaient seize gendarmes cheval commandés par un officier de cette arme, conduisait le patient enfermé avec ses aumôniers de manière ne pou voir être aperçu. La foule était grande sur le pas sage de ce triste convoi. Les jeunes filles, les fem mes du peuple se faisaient encore remarquer en grand nombre parmi les spectateurs. Plusieurs mil liers de personnes couvraient la vaste place de l'hôtel-de-ville, qui cependant aurait pu encore contenir beaucoup de monde. On remarquait que les magasins, et les principaux hôtels restaient fermés ainsi qu'un grand nombre de maisons par ticulières. Nous devons dire la louange des Montois que les trois quarts des spectateurs étaient évidemment étrangers la ville. Beaucoup d'ouvriers n'avaient pas voulu abandonner leurs travaux pour venir voir le dégoûtant spectacle de la guillotine. A sept heures précises, le lugubre cortège dé bouchait sur la Grand' Place, au milieu des excla mations et des rumeurs diverses de la foule. Il s'avança lentement jusqu'au pied de l'échafaud, qui se trouvait dressé deux pas de l'hôtel de Y Aigle d'Or, où peu de jours auparavant était descendue Mm* de Bocarmé, femme du comte. Les gardiens détachés de la prison de Vilvorde et autres accompagnaient la voiture cellulaire. Avant de quitter la prison, le comte de Bo carmé les avait remerciés avec effusion, ainsi que le directeur, des marques de bienveillance qu'ils avaient su lui donner tout en accomplissant de rigoureux devoirs; il les embrassa au sortir de la prison et, de nouveau, en descendant de la voilure cellulaire. Mgr l'évêque de Cincinnati et M. le doyen de S'*-Waudru, revêtus du surplis et du camail, descendirent de la voiture avec le comte de Bocarmé. Les traits du patient ne trahissent aucun abatte ment. On le débarrassa d'une robe de chambre carreaux écossais qui couvrait ses épaules demi- nues. Puis il embrassa avec effusion le prélat et M. l'abbé Descamps qui lui offrait l'image du divin Rédempteur. Il eut bientôt gravi les degrés de l'échafaud avec la plus grande fermeté, sans être soutenu par les exécuteurs, et en jetant et là un regard sur la foule et sur la hache triangulaire suspendue sur sa tête. En ce moment le plus profond recueillement régnait au sein de la multitude. Mgr l'archevêque et M. le doyen s'agenouillèrent en prières sur les marches de la guillotine. Le prélat se releva pour donner le dernier baiser au patient, tandis qu'on l'attachait la fatale planchette bascule, puis les deux eccléastiques se prosternèrent pour implorer la miséricorde divine. Un coup sourd, et effrayant, retentit. La foule laisse échapper un cri de terreur. L'affreuse ma chine avait rempli son office!!! Le sacrifice humain était donc accompli et la justice des hommes satisfaite Les restes du supplicié furent immédiatement transportés au cimetière sons l'escorte de la gen darmerie, le cercueil était déposé dans une sorte de tombereau ouvert. La foule des spectateurs, en proie aux émotions inévitables de cette scène sanglante, s'écoula len tement. L'instrument du supplice fut immédia tement démonté. Avant de se préparer subir le dernier supplice, le comte avait fait écrire sous sa dictée par ses au môniers plusieurs lettres d'adieu pour sa mère, sa femme, ses eufaots et d'autres membres de sa fa mille. Ainsi s'est dénoué ce drame qui a tenu depuis plusieurs mois eu suspens l'attention publique et presqu'universelle. Le comte de Bocarmé est mort sans forfanterie, mais avec courage et dignité. C'est dans le sein de l'évêque de Cincinnati, qui se trouvait chez le doyen de Mons, qu'il s'est coufessé. Il a entendu quatre heures du matin deux messes et a communié avec recueillement. Son corps n'ayant pas été réclamé par sa famille a élé enterré au cimetière. Lorsque le procureur du roi annonça qu'il devait se préparer la mort, il lui conseilla de s'occuper du salut de son âme; le condamné s'est incliné et a répondu Ceci, monsieur, n'est plus de votre ministère. Nous empruntons au Courrier de l'Escaut quelques détails intéressants sur les derniers instants du comte de Bocarmé Après un premier et long entrelien avec l'ar chevêque de Cincinnati, le comte Hyppolite dicta M. l'abbé André, aumônier de la prison, quinze ou seize lettres dont il a recommandé lui-même l'euvoi immédiat. L'une de ces lettres était adressée sa mère la comtesse Ida. Trois autres lettres étaient destinées ses en fants. Les autres étaient pour sa femme, pour soa oncle le comte Ferdinand de Bocarmé, pour sa soeur, la priucesse de Napolipour plusieurs per sonnes qui lui ont témoigné des sympathies. Enfin et surtout il a remis l'archevêque une lettre pour son père, qui la recevra, en Amérique, des mains de celui que le Ciel avait réservé son fils, pour qu'il réhabilitât, devant Dieu, le rejeton si malheureux d'une illustre race Il a dicté aussi ses dernières volontés qu'il a Ifait adresser encore sa mère, dont la tendresse et les douleurs étaient toujours présentes sa mé moire. Je l'attends, elle va venir saus doute, répétait-il, et il ne cessait de s'entretenir avec ses surveillants et les ecclésiastiques, il parlait avec reconnaissance de l'éloquence de M. Lachaud, l'un de ses défenseurs et surtout de M* De Paepe dont le talent et le dévouement se sont multipliés pour l'arracher son affreuse position. Il espérait voir ce dernier avec sa mère. A onze heures du soir, il éprouva le besoin de manger, mais n'accepta qu'un peu de pain. Je ne veux, disait-il, qu'être sûr de ne pas tomber en défaillance. Il ne s'est pas couché de toute la nuit. Il s'est confessé plusieurs reprises et s'est

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Le Propagateur (1818-1871) | 1851 | | pagina 2