REVUE POLITIQUE.
grande leçon. Quant aux conséquences politiques,
Dieu les connaît. On peut redouter que la guerre
ne finisse pas par ce coup de foudre. Assurément,
tout conseille la Russie de demander, d'acheter
la paix. Tout lui conseillait de ne point la rompre
Mais elle a des princes jeunes et fiers, et ses forces,
dont l'intrépide et sage esprit qui gouverne la
France avait calculé l'étendue, ne sont point épui
sées. Comme le défuot Empereur a méconnu la
voix de l'humanité en s'obstinant b cette guerre,
le nouvel Empereur peut méconnaître les avertis
sements de la Providence. Pharaon s'aveugle quand
Dieu frappe, et l'orgueil, avant que le sang le
submerge, surnage longtemps. Désirons qu'il n'en
soit pas ainsi dans cette rencontre solennelle, et
que, tout au contraire, les prédictions si souvent
répétées qui promettent au monde une ère de paix
après la proclamation du dogme de t'Iinmaculée-
Conceptioo, reçoivent un prorapt et miraculeux
accomplissement. Si la paix se rétablit par celle
mort inopinée qui fait disparaître l'Empereur Ni
colas au moment où, loin de reculer, il tendait
tous les ressorts de sa politique et ramassait toutes
les ressources de son gigantesque Empire pour
donner a la guerre un plus terrible essor, il faudra
reconnaître que Dieu l'a voulu et l'a fait lui seul,
par un jeu "de cette puissance qui commande sou
verainement b la mort et a la vie. Les grands peu
ples se conjurent, mettent en commun leurs armes,
couvrent les mers de leurs vaisseaux, assemblent
sur un point donné des forces de destruction telles
que la terre n'en vit peut-être jamais: un mur les
artête. Dieu envoie un souffle, tout est fini. Dixit-
que Drus Piat pax. El facta est pax. Cette
grâce, de même que tant d'autres, tombera sur
beaucoup de cœurs ingrats, qui chercheront et
trouveront n'importe où de bonnes raisons pour
se dispenser de reconnaissancemais ceux a qui
Dieu veut parler sauront bien l'entendre, et ces
milliers de mères, de sœurs, de filles et d'épouses
qui ont mis un être cher sous la protection de la
vierge Marie, sauront bien qui a vaincu l'Empe
reur Nicolas.
Attendons, espérons, et quoi qu'il arrive, ne
laissons pas stupidement passer les œuvres de
Dieu sans y prendre garde ou sans y voir sa main.
Nous disons que cette mort est nue grande leçon.
C'est celle que la mort a coutume de donner et
qu'elle prodigue autour de nous tous les jours;
mais la leçon est plus grande quand ce sont les
Rois qui meorent et la fio de celui-ci, si haut et
si redouté, dans ce moment où il était en spectacle
au monde, où il soutenait une telle lutte, où il
agitait de si vastes desseios, où il disposait plus en
maître et en propriétaire qu'en sonverain de la
vie de tant de milliers d'hommes, cette fin quasi
soudaineaqnelque chose departiculièrement formi
dable et qui laisse voir davantage le doigt de Dieu.
Dieu se prend donc aussi ceux-là Il borne leur
course, et lorsqu'ils ont le plus besoin de la vie, il
leur retire la vie. Je commande b soixante millions
d'hommes, je suis la tête et le cœur d'un peuple
immense, je marche b l'accomplissement des rêves
de ma vie et de mon empire; j'ai des trésors, des
soldats, des forteresses imprenables, et les élé
ments eux-memes combattent avec moi et pour
moi je touche b cet événement préparé par des
efforts sécnlaires qui m'empêchera d'y atteindre,
si je gagoe une année encore? Tu n'àuras pas
une année, pas un jour, pas une heure. Ta mesure
est pleioe, ton rôle est fini Va-t-eo Il disparaît
comme cette neige qui couvrait la terre il y a quel
ques jours. Des millions de bras la remuaient en
vain; un vent a soufflé du ciel, elle s'est écoulée.
Où est-elle? Où est l'Empereur Nicolas, le chef
d'on million de gens de guerre, l'autocrate et le
pontife du monde gréco-slave, la personnification
la plus élevée que nos jonrs aient vue de la puis
sance humaine
O vérité! vengeance! justice! cet autocrate,
ce pontife, cet homme qui disait aux autres hom
mes, dans la plénitude de sa volonté: Allez mourir
ici, allez mourir lb; qui avait des cachots grands
comme des provinces; qui décrétait qu'une chose,
fut-elle commandée de Dieu, était crime, et qui
punissait^ de mort, ce crime qu'il avait décrété; cet
homme qui jugeait et qu'on ne jugeait pas, il a
trouvé son juge, il est jugé. Il a rendu compte
d'uo règne de trente ans.
A Dieu ne plaise que nous écrivions un mot ici
contraire au respect que les chrétiens doivent b la
majesté humaine et b la mort! Nous avons détesté
avec tous les gens de cœur les vils outrages pro
digués b ce noble ennemi, comme si nos soldats b
Sébastopol ne luttaient que contre un ridicule
fantôme. Hélasl cent mille hommes ont péri sans
l'abattre. Si la politique croit qu'il faut laisser b
la populace de pareils divertissements, nous ne
les lui donnerons pas, et il n'y a que trop de gens
pour ces besognes. La France est assez haut,elle n'a
nul besoin d'abaisser ceux qu'elle combat. A juger
l'Empereur Nicolas suivant les règles humaines,
il a droit b quelque admiration. Son règne a été ce
qu'on appelle uu grand règne. Il a formé de hardis
et d'immenses projets, et il s'est montré de taille b
les soutenir. On ne peut lui refuser de la suite, de
l'habité, du courage; il a été prévoyant, patient,
persévérant. Où ne l'aurait pas placé l'opinion du
monde s'il avait réussi Quelle force humaine l'au
rait empêché de réussir, si Dieu n'avait pas inopi
nément suscité contre lui le génie et la destinée
de Napoléon? Sous sa main la Russie a fait de
grands progrès dans les arts; elle a pu aspirer b la
prépondérance dans les conseils de l'Europe, et en
mainte occasion elle l'a exercée; elle a développé
son commerce, agrandi ses possessions; elle a vu
poindre une littérature nationale. Ce qu'il y a eu
de faux et de mauvais dans ces développements,
dans la tendance générale de ce progrès, ce n'est
pas aux représentants actuels de la civilisation in
tellectuelle et politique de l'Europe qu'il appar
tient de le lui reprocher. Sa moralité, quelle
qu'elle fut, valait au moios la leur et celle du
temps. Il lui était assurément permis, d'après leur
évangile, d'être Russe et de n'être pas humani
taire. IV
Dans ses communications b soo peuple, il a tou
jours tenu un langage qui les honore tous deux.
Au point de vue de la Russie, le mobile qu'il a
donné officiellement b la guerre est beau et auguste.
Il n'a pas proposé b ses soldats de mourir pour la
gloire, pour la richesse ou pour l'orgueil de la
patrie; mais pour sa foi et pour délivrer de l'op
pression ceux qui prient b ses autels. Mensonge,
peut-être; Dieu jugera aussi le mensonge. Hono
rons pourtant le peuple b qui il faut parler ainsi,
et rendons du moins justice b l'intelligence du sou-
veraiu qui comprend et respecte a ce point la
dignité des âmes. S'il a voulu paraître meilleur
qu'il n'était pour s'agrandir, encore une fois, il ne
sera pas jugé par ceux qui se font pires qu'ils ne
sont, qui insulteot, qui blasphèment, qui mentent
pour s'enrichir, qui flattent le vice et l'incrédulité
comme il a flat:é le dévouement et la foi. Il a
puisé b de meilleures sources qu'eux, il a eu plus
d'intelligence, plus de grandeur. Comme tous les
pères de famille b qui il a demandé leurs eufaots,
il a donné les siens. Ses fils ont paru b Sébastopol
et y sont revenus. Ils ont leur part de ces dangers,
de ces fatigues; ils respirent cet air qui tue b coups
plus nombreux et plus surs que le feu de l'artil
lerie. C'était un Roi!
Mais Dieu juge les Rois. Il les juge non sur leurs
qualités royales, mais sur leurs pensées, sur leurs
actions, sur leur cœur. Il leur demande s'ils ont été
justes, s'ils ont été cléments, s'ils ont été sincères,
s'ils l'ont connu et s'ils l'ont adoré. Voilb sur quoi
l'Empereur Nicolas a répondu hier. Jusqu'au mi
lieu du jour, il a été l'un des premiers entre les
maîtres de la terre, le plus craiot, le plus obéi,
peut-être le plus aimé; le soir il paraissait devant
Dieu, au reudez-vous que lai avait donné il y a
dix ans Grégoire XVI. Il était accusé, il voyait se
lever contre lui comme témoins tout ce qui a porté
le poids de sa puissance, tous ceux qui ont souffert
et qui sont morts et qui ont péché par ce qu'il l'a
voulu tous, ceux qui ont passé injustement par ses
cachots, tous ceux qui sont tombés injustement
sons soo glaive, tous ceux qu'il a faits martyrs, tous
ceux qu'il a rendus apostats.
La justice de Dieu paraît lente. Qu'il larde par
fois, dit-on, avec ses ennemis! que de puissance
il leur laisse! que de prospérités il leur accorde!
Oui, mais ils vivent, ils avaoceut vers la mort, ils
tombent, et Dieu seul est grand.
Louis Veuillot.
Le manifeste que le nouvel Empereur de Russie
a publié b son avènement au trône, n'est pas en
core connu; mais voici line nouvelle qui confirme
plus ou moins les présomptions pacifiques aux
quelles la mort de l'Empereur Nicolas a donné
lieu
Befilik, lundi, 5 mars.
Une dépêche qui arrive b l'instant de Saint-
Pétersbourg annonce que les pouvoirs donnés au
prince Gortschakoff pour traiter des conditions de
la paix ont été renouvelés, et les bases actuelles
pour l'ouverture des négociations ont été confir
mées par le nouveau Souverain de Russie.
M. Del fosse, président de la Chambre des Re
présentants, a été appelé b Bruxelles par le Roi,
et doit avoir été reçu hier par Sa Majesté.
On écrit de Fribourg, grand-duché de Bade, b
la Gazette de Cassel
Les Jésuites viennent d'être définitivement
expulsés. L'Archevêque avait appelé deux Pères
pour le carême et en avait fait la notification au
ministre de l'intérieur. Il lui fut répondu, par l'in
termédiaire du directeur de la ville, que les Pères
eussent b sortir de la ville et do pays. Mgr. Vicari
a lui-même écrit, dit-on, b ce sujet au prince-
régent. On ne connaît pas le résultat de celte
démarche; mais les Pères s'apprêtent b partir, a'
Voilb où en sont les bons desseins du gouvernement
badois, et de quelle manière il exécute la résolu
tion qu'il avait sincèrement prise, dit-on, de rendre
la paix b l'Église et de s'entendre avec le Saint-
Siège.
Du reste, il y a b parier que ce sont les Jésuites
qui ont tous les torts imaginables dans cette affaire
Vous verrez que les gazettes libérales ne manque
ront pas de nous appreudre dans peu de jours, que
les Pères avaient ourdi nn complot pour renverser
le gouvernement, et qu'on les a juste prévenus b
temps par la mesure d'expulsion dont nous venons
de parler.
La mort de l'Empereur Nicolas, voilb, b l'heure
qu'il est, l'événement qui absorbe tout l'intérêt de
la situation. On croit assez généralement que cette
mort inopinée est de nature b augmenter les chan
ces d'une solution pacifique. Toujours est-il qu'elle
a fait concevoir des espérances de paix, puisque la
Bourse de Paris a haussé immédiatement de 4 fr.
4o sur le 3 p. c. On affirme que le nouvel Empe
reur de Russie, Alexandre II, était opposé de cœur
et d'intentions aux projets de conquêtes de son
père et qu'il iucliuait aux idées pacifiques.
D'un autre côté, il est certain que l'un des
principaux obstacles au rétablissement de la paix,
pouvait provenir de l'amour-propre de l'Empe
reur Nicolas qui devait se croire engagé b soutenir
la politique de ces deux dernières années. Cet
obstacle a disparu. Son successeur est libre de tout
antécédent personnel Outre qu'il inspirera b l'Eu
rope moins de défiance que le Czar défunt, et la
disposera peut-être a des sentiments plus conci
liants. Il ponrra accepter des conditions qui au
raient paru, a soo prédécesseur, incompatibles avec
sa dignité.
La mort du Czar peut également avoir une
grande influence sur la marche des événements
militaires en Crimée. L'annonce de celte mort
jettera la confusion et peut-être le découragement
dans les rangs des armées moscovites. Si, comme