JOURNAL D'TFRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
3\o 3,876.
Mercredi, 22 Novembre, 1854.
38me année.
PROPAGATEUR,
TKRITÉ ET JtSTIfF.
On s'<iIk>uiil' Y près, rue de Lille, io, près la Grand
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PltlX ni: L'titOWFNFXT, par trlmentre,
Ypres fr. 3. Les autres localités fr. 3-5o. Uu n° 25 c.
Le Propagateur paraît le tlEIM'KEDI et le M4MEDI
de chaque semaine. (luHcrtlonM 12 centimes la ligne
7PF.3S, 22 Novembre.
La question des denrées alimentaires se
trouve enfin soumise aux délibérations des
Chambres législatives. Le pays entier, et
principalement les classes ouvrières et né
cessiteuses attendent avec espoir la solu
tion de ce problème important.
En examinant deprèset sans prévention
l'état des choses aciuel; en tenant compte
des privations et des souffrances sans nom
bre endurées par tant de familles par suite
de l'excessive cherté des subsistances, il
n'est pas un homme de bon sens qui ne
doive reconnaître l'urgente opportunité de
prendre des mesures exceptionnelles en
présence de la situation calamileuse où se
trouve le pays.
Quelles sont ces mesures? Une grande
divergence d'opinion s'était d'abord mani
festée a cet égard mais il reste acquis désor
mais que c'est en faveur de la prohibition
générale des denrées alimentaires la sor
tie, que plaident le plus grand nombre de
voix.
Ce qui vient l'appui de celte opinion
prédominante, c'est que la récolte de cette
année necorrespondanl dans son ensemble
qu'à une récolle moyenne, nous aurons, de
l'aveu des hommes les plus compétents,
importer pour notre alimentation, dans le
courant de 1855, une quantité de 750,000
hectolitres de froment exotique. Pourcom-
bler ce déficit, qui ira s'élargissant de plus
en plus si la Belgique laisse ses frontières
ouvertes au commerce et la spéculation,
nous n'avonsd'aulres ressources que celles
qu'offrait jadis l'importation étrangère. Mais
aujourd'hui, quoique n'étant pas dénué de
toute importance, ce mouvement d'impor
tation se trouve, par suitedescirconslances,
restreint dans d'étroites limites. Evidem
ment, les sources d'où il serait possible de
tirer ce qui nous manque de grains, font
peu près généralement défaut. Déjà plu
sieurs pays ont prohibé la sortie de leurs
céréales; tandis que, d'un autre côté, les
complications politiques de l'Europe tien
nent rigoureusement fermés au commerce
les greniers d'abondance de l'Orient. Il
reste les Etats-Unis, il est vrai: mais l'en
semble de la récolte notablement au des
sous de la moyenne dans ces parages; par I
suite, le prix élevé du blé; enfin, les frais
de transport, qui sont considérables, tout
cela indique assez qu'il serait téméraire de
vouloir bâtir des espérances sur ces con
trées lointaines.
Ce sont ces puissantes considérations
qui ont amené la France interdire la
distillation des grains, et abaisser les
droits d'entrée sur les alcools; c'est aussi
sous l'empire de cet ordre des choses que
l'Angleterre vient nous demander des quan
tités considérables de céréales, et que les
distillateurs hollandais nous ont déjà en
levé plus de 50,000 hectolitres de seigle
indigène. Leurs achats ne cessent de se
développer dans des proportions énormes,
au point que, dans la seule journée du 15
Novembre, il s'est vendu sur la seule place
d'Anvers environ dixmille hectolitres de seigle
pour être exportés vers la Hollande, et que,
dans le même temps, une nuée d'agents par
couraient la campagne pour faire encore d'au
tres achats.
Faut-il donc s'étonner maintenant de la
cherté toujours croissantede nos céréales?
Est- il besoin de se donner des airs de pro
phète pour affirmer que cette situation
déjà si tendue, si périlleuse, si digne d'at
tention, ne lardera pas s'aggraver bien
plus encore, si l'on ne se hâte d'y porter
remède par une législation efficacement
protectrice? Quant a nous, la seule chose
qui nous paraisse étonnant, c'est l'illusion
que semble se faire le gouvernement sur
les laits qui se produisent cette malheu
reuse époque; c'est la lenteur, le laisser-
aller avec lequel il s'est conduit, depuis
plusieurs mois, dans l'importante question
des denrées alimentaires. El pourtant les
avis ni les exemples ne lui ont lait défaut
pour se guider. La France, pour atténuer
les effets d'une crisequ'elle traverse comme
nous, n'a pas hésite un instant fermer
ses frontières, et garder le produit de sa
récolle pour sa consommation intérieure.
Ce que la France a fait dans l'intérêt de
ses populations, le gouvernement belge, en
bon pere de famille, n'avait-il pas les mê
mes motifs de le faire?
Les craintes qu'inspire la gravité de la
crise actuelle; le senlunentdes souffrances
publiques, ont porté nos ministres dé
fendre les pommes de terre a leur sortie
de Belgique. Quelles raisons plausibles ont
pu les empêcher d'étendre et de généra
liser ce système sagement protecteur, et de
comprendre, parmi les premières denrées
frappées de prohibition, les blés et les sei
gles qui forment la base de la nourriture
du peuple? Et puis,que signifie, d'un autre
côte, celle libertéd'iniporlalionque le gou
vernement propose comme la panacée qui
doit guérir nos maux? Quelle peut être
l'efficacité d'une pareille mesure en pré
sence du défaut d'arrivages que l'on re
doute si juste titre?
Ce qu'il faut la Belgique dans l'intérêt
de tous, ce n'est point un palliatif; c'est
un remède opérant, c'est la défense d'ex
portation des grains, des pommes de terre,
de la viande, des bestiaux, et la libre en-
tréedetoutes lessubsistancesalimentaires.
Seule, cettedoublemesureest capable d'ar
rêter les progrès de la crise, qui, pour peu
qu'elle doive se développer, menace d'at
tirer surnotrepatried'imuienses malheurs
publics et privés.
Faisons donc des vœux pour que le
gouvernement et les chambres, s'inspirant
aux conseils de la prudence et de la sa
gesse, adoptent sans plus de retard un re
mède que tout le monde réclame. A la
faveur des effets que la prohibition est ap
pelée produire; soutenues d'ailleurs par
la charité de ceux qui peuvent donner, et
protégées par la divine Providence, nos
populations verront leurs souffrances peu
peu s'alléger, et notre chère Belgique
marchera avec calme et confiance vers un
avenir meilleur.
A propos de la question des denrées ali
mentaires, on demande s'il ne faudra pas
aller plus loin, et prohiber même, comme
en France la distillation des grains et de
toute substance farineuse?
Déjà le conseil communal de Lokeren
a adressé une pétition dans ce sens la
Chambre des Keprésenlanls, et cette de
mande se conçoit, dit la Patrie de Bruges,
lorsqu'on apprend que la seule ville de
llasselt emploie journellement six cents
sacs de seigle la fabrication du genièvre.
Quoiqu'il en soit, il nous paraît que ce
n'est qu'à toute extrémité que l'on doive
recommander une telle mesure.
Il n'est que trop vrai que nos distilleries
absorbent, dans ce moment, d'énormes
quantités de seigle. .Mais la cause en est
que la France, en interdisant chez elle la
distillation des grains, et en admettant
des droits minimes l'alcool étranger, a im
primé aux distilleries en Belgique un dé
veloppement toul-à fait anormal; assurées
de pouvoir écouler leurs produits avec bé
néfice en France, elles augmentent leur
fabrication, de telle sorte que de fortes
quantités de nos seigles indigènes passent
chez nos voisins sous forme d'alcool.
De là il suit que la législature Belge
doit non seulement interdire l'exportation
directe du seigle, mais encore, qu'elle doit
prendre des mesures pour empêcher que
ce produit de notre récolte ne passe en
France sous forme d'alcool. Pour atteindre
ce dernier but, la Chambre de Commerce
d'Anvers propose de suspendre le Draw-
back, c'est-à-dire, de faire cesser la resti
tution des droits pour cause d'exportation
des produits des distilleries.
Celle mesure est nécessaire, mais nous
ne croyons pas pour le moment qu'il faille
aller plus loin.
Depuis quelques jours, la question des denre'es
alimentaires soumise 'a la législature a fait un pas
immense. Dès a préseot, tout fait espérer que la
cause de la probibiiiori est gagnée, du moins en ce
qui concerne les pommes de terre, le froment et le
seigle.
Contre notre attente, et notre grande salis-
faction, la section centrale s'est également pro
noncée pour la prohibition du blé et des farines
par 5 voix contre 2 et 3 abstentions, MM. Delfosse
et Moteau ont voté contre.