JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
N° 3,958.
Mercredi, 5 Septembre, 1855.
39me année.
TFRES, 5 Septembre.
Dans notre dernier nnous avons établi
que le système de nos progressistes, leur idée
fixe, de l'intervention du gouvernement en
beaucoup de choses, n'était en définitive
qu'un retour de très anciens errements.
Voici la suite de cet article que son étendue
nous avait forcé de scinder en deux parts.
LE PROPAGATEUR
TÉEITÉ ET JUSTICE.
Noos demandons pardon au lecteur si notre
répétition des hautes conceptions politiques des
partisans de l'intervention du gouvernement en
beaucoup de choses, semble tourner h la bouffon
nerie. Ce n'est pas h nous qu'il faut s'en prendre,
si l'on ne trouve rien que de grotesque dans cette
rêverie renouvele'e des Grecs. Les nations puis
santes par la force ou par l'intelligence, se sont
appliquées se dégager peu h peu de l'ioterventioD
du pouvoir dans ce qui est du domaine de l'activité
des particuliers; et ces nations ont grandi. Un
seul petit peuple dont l'organisation sociale fut
toute exceptionnelle, tira les conséquences logi
ques de l'intervention de l'autorité dans les
détails de la vie privée ces conséquences furent
monstrueuses. Comment se fait-il qu'il y ait de
nos jours des esprits assez irréfléchis, pour pré
coniser comme une idée nouvelle une vieillerie
rejetée depuis vingt-cinq siècles par le sens
commun des natioDS?
L'expérience et l'histoire attestent suffisamment
que cette intervention n'a jamais été en effet,
dans une société déjà organisée, qu'un iotervertis-
sement de l'ordre régulier des choses et une confu
sion entre le dornaioe public et le domaine privé.
Voyez Rome étendre sa puissance sur le monde,
tant que cette distinction, entre le droit de l'état
et le droit du citoyen, est nettement tranchée.
Dictateur ou simple soldat, le Romain des temps
de la république est soumis une forte discipline
qui règle jusqu'au poids de ses armes; il subit,
dans sa rigueur, la censure qui demande compte
au citoyen de son obéissance aux lois de la patrie;
mais Ciucinnatus mène sa charrue comme il
l'entend, et Caton l'ancien exploite son fonds de
terre sans atleudre des consuls des règles, des
exemples ou des conseils qui entraveraient son
industrie agricole sous prétexte de la diriger.
Vienne l'Empire et la centralisation compacte
qui met dans la main de César la fortune et la vie
du peuple asservi; alors l'industrie est si bien
réglementée dans ses moindres détails, le domaiue
privé est tellement absorbé dans le domaiue de
l'État, que les hommes libres harcelés par les
mille agents de l'Empereur, épuisés et ruinés par
le fisc qui doit payer ces agents, ces rhéteurs
d'école, ces inspecteurs de toute sorte, les hommes
libres se réfugient dans la servitude; ils changent
volontairement de condition, et subissent ce que
le Droit Romain appelle la diminution de tête.
Qui ne sait que le monde romaiti mourait étouffé
dans les serres de l'intervention impériale quand
1 invasion des barbares et l'infusion du christianisme
dans ces masses populaires renouvelèieut la face
de la société.
Après cette prodigieuse mêlée d'hommes et de
choses, d'où partit l'initiative du progrès industriel
et agricole, comme du réveil littéraire et scientifi
que? Des couvents, des monastères, des abbayes
qui couvrirent l'Occident dès le VII* siècle; cela
est incontestable. Or,comment, partant du monas
tère, les améliorations sociales de tout genre se
répandaient-elles de proche en proche jusqu'au
fond des forêts, des landes et des marécages,
asiles des peuplades d'une sauvage rusticité? Par
la voie légitime de l'exemple gratuitement donné.
Le moine n'intervenait pas dans l'industrie do
colon ou du bagaud des cités, pour la perfec
tionner de force; le prince ne levait pas d'impôts
pour fonder des écoles d'agriculture ou d'arts et
métiers, il ne prescrivait pas tel procédé, il ne
proscrivait pas telle méthode il laissait faire le
moine, c'est-à-dire l'homme le plus dévoué et le
plus savaut de l'époque; et le moine défrichait,
labourait, se procurait et répandait de meilleures
semences, améliorait par de soins judicieux les
espèces d'animaux domestiques, les outils, les
ustensiles, les instruments, et par suite les produits
de la culture et de l'industrie. Il faisait plus, bien
plus, il enseignait par la pratique de sa vie austère
et laborieuse, les véritables ptincipes de l'écono
mie sobriété, chasteté, modération dans les
désirs, amour da travail, vertus qui enfantent la
paix de l'âme et la santé du corps. C'est ainsi que
le moine intervenait dans ^éducation, dans l'in
dustrie, dans l'agriculture il faisait de l'agricul
ture la sueur de son froot, de l'iuduslrie ses
risques et périls, l'éducation de la société nouvelle
au prix d'une complète abnégation de toutes les
douceurs de la vie. L'iutervention du gouverne
ment peut-elle avoir ce caractère? Elle est
nécessairement au contraire restrictive, prescriplive
ou proscriptive. Aussi voyez ce qui se passe en
France et en Belgique quand, partir du règne
de Philippe-le-Bel, quand au temps des Ducs de
Bourgogue, le pouvoir laïc, se faisant l'héritier du
vieux droit roinaio impérial ressuscité par les
légistes, voulut prendre l'initiative des mesures
propres favoriser le développement du com
merce et de l'industrie. Ce fut par la coocessiou
des privilèges que les princes cherchèrent
atteindre ce but cela aboutit aux maîtrises, aux
jurandes, aux Compagnies des Iudes. Est-ce l'a que
nos progressistes veulent nous ramener? El mille
fois pire serait aujourd'hui l'étal de contrainte ou
périrait la liberté industrielle, car au moyen-âge
et jusqu'à la révolution française, une foule d'in-
stitutions et de franchises locales contrebalançaient
la prépondérance du pouvoir ceutral. Mais
présent qu'est ce donc que celte intervention de
l'état, réclamée par la légèreté de quelques politi
ques novices? Une atteinte la liberté constitu
tionnelle dont les contribuables paient les frais.
On se paie facilement de mots; on dit: l'État
doit faire des essais, l'Etat doit faire des expérien
ces, l'État doit protéger telle industrie; etc.
Dépouillous la pensée de cette enveloppe. Cela
veut dire: Les contribuables doivent payer telle
somme pour que M. le ministre donne tel
emploi un de ses favoris. Le traitement sera
honnête, pour que l'expérimentateur soit considéré;
les bâtiments d'exploitation et les instruments de
travail coûteront fort chers, parceque ce que l'Etat
fait doit être bien fait.
L'essai avortera,c'est possible, puisque c'est un
essai; la perte alors n'aura aucune compensation. Il
réussira, alors les produits manufacturiers entreront
dans la circulation on ils feront une concurrence
d'autant plus redoutable aux produits similaires de
l'industrie privée que l'État vendeur ne redoutera
point un abaissement de prix qui ferait la ruine
d'uD simple manufacturier. Comment c'est avec
mon argent et celui de mon voisin que vous venez
créer one industrie qui toe la mienne, et vous ne
voulez pas que je crie au vol, la tyrannie
Et l'on nous dit l'État ne doit pas la vérité
pratiquer l'agriculture et l'industrie eo vue de
faire un bénéfice, mais eu vue seulement de
propager les procédés les plus utiles. Qu'est-ce
que cela signifie? si l'État bénéficie, tant mieux au
contraire; avec le boni il pourra payer les dépenses,
il pourra verser l'excédaut dans le trésor, c'est-à-
dire, me faire espérer que l'an prochain ma part de
contributions sera moins loorde. Mais si vous eo
faites uu industriel amateur, qui ne s'inquiète
guère des bénéfices ou des pertes, souvenez-vous
donc que c'est moi qui paie ce caprice de grand
seigneur, et que cette fantaisie c'est ma ruine. Puis
vous savez quoi ont conduit ces tentatives d'io-
tervention du gouvernement daos l'agriculture et
l'industrie: la chute plat des établissements
fondés, des dilapidations plus ou moins scandaleu
ses, une nullité absolue daus les résultats. Est-ce
pour avoir votre part au gateau du budget que vous
poussez le gouvernement dans cette voie, eh bien
dites franchement que vous demandez pour vous
ou vos amis l'aumone de quelque sinécure, mais
permettez-nous de vous répondre qu'en face
d'un déficit de trente millions, qui sera peut-être
doublé l'an prochain, ce n'est guère le cas de
chercher nous intéresser vos sollicitations
intéressées.
Celte intervention du gouvernement invoquée
par nos hommes de progrès, n'est donc qu'un legs
arriéré des sociétés l'état d'enfance. En elle-
même c'est une atteinte la liberté, une injustice,
une cause de désastres.
Dans un autre article nous pourrons examiner si,
comme on ledit,c'est l'interveolion du gouver
nement qu'il faut attribuer l'amélioration effectuée
dans ces dernières années en agriculture et en
industrie. Nous ferons justice de celle prétention.
Un gouvernement sage et fort maintient l'ordre et
la liberté dans le pays, il établit pour l'industrie et
le commerce des relations avantageuses avec les
nations voisines; il administre avec économie les
finances qui lui sont confiées pour le bien de tous,
il encourage le bien et empêche le mal, il met par
de sages mesures le travail des particuliers même
de fructifier et de prospérer; il aide en un mot
l'essor national, mais il en est l'instrument et
l'auxiliaire sans prétendre en etre la cause. Il
peut beaucoup, beaucoup, mais il ne fait ni la
pluie ni le beau temps.