45me Année.
Samedi 12 Avril 1862.
No 4,646.
FOI CATHOLIQUE.
CONSTITUTION BELGE.
REVUE POLITIQUE.
BUREAU
Y près, rue ie Lille, t®.
ÉDITION
Mercredi et Samedi.
ii fil
LE PROPAGATEUR
PRIX D'ABONNEMENT
Pour Ypres fr. par an.
Pour le Dehors i 1 fr. S® e>
par an.
aX
La Patriequi se pique d'être bien informée en
ce qui concerne les affaires de Rome, affirmait na
guère que l'arrivée de M. de Lavalette a Paris
permettait d'entrevoir des dispositions plus rai-
sonnables et plus conciliâmes de la part du
gouvernement y>apal.
L'Osservalore romano, journal aussi bien in
formé que la Patrie, demande b la feuille officieuse
où elle a puisé ses informations, et dans quel sens
et par quels actes se sont manifestées les disposi
tions dont elle parle. La cour de Rome est trop
habituée b mûrir ses déterminations; elle est trop
convaincue de la haute sagesse qui l'inspire et
l'aide a soutenir énergiquement les principes de la
justice pour qu'on puisse la féliciter (ce qui la flatte
médiocrement) de changer ses intentions.
Nous savons, au contraire, que les affaires de
Roiue sont aujourd'hui au même point qu'il y a un
an, au point où elles seront demain comme dans les
temps futurs.
Les concessions de M. Von der Heydt ont été
prises, en Prusse, pour une manœuvre électorale.
Ce que nous obtenons aujourd'hui, dit la Gazette
nationalefera comprendre au peuple prussien
que l'on peut faire entendre raison aux ministres.
Le langage de la Gazette du Peuple, journal
progressiste, nous donne la mesure de l'irritation
des partis. Le peuple prussien, s'écrie cette
feuille, n'est pas encore tombé assez bas pour con
sidérer la politique comme une affaire. La maison
Von der Heydt paraît s'être trouvée en reiatious
avec un monde commercial qui n'est pas le peuple.
Pour le peuple, qui va prononcer le mot décisif
dans les élections, c'est la vérité qui est une bonne
marchandise et la justice la meilleure affaire. Pour
obtenir des réductions, il ne se laissera pas dire par
les hommes de peine de la réaction, les choses qu'ils
prétendent lui faire entendre. La réaction a levé le
masque trop tôt.
De graves déclarations ont été faites aux Cortès
par le cabinet espagnol b propos de la question du
Mexique. Le ministère O'Donnell a abandonné la
politique suivie par la France pour se rallier b
l'Angleterre. La convention de Soledad, que ie
Moniteur universel a déclarée contraire b la
dignité de la France, a été approuvée sans
réserve par le ministère O'Donnell. Ce que nous ne
comprenons pas, c'est que le ministère espagnol
exprime l'espoir que l'harmonie ne sera pas trou
blée au moment même où il la trouble en se mettant
nettement et publiquement en désaccord avec le
gouvernement français.
Une dépêche de Constantiuople nous apprend
qu'à la suite des hostilités incessantes des Monténé
grins, la Porte a informé les grandes puissances que
le serdar-ekrem a reçu l'ordre d'adresser au prince
régnant un uliimaturn demandant la remise immé
diate des prisonniers et l'engagement formel d'em
pêcher désormais les invasions du territoire turc.
Après une longue discussion b laquelle ont pris
part MM. Gohlet, le ministre de la guerre, le
ministre des finances, Beeckman, Loos, de Tbeux
et Nothomb, la Chambre a voté par 5 i voix contre
34 et une abstention le projet de loi relatif b
la Compagnie concessionnaire des travaux de
Tortifications d'Anvers.
La section centralecbargée d'examiner les amen
dements proposés par M. le ministre des affaires
étrangères b son budget en ce qui concerne la
création de deux nouveaux bateaux b vapeur, s'est
réunie jeudi sous la présidence de M. Vervoort. La
proposition du gouvernement a été adoptée par 6
voix contre 1 abstention.
CHRONIQUE JUDICIAIRE.
Un innocent condamné mort. New-York,
le ii mars. Eugène-City, capitale de l'Etat de
l'Orégon, est le lieu de la scène du drame judiciaire
dont je me propose de vous donner une analyse
aussi succinte que possible. Dans celte ville qui, il
-y a peu de temps, n'était eucore qu'on bourg,
vivait un chirurgien noir moins estimé pour son
habileté que pour les soins désintéressés qu'il
prodiguait aux pauvres, il se oomœail Edwiu
Wood, habitait une rne relirée, et fréquentait peb
ce qu'un pourrait appeler, relativement, la haute
société de l'endroit.
Un soir, la laitière qui fournissait la maison
trouve la porte de la rue entrebâillée, et personne
n'ayant répondu a son coup de sonnette, elle péné
tra dans 18 cuisine. Mais b peine y fut-elle entrée
qu'elle s'enfuit éperdue en poussant de grands cris.
Lespassautset les voisins s'assemblèrent rapidement
devant la maison, et unefoole compacte envahit
bientôt la cuisine.
C'était un Lieu triste spectacle que celui qui
s'offrit b ses yeux, l.a jeune fille que le docteur avait
b sou service gisait sans vie sur le plaucher. Ses
vêtements étaient couverts du sang qui s'était
échappé d'une profonde blessure au côté gauche.
On ramassa b côté d'elle an instrument de chirur
gie également tâché de sang. Un médecin qui
se trouvait présent déclara quec'était cet instrument
qui avait causé la blessure.
Les magistrats, qui n'avaieot pas tardé b se
rendre sor les lieux, découvrirent ensuite une
chemise d'homme saturée de saDg, qui avait été
roulée et jetée dans le trou an charbon. Cette
chemise était marquée des initiales du chirurgien,
E. W. On mit celui-ci immédiatement en état
d'arrestation, et quoi qu'il protestât énergiquement
contre cette accusation, sa pâleur et son agitation
accrurent encore les soupçons.
Dans le cours de l'instruction du procès, le doc
teur Wood s'efforça vainement de lutter contre les
témoins muets, l'instrument et la chemise, que
l'accusation produisit contre loi, et les explications
qu'il donna b ce sujet étaient tellement invraisem
blables et contradictoires, qu'elles lui nuirent plus
qu'elles ne le servirent.
En outre, nn autre témoin, mais vivant celui - lb,
fut ci'é devant la cour. C'était nne vieille femme
qui habitait la maisoD vis-à-vis de celle du docteur.
Elle déposa que l'une des fenêtres de son salon lai
permettait de voir ce qui se passait chez son voisin
(une expertise corrobora cette assertion), et que,
n'ayant pas grand'chose b faire, elle passait une
boDne partie de son temps b regarder ce qn'oo
faisait chez le chirurgien.
Or, le même jour où le crime avait été commis,
ses yeux, dit-elle, n'avaient pas un seul instant
perdu de vue la maison; et elle pouvait jurer en
toute conscience que nul autre que le docteur n'y
était entré ou n'en était sorti; qu'il était rentré chez
lui b quatre heures, son heure ordinaire, et que
c'était la servante, assassioée depuis, qui lui avait
ouvert lorsqu'il avait sonné b la porte; que, de
plus, elle avait vu M. Wood passer trois ou quatre
fois devaol les fenêtres de son cabinet de consul-
talion, et qu'il paraissait fortement agité; que,
la dernière fois qu'elle l'avait vu, c'était une heure
et demie avant le crime qu'il avait ouvert la
fenêtre et jeté successivement nn regard rapide
vers les deux extrémités opposées de la rue, puis
qu'il avait brusquement refermé la croisée. Il tenait
alors quelque chose b la main, qu'elle n'a pu
parfaitement distinguer, mais qu'elle croit avoir été
nn iustroment chirurgical.
En résumant les témoignages (je passe les autres
sous silence, parce qu'ils sont sans importance
aucune), l'accusateur public insista sur la pâleur et
l'épouvante du docteur lors de sa confrontation
avec le cadavre de la victime, et fit ressortir
les contradictions qu'offraient les explications don
nées volontairement par l'accusé. Quant au mobile
du crime, il fallait le chercher dans la résistance
énergique que la pauvre servante avait opposée aux
désirs amoureux de son maître.
La défense fut faible; elle se résumait dans une
dénégation absolue. Elle avait cru ne devoir pas
aborder les explications incohérentes données par
l'accusé pendant l'insti action.
Le jury ne fut absent que quelques minutes, et
son verdict fut Coupable de meurtre au premier
degré.
Le juge prononça immédiatement après la sen
tence de mort d'Edwin Wood, et ordonna que
l'exécution aurait lieu conformément b la loi de
l'Etat, six mois après le jour de la condamnation.
La fermeté do condamné ne l'avait pas abandon
né, et il continua b protester de soo innocence.
On approchait de la ^semaine fatale, lorsque
revint b Engène-City un mineur qui s'en était
éloigné huit mois auparavant. Lorsqu'il apprit la
condamnation et l'exécution prochaine du docteur
Wood, il manifesta un violent désespoir et courut
(il était catholique) se confesser b un prêtre. Ce
digne ministre ayant obtenu de son pénitent l'au
torisation de révéler sa confession, se rendit eD
toute hâte devant le président de la cour (c'était
lundi et l'exécution devait avoir lien le vendredi),
et voici ce qui ressort de cette confession
John Brady (c'est le nom du mineur) faisait la
cour b la servante du docteur.
Le soir du crime, elle l'avait introduit par la
porte du jardio, et ils avaient pris le thé ensemble.
Pendant le repas, il voulut dérober un baiser b la
jeune fille, mais elle le repoussa, et, saisissant un
instrument de chirurgie que sou maître lui avait
donné b nettoyer, elle l'en menaça en riarit. Dans
la lutte qui s'ensuivit, la servante tomba de sa
chaise, ei si malheureusement, que l'instrument lui
entra dans le côté. Brady se saisit aussitôt d'une
chemise du docteur, que la pauvre fille était en
train de raccommoder, et s'en servit pour essayer
d'étancber le sang qui sortait b ffols de là blessure;
mais elle expira soudainement daos ses bras.