Un drame lyrique sur Yprts
gent, avait interrompu les travaux le 28 no-
vembre et congédié les ouvriers. Le conseil
vota dare-dare une avance de 1200 florins
pour que ces travaux soient repris et envoya
au Commissaire Général de la guerre une
plainte au sujet de la conduite du Comman
dant du Génie.
Certainement, a cette époque, il régnait au
département de la guerre autant de désarroi
dans l'administration que de déficit dans sa
caisse. L'administration de l'artillerie venait
inopinément d'envoyer a Ypres 400 hommes
d'artillerie, il annongait l'arrivée de 200 autres
encore, et demandait a la ville (quand il y a de
la géne il n'y a pas de plaisir d'avancer
4000 florins pour faire face a leurs premiers
besoins Le conseil, après délibération, refu-
sa net d'entrer dans cette voie et ajouta que
les batiments militaires suffiraient au logement
de ces troupes, sans qu'il faille les cantonner
chez l'habitant.
Pendant plusieurs mois, les réunions du
conseil communal montrent que la situation
était redevenue normale. On expédiait les
affaires courantes, on s'occupait de comptes
et de budgets, on ordonnait le curage de
l'étang de Zillebeke, on licenciait l'antique
Schutterij on organisait un corps de pom
piers, etc. Bref, tout semblait paisible de
nouveau quand tout a coup l'émeute éclata
les 5 et 6 avril i83i.
Beaucoup de notables de la ville étaient
connus comme orangistes, et ne cachaient pas
leurs sentiments hostiles au Gouvernement
Provisoire. Dans plusieurs villes de Belgique,
des manifestations anti-orangistes avaient
troublé l'ordre public.
Les événements Yprois des 5 6 avril i83i
fontl'objet d'un procés-verbal officiel qui est
en même temps celui d'une séance qui s'ouvrit
le 5 avril a 6 h. du soir et ne fut levée que le
6 avril a 1 heure de relevée. Nous ne pouvons
mieux faire que de le reproduire ici textuelle-
ment.
Séances des 5 et 6 avril i83i.
Le Conseil, convoqué vers les six heures
du soir, en l'absence du Bourgmestre, appelé
a Bruges pour la prestation de serment, par
M. l'Echevin D'Hondt, afin de délibérer sur
les moyens k prendre pour arrêter le mouve
ment populaire qui s'est manifesté soudain et
qui semble voulöir se diiiger vers la maison
de M. Rehaeghel-Delimon, rue de Lille, pour
se porter a des excès contre la propriété de
eet habitant, désigré comme adhérent de l'an-
cien Gouvernement et de la dynastie d'Orange,
s'as-^emble a 6 heures
Sont piésents MM, J de Patin, Joseph
De Necke-e, A. D'Hor.dt, André De Ghelcke,
P -A. Vanden Bogaerde, G. Vandermeersch,
Verschaeve Vanuxem, L. F. Annoot, f'oedt,
Beke-Beke. et C. Cardinaet Rabau.
M. de Patin, P: évident, rend compte des
mesures qui ont été prists, ainsi qu'il suit
Dés une heure de relevée, M. l'Echevin De
Neckere, chargé de la police, avant appris
que des projets hostiles se préparaient contre
des personnes désignées comme orangistes,
avait requis les commandants de la place et
de la Gendarmerie de se mettre en mesure
pour prévenir les troubles, Ie cas échéant il
en avait regu l'assurarce qu'ils étaient sur
leur garde et seconderaien l'autorité civile de
tous les moyens. Leg agents de police avaient
regu et exécuté l'ordre de circuler dans la vil
le pour s'assurer de la situation des esprits
vers deux heures, ils avaient rapporté que la
tranquillité était parfaite.
Cependant, M. de Patin ayant donré con-
naüsance que M. Behaghel-De Limon, en
rentrant chez lui, avait été insulté par des en-
fants, dont un lui avait jeté des pierres, de
nouvelles reconnaissances avaient été taites
dans la ville et avaient prouvé l'absence de
toute apparence de trouble.
La même tranquillité avait règné jusques
vers l'heure de convocation. L'Echevin
D'Hondt, alors averti de ce qui se préparait,
s'était rendu en toute hate a l'hótel de-ville
oü les officiers de la Garde civique, assemblés
pour son organisation, furent invités par lui
de réunir aussitöt le plus grand nombre d'hom-
mes dans leurs compagnies respectives, a
l'effet de rétablir la tranquillité il avait en
même temps expédié l'ordre aux pompiers et
brouetteurs de bière armés, de se rendre éga-
lement sur les lieux pour s'opposer a toute
violence et faire dissoudre les attroupements
paria force, s'il étai* nécessaire.
Le Conseil s'établit en permanence et dé
clare que dés ce moment la Garde civique est
mise en activité de service-
Recevant ensuite l'avis que des rassemble-
ments cotsidérables se sont formés a la dite
maison et que le peuple paraissait vouloir en
commencer l'attaque, il se rend en corps sur
les lieux pour tacher d'apaiser les mutins par
la persuasion ou requérir, en cas de besoin,
la dispersion des rassemblements par la force.
Rentré après des efforts inutiles, il décide que
la proclamation suivante sera immédiatement
publiée.
Gezien de onrusten en beroerten welke
op het oogenblyk binnen deze stad plaets
hebben,
Gebieden,
De herbergen en publieke plaetsen zullen
met het afkondigen dezer gesloten worden
tot den middag van den 6n dezer en alle de
lantaernen zich aen die huyzen bevindende
uitgedoofd worden.
Alle personen zullen op hetzelfde oogen-
blyk die plaetsen verlaten en zich vreedzaem
in hunne woonsten begeven op peene van
aengehouden te worden ten einde hun
daerover te waerschouwen zal het kloksken
der retraite ook dadelyk geloden zyn.
De burgers zyn ook bevolen hunne huyzen
gedurende den geheelen nacht met licht te
voorzien, ten einde de straten genoegzaem
zouden verlicht zyn.
De gewapende magt zal den ganschen
nacht patrouilles maken, en alle inwoners,
welke naer deze publicatie op de straten
zullen gevonden worden,zullen door dezelve
verdreven of na de omstandigheden aenge-
houden worden.
Gedaen ter regering te Yperen, den 5n
April i83t.
Ter Ordonnantie,
De Secretaris, De Burgemeester en Schepenen,
(get.) H. de Codt. (get.) J. de Patin, schep.
Mais le rapport lui étant fait que ni les
efforts successifs des pompiers, obligés de
relacher deux perturbateurs ayant. lancé des
pierres dans la maison, ni ceux de quelques
officiers et membres de la Garde civique sur-
venus, ni une charge exécutée par la Gendar
merie, ni le transport de l'artillerie sur la
Grande Place, n'ont eu de résultat avantageux,
paree qu'une partie de l'infanterie croisa la
bayonnette sur les gendarmes au moment oü
ils allaient s'élancer dans la foule et que
l'autorité militaire qui, déja au commencement
de l'agitation, entre cinq et demie et six
heures, avait eu la faiblesse de rendre la
liberté a un des premiers moteurs, sur les
menaces de ses compagnons qu'elle aurait dü
également faire arrêter, n'employait pas des
mesures énergiques, malgré des réquisitions
réitérées, qu'en conséquence, les mutins sou-
'eius par une partie des soldats avaient envahi
la maison de M. Rehaghel, en brisaient les
meubles et manifestaient l'intention de se
porter sur celle de M. le Colonel de Stuers, le
conseil décide que la lettre suivante sera
adressée au Commandant de la place
5 Avril, 8 heures du soir.
Vu les désordres qui ont actuellement lieü
en cette ville, nous vous prions de vouloir
sans délai déployer tous les moyens militai-
res qui sont en votre pcuvoir pour arrêter
les pillages qui commencent k faire des
progrès et pour faire rentrer les mutins
dans l'ordre.
Les lois existar.tes justifiant suffisamment
ces mesures et les ordonnant même en pareil
cas, nous ne doutons pas que vous ne
défériez sur le champ a notre réquisition.
Veuillez agréer l'assurance de notre
parfaite considération. (A snivre).
Nous lisons dans le XX' Littéraire et
A rtistique la notice suivante
Saviez-vous que Me Albert Van de
Kerckhove, avocat, le double du Fidelis de
la Libre Belgique» clandestine, était, par
surcroit, poète et poète dramaiique Si vous
l'ignorez, je vous l'apprends, a preuve qu'il
vient de publier chez Aloert Dcwitune comédie
héroïque en trois actes en vers A la Gloire
d'Ypres. En manière de piéface, une spiri-
tuelle épitre adressée par Fidelis lui même a
son intime de toujours. Albert Van de Kerck
hove, nous fait savoir que cette pièce fut
commandée sur mesure par le baron Surmont
de Volsberghe, le premier ministre de l'In-
dustrie et du Travail, en 1899, pour être joués
en 1900 au collége d'Ypres, oü, en eflet, elle
alia aux nu?s, puis reprise de divers cótés,
notamment, le 3 aoüt 1914, au coüège de La
Tombe a Kain, avec un succès rebundissant
sous l'actualité tragique, et, enfin, pour ré
pondre a d'amcales instances, iiviée a l'im-
pression.
Cette pièce, comédie héroïque ou drame
lyrique, met en scène un épisode fameux des
luttes de rivalité entre les trois saeurs enne
mies de la Flandre, Gand, Brug<s, Ypres,
dont la guerre de Cent ans aviva les discordes.
C'est le siège que la ville d'Ypres soutint en
1383 contre l'armée des Anglais all;és des
Gantois, et, après neuf semaines d'héroïque
résistance et de victorieuses sorties, la levée
du siège, le 8 aoüt. a l'approche de l'armée
du roi de France, Charles V, allié d'Ypres.
C'était un beau triomphe remporté sur un
ennemi redoutable qui avait en vain multiplié
les assauts et s'était vu o'oligé de battre éiï
retraite devant l'invincible supérioiité des
Leliaerts et des Clauwaerts yprois réconciliés
pour la défense commune. Le sentiment public
n'hésita pas a reconnaitre dans cette déli-
vrance la puissante intervention de la bencite
Vierge de la Tuine que Ton avait tant implo-
rée et les magistrats décidèrent, dès l'anr.ée
suivante, l'établissement d'une fête commé
morative avec procession en l'honnéur de
leur céleste patronne, le Tuindag. Ypres est
restée immuablement fidéle a cette tradition
et quand, chaque année, le carillon égrène le
Tuindaglied, annonciateur de la kermesse,
tous les coeurs yprois battent d'allégresse.
Tel est le sujet d'histoire locale que le
talent dramatique de Van de Kerckhove a
généreusement exploité. Pareil thème ne
prêtait pas aux jeux savants de l'intrigue et
Taction manquait de ressorts, mais, en re
vanche, pareil thème fournissait la matiè;e
d'éloquents discours et d'effusions lyriques.
Le poète n'y a pas manqué.
II a crée trois protagonistes Melchior,
ymagier et sonneur de cloches, l'ame de la
résistance, le riche bourgeois Jan Belle qui en
est la tête, l'ouvrier foulon Van Loo qui en
est le bras. II se trouvent réunis dans une
auberge a Lille, oü ils coir.gent fièrement,
trois contre cent, l'insolence de soldats fran-
gais, insulteurs de la Flandre, et oü ils
apprer.nent par le due de Berry que TAnglais
se ligue avec Gand pour s'attaquer a Ypres.
Ils s'y rendent aussitöt. C'est le premier acte.
Le second se déroule dans la ville assiégée,
devant les Halles au dragon d'or, sur la place
du marché, oü Melchior morigène les défai-
tistes, remonte l<s courages des bourgeois
apeurés, s'offre en victime au Ciel pour la
victoire et, a Tinstant même, oü retentit Noèl,
le cri de la délivrance, regoit dans le dos un
coup de poignard du lache espion anglais
Howard, rencontré a l'auberge lilloise et
emmené par lui-même dans la ville.
A l'imitation du Cyrano de Bergerac de
Rostand, tout le dernier acte se passé au
chevet de Melchior mourant dans la salie du
guet, a la tour des Halles, entouré de ses
amis, visité par le comte Philippe le Hardi,
et n'exhalant son dernier souffle qu'après avoir