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JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
No 3711.
36me annce.
7?RSS, 25 Avril.
De jour en jour se dessinent plus nette
ment en notre ville, les résultats qui de
vaient nécessairement être la suite des
fautes accumulées sous les auspices d'une
coterie intraitable dont la pression s'exerce
également sur la bourgeoisie de tout rang
et sur le Conseil Communal.
D'abord sous prétexte de libéralisme elle
a divisé la ville en deux camps; elle s'est
préoccupée uniquementde faire lesaffaires
d'un parti; elle a rejeté comme indignes,
tous ceux qui ne lui appartenaient pas.
C'est sous l'empire des inspirations éma
nées de la coterie et dans un intérêt de
parti que durant plusieurs années, les dé
penses les moins nécessaires, ont été volées
sans opposition l'hôlel-de-ville. C'est ainsi
qu'on a dépensé des sommes énormes pour
le soutien d'un collège inutile et dont la
majorité des habitants ne veut pas. C'est
ainsi que l'on a peuplé toutes les adminis
trations où la coterie a su se fourrer d'une
foule de sinécuristes qui n'avaient d'autres
titres l'obtention de leur emploi,que leur
alliance plus ou moins intime avec les chefs
du parti dominant.
Nombrede projets ridicules et saugrenus
ont été mis en exécution pour satisfaire les
rêveries ambitieuses de trois ou quatre im
portants qui se croient de grands adminis
trateurs. D'après ces illustrations locales,
Ypres devait être une ville modèle; im
SOEUR GENEVIEVE.
petit Paris, un petit Bruxelles tout au moins.
En conséquence de ce principe, des cen
taines de mille francs ont été inutilement
prodigués au déplacement du palais de
justice, la construction d'une maison d'a
liénés, la création du jardin public, la
salle de spectacles, la construction d'un
immense local pour l'école communale, au
dévéloppemenl luxueux du corps des sa
peurs pompiers et une foule d'autres
créations qui peuvent être un besoin pour
une grande ville, mais qui sont exagérées
dans une ville dont les ressources (ainsi
que l'expérience le démontre aujourd'hui)
sont si bornées et si précaires.
Nous pouvons le dire, de celte manière,
tout un capital de près d'un million de
francs a été dépensé contre les vœux ma
nifestes d'une partie notable des habitants
de cette ville.
Aussi, nous concevons que les personnes
les plus insouciantes envisagent d'un œil
inquiet l'avenir qui se prépare. Alors qu'il
est évident pour tout le monde, que des
bevuesénormes ont été commises,ce serait
se tromper étrangement, que de croire
que l'administration communale, recon
naissant la funeste influence du système
qu'elle a suivi jusqu'à ce jour, tâcherait de
réparer les erreurs passées, en entrant fran
chement et résolûmentdans la voie des éco-
nomies.L'exempledu passén'est d'ordinaire
d'aucune utilité. Il est vrai que faute d'ar
gent on se trouve forcé de renoncer au
projet de faire de notre ville une Capitale
au petit pied, mais nos Coibert grandissent
en face des difficultés et leur esprit in
ventif n'est pas bout parait-il de pro
jets et de rêveries. Industrie! Industrie!
voilà le nouveau cri de ralliement de la
coterie libéràtre: désormais le talent et
les veilles de ses grands hommes seront
consacrés faire renaître l'industrie et le
commerce. La création d'un atelier mo
dèle dont la direction est confiée des
mains habiles et d'une expérience con
sommée ne manquera point de produire
des résultats mirobolants. Espérons cette
fois du moins que dans un avenir plus ou
moins rapproché, il ne nous faudra pas en
solder les conséquences au moyen de quel
ques nouveaux petits centimes addition
nels.
TRIBUNAL CORRECTIONNEL D'YPRES.
Audience du 21 avril 1853.
Affaire de M. le Docteur Lecluyse
de Poperinghe.
VÉRITÉ ET JUSTICE.
On s'abonne Ypres, rue de Lille, 10, près 4a Grand
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIX DE L'ABONNEMENT, par trimestre,
Ypres fr. 3. Les autres localités fr. 3-5o. Uu n« n5 c.
Le Propagateur paraît le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine. (Insertions 19 centimes la ligne.)
(Suite,)
Pauvre Louise, dit elle eu embrassant sa fille,
tu dois bieo m'en vouloir je ne me suis guère oc
cupée de toi ces jours-ci. Vraiment, ma sœur, je
ne sais comment je vis. Je n'ai plus ma tête moi.
Oh vous ne savez pas ce que c'est que la douleur
maternelle. Mais vous êtes si bonne que vous devez
au moins la deviner. Si elle est, pour toutes les
mères, la première des peines de la vie, qu'est-ce
donc a une pauvre créature comme moi Une fem
me qui n'a pas d'autre bonheur 1 Avec elles deux
ma misère était supportable. Quand je les eraine-
nais avec moi, je menais toute ma fortune; eh
bieu je ne souhaitais pas autre chose. Mais si je
suis réduite en voir mettre une dans la terre!
Oh! mon Dieu! Et puis, regardez celle-là, conti-
oua-t-elle avec une inquiétude effrayante, voyez
comme elle est pâle, comme elle l'air malade;
elle est aussi changée que sa pauvre sœur! La mi
sère les tuera toutes deux. Mais je vivrai pour les
voir mourir!.... Elle embrassait ses deux enfants
en versant des larmes qui faisaient froid au cœur.
Sœur Geneviève pleurait avec elle: voyant
qu'elle lui était inutile (car que dire une pareille
douleur?) elle alla chercher du pain, du bouillon
et de la viande, et lit apporter du bois. Au retour,
elle trouva cette pauvre femme évanouie, tenant
dans ses bras son enfant mort. Brisée par toutes les
misères la fois, elle ne reprit l'usage de ses sens
que pour tomber dans un délire affreux. Sœur Ge
neviève lui donna tous les soins qu'elle put ima-
gioer. Un médecin fut appelé, la petite Louise
emmenée chez la sœur de charité, enfin que sa
mère ne s'en inquiétât plus. Elle trouva sa place
au dîner de la bonne sœur; elle partagea son lit,
et fut habillée et soignée comme son enfant.
Lorsqu'il y a pour un il y a pour deux, di
sait-elle en rassurant la mère, qui s'inquiétait de
voir Louise charge de cette sainte fille. Soyez en
repos, elle est contente.
Oh! si je vous avais connue plus tôt, disait
celle-ci en songeant sa détresse, mon pauvre en
fant ne serait pas mort! car c'est mon travail qui a
empoisonné mon lait et qui l'a tué. Et elle pleurait
en se désespérant.
Paix disait sœur Geneviève; ne murmurons
pas, ma bonne amie. Le murmure avec le malheur,
seraient deux enfers la fois. Elevez vos peines
jusqu'à Dieu, et vous verrez comme il les console.
Soyez résignée; ou souffre moins en bénissant une
douleur qu'en la maudissant. Je ne vous dis pas
cela par indifférence, je sens bien ce que vous devez
souffrir; mais c'est pour vous-même. Le désespoir
se calme avec la résigoation; croyez-le.
M. Lecluyse a déclaré l'état civil de Pope
ringhe la naissance d'un enfant du sexe féminin,
né l'avant veille, ajoutant qu'il voulait lui donner
des prénoms et un nom arbitraire qu'il indiquait,
disant au surplus que l'enfant n'était pas légitime,
et que n'ayant connu le nom de la mère qu'à
raison de sa profession sous la foi du secret, il
devait s'abstenir de toute autre mention.
M. l'e'chevin Joseph Van Renynghe en réfera
M. le Procureur du Roi, qui crut devoir soumettre
le cas la décision du tribunal.
A l'audience de jeudi, celte cause avait attiré un
auditoire nombreux et choisi. Beaucoup de méde
cins des environs étaient venus assister aux débats.
Les habitants de Poperinghe y prenaient en grand
nombre un vif intérêt.
M. le greffier a donné lecture de l'acte de nais
sance qui donne lieu aux poursuites. Il lit ensuite
la lettre substantielle et ferme adressée par M.
Leciuyse l'officier de l'état civil, dans laquelle,
Tout en causant, sœur Geneviève développait
un panier qu'elle avait apporté, contenant tout ce
qui était nécessaire pour la malade; des médica
ments, du linge et de l'argent. En peu de temps
elle se rétablit entièrement. Quand elle put se
lever, elle alla visiter ses armoires garnies de
cboses dont elle avait manqué jusqu'alors et qu'elle
devait la bienfaisance ife sœur Geneviève. Le
bois était dans le bûcher; elle avait de l'argent
suffisamment pour l'aider recommencer dans son
ménage ses petites dépenses, sans avoir trop de
travail ou sans être exposée retomber dans la
misère. La tranquillité, la paix, le repos, rendirent
son âme uu peu de consolation. Elle bénit Dieu
en admirant qu'au lieu de laisser tout simplement
ses créatures la charité comme un bonheur, il
leur en ait fait de plus un devoir et une vertu.
Ainsi se passèrent plusieurs années de la sœur
Geneviève. La France devenue plus calme, permit
aux sœurs de charité de reprendre leurs saintes
habitudes. Elles vinrent aussitôt, ou, pour mieux
dire, elles reparurent; car presque aucune n'a
vait quitté la place et renoncé son saint minis
tère.
L'histoire de sœur Geneviève est celle de toutes
les sœurs de charité de cette époque. On fut tout
étonné de voir couverte des habits de sœur grise la
femme qui la veille donnait ses soins aux pauvres,
ou ce qui étonna plutôt, ce fut de ne l'avoir pas