44me Année.
Mercredi 17 Octobre 1860.
No 4,491.
LE PROPACATEUR.
pour la ville 6 fr. par an, pour le dehors fr. 7-50 par
4 fr. pour 6 mois, 2-50 pour FOI CATHOLIQUE. CONSTITUTION BELGE. an, 5_fr. pour 6 mois, 2-75
trois mois. pour o mois.
7 2 s 17 octobre.
Noos publions aujourd'hui la première partie de
la magnifique oraison funèbre prononcée par Mgr
Dupanloup, dans la cathédrale d'Orle'ans, le 9
octobre dernier. La seconde suivra très-prochai
nement.
ORAISON FUNÈBRE
«les Totalitaires catholiques «le l'armée pontificale,
morts pour la défense du saint-siège,
Prononcée le 9 octobre en la cathédrale d'Orléans,
Par Mgr DUPANLOUP.
Beati eritisquoniam quod est honorisgloriœet
virtutis Dei, super vos requiescit
Vous serez proclamés bienheureux j car ce qu'il y
a encore ici bas d'bouneur, et de gloire pure, repose
sur vous, avec la vertu de Dieu.
(S1-Pierre, lett. ire, ch. iv. t. 14.)
Nous venons déposer sur leur tombe lointaine,
non pas des larmes, mais des louanges avec dos
prières, et sur ce qui reste d'eux ici-bas, sur
le dépôt sacré de leurs cendres chéries, redire
leurs âmes immortelles Vous êtes bienbeu-
reuses, car ce qu'il y a encore ici-bas d'honneur
et de gloire pure repose sur vous, avec la vertu
de Dieu Beati eritis, quoniam quod est
honoris, gloriœ, et virtutis Dei super vos
requiescit.
Non, Dieu m'en garde! ce n'est pas avec un
sentiment de tristesse et de deuil que je monte
aujourd'hui dans cette chaire, et ces crêpes funèbres
qui couvrent les murs de notre vieille basilique, ne
peuvent voiler mes yeux les rayons de la gloire
qui les environne: ou si je ne pois défendre la
tristesse mon cœur, au souvenir des attentats dont
ils furent victimes, c'est dans mon âmeet dans toutes
les âmes qui balieoicomme la inieooe, un sentiment
mêlé de fierté et de gloire. Non, il n'y a pas une
âme digue de ce nom qui ne redise en ce moment
avec moi Beati eritis! Oui, vous serez proclamés
bienheureux car ce qu'il y a encore ici-bas d'hon
neur et de gloire pure repose sur vous, avec
la vertu de Dieu Quoniam quod est honoris,
gloriœ et virtutis Dei super vos requiescit.
Eh! pourquoi serais-je triste, quand je vois
triompher avec eux cequ'ily a de plus noble et de
plus sacré sur la terre l'honneur, le courage,
la foi; quand je vois dans ces jeunes gens immolés
pour la plus grande des causes, non pas les soldats
plus ou moins vaillants de combats vulgaires, mais
de nouveaux et glorieux Machabées, qui ont livré
leur âme an péril, dederunt se periculo, afin que
les choses sacrées demeurassent debout sur la terre,
ut slarent sancta; afin que la-loi, la loi principale,
qui porte les autres et soutient la société tout
entière, ne tombât pas ut slarent sancta, et lex;
et par là, je n'hésite pas le dire avec l'esprit de
Dieu lui-même, ils ont couvert toute leur race
d une gloire incomparable et glorid magna
glorificaverunt gentcm suam (1).
Et voila pourquoi, dans ce pays de Fraoce,
qui sent si bien le charme exquis des grandes
choses, il n y a pas un seul homme, ayant sauvegardé,
dans les profondeurs de sa conscience, quelque
seoliineot de grandeur morale, qui n'ait une voix
pour redire avec nous, leur louange, ces nobles
(r) Mite., Lib. I. cap. aiy» y. 39^
paroles Oui, vous êtes heureux, car ce qu'il y a
eocore ici-bas d'hooneor et de gloire pure repose
sur vous, avec la vertu de Dieu Beati eritis,
quoniam quod est honoris, gloriœ, et virtutis
Dei super vos requiescit.
Non, Don, De les pleurons pas; leur mort est trop
belle devant Dieu et devaot les hommes; car ils
furent la fois des héros et des martyrs
Héros dans leur dévouement et leurs prévoyan
ces, quand ils partireot;
Héros sur le champ de bataille, quand ils tom
bèrent;
Martyrs, car ils se dévouèrent librement pour
l'Église et pour Dieu
Martyrs, car ils moururent dans la foi et la piété
fervente, comme mouraient les premiers martyrs
chrétiens.
Et rien n'a manqué l'achèvement de leur gloire,
pas même l'ignoble insulte des ennemis de Dieu et
de sou Christ.
Mais sur ce point, ce mot suffit je veux com
mander ici la réserve ma bouche. Je ne puis Di ne
dois dire en ce lieo toutes mes pensées, et il De me
convient pas plus d'attrister leur mémoire par des
regrets et des larmes indigDes d'eux, que par des
plaintes trop amères et des malédictious sur ceux
qui les immolèreot ou qui les trahirent, ou qui les
insultèrent. Nod, je ne suis pas envoyé en ce jour
ici pour maudire, mais pour bénir Béuir Dieu qui
suscite encore parmi nous, l'honneur, la vérité,
a la justice, de tels vengeurs; bénir l'Église qui
inspire les âines, dans sa détresse et dans les
siècles mêmes les plus amollis, de tels dévouements;
je le dirai même, glorifier la France qui, lorsqu'il
s'agit d'eofaDter des héros, ne sera jamais frappée
de stérilité; bénir ces âmes valeureuses qui n'ont pas
compté avec leur vie, mais l'ont livrée pour la
justice; bénir enfin la foi et toutes les choses
grandes et sacrées pour lesquelles ils moururent!
Heureux, oui, heureux d'uu tel trépas, mille fois
plus que d'uDe victoire! Beati! quoniam quod
est honoris, gloriœ et virtutis Dei, super vos
requiescit. Vous serez proclamés bienheureux,
car ce qu'il y a eocore ici-bas d'bonDeur et de
gloire pure repose sur vous avec la vertu de
Dieu.
Eu uo mot, messieurs, détournant violemment
mes souvenirs et les vôtres de toutes les amertumes
qui remplissent mon cœur, c'est l'hooueur du
sang français, et l'honneur du sang chrétien qui
coulaitdaos leurs veines,que je consacre ces paroles.
I.
Qoaod on médite sur la magnificence des pro
messes faités l'Église dans les Saintes Écritures,
il semble qu'elle n'ait attendre ici-bas que des
destinées prospères; que Dieu fera toujours la
garde autour de ses remparts et abattra tous ses
enDemis; que les peuples marcheront avec docilité
sa lumière; que les princes de la terre seront pour
elle des amis fidèles; qu'une éternelle paix règuera
dans ses murs. Ét toutefois, il u'en a pas été ainsi,
et tel De fut jamais le sens des promesses. Dieu,
dans ses profonds conseils, a jugé que l'épreuve,
même la plus dure, valait mieux pour l'Église
qu'une trop longue prospérité; et la vérité est
qu'ici-bas, si elle lègue, ce n'est qu'au prix de la
souffrance et de la lutte; et depuis dix-huit siècles^
toujours combattre, toujours souffrir, mais aussi,
la fin, toujours triompher par des coups inattendus,
telle est la mystérieuse destinée de cette immortelle
Église et de ses disciples.
Do reste, le Sauveur le leur avait prédit:
Voos serez pressurés daos le monde, in mundo
pressuram habebitismais aussitôt de cette
même bouche immortelle, et avec ce regard divin
qui fait tressaillir les âmes, il avait ajouté <1 Ayez
confiance, j'ai vaincu le nioode, sed confidite,
ego vici mundum (2).
Et voilà pourquoi, au milieu des tribulations
passagères de l'Église, nous ue devons jamais nous
abandonner un lâche découragement, ni jamais
oublier sur quel appui se fonde sou immuable
dorée et la nôtre.
Sans doute il y a quelquefois des relâches ces
combats, et l'Église semble respirer un instaut;
mais il De faut pas s'amollir dans ces trêves, car la
lutte ne larde pas recommencer. Et quand l'épreuve
devient terrible, quand, selon la forte expression
des saints Livres, la fumée monte du puits de
Vabîme Ascendit fumus putei, et obscuratus
est sol et aer de fumo putei (3). obscurcit la
lumière du jour, éteint en les abaissant les intelli
gences les plus hautes, et dans ces ténèbres brise les
âmes les plus fortes; quand, selon une autre étrange
parole encore, il est donné la Bête de faire la
guerre aux saints et de les vaincre Daturn est
besliœ belLum facere cum sanctis, et vincere eus
(4), ab! c'est alors qu'il ue faut pas défaillir et se
décourager, car la victoire définitive est certaine;
c'est alors que le chrétien s'élève dans la sublimité
de son âme et de sa foi, et commence espérer,
quand il n'y a plus d'espérance contra spem in
spe (5).
Alors s'accomplissem ces prophétiques paroles
du cantique inspiré O Dieu, vous avez laissé les
ténèbres se répandre sur la face de la terre, posuisti
tenebras, ej la nuit épaisse s'y est faite, fac.ta est
nox. Il y a de quoi trembler pour les habitants de
la terre, car, dans cette nuit, les animaux farouches
sortis de,leurs forêts et de leurs repaires vont
et viennent c'a et là, cherchant leur proie et rem-
plissant tout de leurs rugissements, in ipsâper-
transibunl omnes besliœ sylvœ, rugientes ut
rapiant escam sibi. Mais bientôt le soleil s'est
levé, ortus est sol; effrayées du jour,elles s'enfuient
et se vont cacher dans leurs tannières, in cubilibus
suis collocabunlur et alors l'homme, l'homme
de bien, rassuré, soit de sa demeure et retourne
avec confiance au travail de la Providence jusqu'au
soir de sa vie, exibit homo ad opus suum usque
ad vesperam (6).
Eh bien messieurs, l'heure qu'il est, l'heure,
où je vous dis ces choses, nous sommes daus un de
ces moments douloureux et solenDels, dans une de
ces grandes épreuves que l'Église rencontre au
travers de son passage sur la terre.
Je ne vous ferai pas ici la longue histoire de la
tribulatioD présente qui ne la connaît Qui ne sait
la suite habile et profonde de toutes les attaques
dirigées contre le Siège apostolique, et qu'un der-
Et. S. Joan. cap. xvi, v. a5.
(3) Apoc., cap. ix, v. a.
(4) Apoc., cap. xui, v. 7.
(5) Epist- ad Rom. cap. IV, v. iS.
Psal., oap. III, y. ao et seq.