Le rapport de M. la Colonel Trembloy
(Suite et fin)
Voir La Région d'Ypres du 2 Mai 1931.
Le temps pressait. Tout était d organiser
instantanément Le 5 mai igi5, convoquée par
le Colonel TrembloyMiss Fyfe, la courageuse
et déoouie écossaise que tant de nos concitoyens
out vue a l'oeuvre au cours de ceUe pénode dra-
matique, se rendit a Ypres et en ramena, dans
sa voiture-ambulance, les derniers habitants de
la cité martyre (si l'on excepte quelques hommes
divoués qui furent évacués le g mai).
Celle ci, dés lors, devenait un lieu géogra
phique inhabitable, un terrain battu de 3 cótés
Par l'artillerie allemande et, peu a peuun amas
de décombres rappelant les ruines impression-
vantes de quelques villes célèbres disparues jadis
dans les catastrophes sismiques mémorables.
L'agonie d'Ypres disotrs le avec le seul
souci de vérité historique échappa longtemps d
I'attention aistraite des sphères gouvernemen-
lalts. La corr es pon dance officielle en fait foi.
Un seul représentant du pouvoir central y fut
attentif et sotigea a parer a la perte imminente et
inéluctable des rickesses artistiques et hisloriques
d'Ypres et de la vallée de l'Yser ce fut
Trembloy
Et la Providence lui procura l'aide indispen
sable, la coopération opportune et décisive saus
laquelle ses efforts énergiques eüssent pu rester
stériles.
Deux hommes se retrouvèrent, en (jfet, inopi
nément d Ypres après I'evacuation finale du
5 mat.
Le Colonel Trembloy y revconira le populaire
abbé Dslaere, le futur Chanorne promu, après la
guerre, au décanat d'Ypres ressuscitêe.
Ce furent les deux pioniers de l'oeuvre de
sauvetage qui assura a cette vieille et noble ville
la conservation de ses souvenirs si mervetlleux.
Entr'tux, se situe l'efficace et remarquable
collaboration d'un sous officier de gendarmerie,
véritable manouvrier de cette oeuvre, qui vécut le
drame d'Ypres jusqu'a son épilogue M. Ftrmm
Bastin, aujourd'hui retraité a Denierleeuw,
prés d'A lost.
Mats, si nous reprenions le texte littéral du
rapport
Une évacuation hative eut lieu et j'inter-
vins immédiatement pour piêter l'aide néces
saire a nos malheurtux concitoyens.
Cependant, des actes de pillage ayant été
commis par des soldats de l'Armée Britan-
niqu°, j'en fis rapport le ii mai igi5, n" 336,
au Général Commandant ces treupts.
Un service préventif et répressif fut orga-
nisé par mes soins a la date du 24 mai, cent
vingt-quatre proiès veibaux avaieut iédi-
gés a charge de militaires anglais, frangiis
et beiges.
Je me mis en rapport avec 1'Assistant Pro-
vost Marshal du Corps pour réglementer
la circulation a Ypres de civils sollicitant
l'autorisation d'y rentrer, pour enlever des
valeurs, objets, etc. et ainsi empêcher le pil
lage par des personnes étrangères aux armées.
Les civils devaient se pourvoir d'une pièce
émanant demoi.sur laprésentation de laquelle
leur était délivrée l'autorisation sollicilée.
Ils se rendaient a Ypres accompagnés de
gendarmes du détachemeot du sous lieutenant
Vansluys.
Le 16 mai, a 18 h. 45, j'ai adressé a Mon
sieur le Général Commandant l'Armée britan-
nique, a Saint-Omer, le télégramme suivant
Suite a mon rapport 336 du tl mai 1915,
j'apprends que des militaires anglais se ren-
dent coupables de pillages a Y pres. Je vous
demande respectueusement de prendre des
mesures sans retard.
Quelques jours après, Monsieur le général
Rycroft est venu a mon bureau. Après avoir
dit que 1'administration de la ville aurait dü
ètre remise dans les pouvoirs de l'autorité
anglaise, au lieu d'être dtrigée par l'autorité
de ce qu'il appelait un gouvesneur militaire
balge il voulait sans doute dire jin com
mandant de place til ajouta que l'autorité
anglaise ne pouvait prendre de responsabilités.
Je lui expliquai que la ville d'Ypres n'était
plus une cité, mais un véritable champ de
bataille oü l'ingérence policière et administra
tive beige était, pour ainsi dire, exclue que
l'évacuation avait été consentie avec la
restriction formelte d'une protection efficace
garantie aux biens de nos nationaux, et que
je ne pouvais consentir a une telle situation,
sans en prévenir immédiatement le Chef du
Gouvernement beige. Le Général m'a alors
déclaré que l'ordre serait maintenu dans les
limites du possible.
Le sauvetage d'Ypres et d< s environs
intéressa, comme je l'ai dit, plusieurs dé
partements ministériels
i° Au Ministère de la Justice je trans
mis les archives du Tribunal de 1" instance,
notamment les actes de l'éiat civil de la ville
ét de l'arrondLsemeni, les fiches signalétiques
de personnes dont les cadavres furent retrou-
vés sous les décombres, les valeurs, fonds et
objets dont les propriétaires ou ayants droit
étaient inconnus.
20 Au Ministère des Finances les fonds,
valeurs, objets dont les propriétaires ou
ayants droit pouvaient être découverts
3° Au Ministère des t cietces et des
Arts: les valeurs artistiques et his oriques
expédiées au Petit Palais a Paris, sous la
surveillance de mon personnel et remis a
Monsieur le Baron Kervyn de Lettenhove
(conservateur) ou a M. Domartin (son délé-
gué). L'ameu"dement de certaines églises du
pays a été dirigé, dans les mênties conditions,
sur l'Abbaye de Valloire a Neuville s/Mon-
treuil.
4° Au Ministère de l'Agriculture je
remis, par l'inteimédiaire de ses délégués,
MM. les Inspecteurs Vétérinaires Vander-
heyden et De Caesteker, le bétail sauvé par
mes soins et avec l'aide de M. Decluyse
Remy-Alphonse, instituteur et secrétaire com
munal de St-Jean et de Brielen, refugié a
Vlamertinghe.
5° Au dépöt du Volkshuis rue
d' ipres, a Poperinghe, je remisai a la dispo
sition de M. l'avocat Van der Mersch Joseph,
délégué du Bourgmestre et du Commissaire
d'Arrondissement d'Ypres, des meubles et
objets qui furent remis de la main a la main,
lorsque 1* s propriétaires pouvaient établii sur
ceux ci leur droit de propriété. Afin d'éviter
la déiérioration par l'humidilé ou le manque
de soins, l'enlèvement frauduleux ou la
destruction par le bombardement, des autres
meublts et objets, dont les piopriétaires sont
inconnus, je les ai confiés pour une utilisation
ordonrée a nos établissements sanitaires,
a nos états m»j irs, etc
J'ai piê'é a nos concitoyens, nos fonction
naires, 110s établissements public- (banque de
Courtrai, école industrielle, école de bien-
faisance, prison, bureau de l'enregistrement.
celui des hypothèques, etc.) toute l'aide qu'il
était en mon pouvoir de leur procurer.
Je possède a eet égard des multiples
témoignages écrits de reconnaissance.
Les procés verbaux a charge des militaires
anglais étaient transmis a Monsieur le Provost
Marshal de la IIe Armée britannique.
Le Commandement du district d'Ypres a
été, au mais de juin, transféré a Poperinghe.
Les armées alliées se servant d'une quantité
énorme de matériaux provenant de maisons
détruites par le bombardement, j'ai conservé,
aux communes d'Ypres et de Vlamertinghe,
le bénéfice considérable de ceux-ci, en y insti-
tuant une Commission permanente d'óva-
(1) II s'agissait de ce Lieuteaant-Colonel d'infaaterie
beige disposant d'une équipe de gendarmes et de travailleurs
qu'on nomma Commandant de place 4 Ypres. Ce fut une de
ces mille erreurs que notre gouvernement latesa eommettre.
Pourquoi un officier beige dans la zóne anglaise alors que le
Colonel Trembloy avait Ypres dans ses attributions De 14,
l'attitude du général Rycroft qui d'égageait ses responsabHités.
luation, composée de deux membres compé
tents, choisis parmi les compagnies de
Travailleurs. Ces commissions ont dressé
des ftiventaires complets, avec prix d'estima-
tion de ce qui a été enlevé.
CONCLUSION
Le personnel d'Ypres, sous mes ordres,
a été admirable d'endurance et de sangfroid.
Nourri et logé dans des conditions fatalement
difficiles, de service sous la menace constante
du danger dont l'entourait un bombardement
continuel et violent, il est resté vaillamment a
son poste.
Les gradés dont les noms suivent, furent
tués par les obus en service commandé
i° Le 22 Avril, les maréchaux-des logis de
ie cl. a pied Pirron Richard N° iio25
Vat s Pierre-Jacques Jean N° ng52 le maré-
chal des-logis de 20 cl. a cheval De Crop
Joseph Corneille N° 13663.
20 Le 14 Juillet, le brigadier a pied Ver-
maelen Joseph-Louis N° i338g.
Je les ai fait enterrer a Poperinghe oü leur
familie aura la consolation de pouvoir visiter
leur tombe et j'ai transmis a Monsieur le
Ministre de la Guerre, le 4 Septembre, une
proposition pour distinction honorifique
posthume.
3° Postérieur em ent au depart du Colonel
Trembloy, il faut ajouler a cette lisle héroïque,
le brave maréchal des logis a cheval Grumeau,
(de la brigade de Mons), qui resta a Ypres pen
dant des moisrenonpa ditfêrentes fois a la faveur
d'etre relevé de son poste et fut tué au début
de iqió.
De nombreux gradés furent blessés.
Le manouvrier Je ce formidable travail de
sauvetage est le premier maiéchal des-logis a
pied Bastin, du Corps. Pendant sept mois,
au cours de journées entières, ce sous officier
d'élite, au mépris des pires dangers, a pour-
suivi les travaux de sauvetage sans manifester
ni lassitude, ni crainte sans souci de sa séou-
rité personnelle. Je l'ai proposé pour la Croix
de Chevalier de Léopold II, par mes rapports
Ncs 746 et 967 des 21 Aoüt et 1 Septembre
igt5.
La mission spéciale dont j'avais été chargé
dans la zóne des armées alliées a pris fin le
i5 Novembre ig15. Certains services qui
subsistaitnt encore furent placés dans les
attributions de deux prévötés beiges, instal-
lées cette üate l'une est attachée a l'armée
lrar.gaise l'autre est attachée a l'armée bri-
tannique.
J'ai élé trés touché des lélicitations et des
marques de sympathie que m'ont prodiguèes
les diverses autorités avec lesquelles j'élais
en relation, les populations aux intéréts des-
quelles j'avais mission de veiller. Je conserve
comme de patriotiques souvenirs les nom-
breuses lettres oü les uaes et les autres m'ex-
priment leur estime et leur reconnaissance.
Je donne ici acte au lieutenant de gendar
merie Dumont, qui fat mon seul adjoint, de
ses qualités d'énergie, d'orgai.isation et. d'ini-
tiaiive.
Le Colonel de Gendarmerie
TREMBLOY.
Le Général Leclercqcommandant le corps
de la gendarmerie nationale beige transmettait
au Colonel Trembloy, passé le 16 Novembre igi5
au commandement de la gendarmerie territoriale
de la Base de Calais.
Etat - Major N° 4932. Campagne - lez-
Guines le i5 Novembre igi5.
Monsieur le Colonel. Par sa lettre du
12 courant n° ig836, Monsieur le Ministre de
la Guerre me mande ce qui suit
«Je vous prie d'exprimer au Colonel Trem
bloy du Corps sous vos ordres, toute ma satis
faction pour la fagon dont il s'est acquitté de
ses fonctions de Commandant de la Gendar
merie territoriale dans la zóne des armées
alliées. La distinction que S. M. le Roi lui a
accorded sur ma proposition, témoigne de la
reconnaissance du Gouvernement pour les
peines que eet officier supérieur s'est données