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Chambre des Représentants
projet rurainé en haut lieu. Or, il se faisait
que, la veille précisément, a la réunion tenue
k Binche, le vceu avait été émis de ne plus
voir démolir le moindre vestige de remparts
existant encore dans le pays. Des échanges
d'explications eurent lieu a 1'hótel de ville,
avant le banquet, et, si l'on ne s'en prit pas
aux cheveux, c'est uniquement paree que
certains systèmes capillaires étaient, de
longue date déja, réduits a leur plus simple
expression. Des explications trés insuffisantes
furent fournies dans un salon voisin de la
salie a diner, et, le sourire aux lèvres, on se
rendit a table. Le siège était fait...
Cependant, un travail de taupe se continuait
laborieusement, et, a peu prés a la veille
des vacances parlementaires, l'acte d'échange
de terrain entre l'Etat et la ville était proposé
a l'approbation de la Chambre. Notre député,
M. Ernest Nolf, vint y mettre obstacle,
cornrne on pourra en juger par le compte-
rendu de la séance du 3 Mai 1912, que nous
reproduisons ici. PYRE5.
Annales Parlementaires
Séance du Vendredi 3 Mai 19L2
Séance de l'après midi.
M. le président. La parole est a M. Nolf
pour une motion d'ordre.
M. Nolf. Messieurs, la Chambre, a la fin
de la séance d'hier, après le départ de mon
dernier train, a bouleversé son ordre du-jour
et décidé de discuter en séance de ce matin
toute une série de projets qui ne devaient être
discutés aujourd'hui que dans l'après-diner.
Rien ne faisait prévoir ce changement ap
porté a l'ordre de nos travaux et ce n'est qu'en
entrant en séance ce matin que j'ai appris
qu'une séance extraordinaire avait été fixée a
9 heures du matin.
Je n'avaispasété touché par la convocation;
man courrier parlementaire, a Ypres, ne m'est
en effet distribué qu'a 9 heures du matin.
Parmi les projets de loi qui ont été discutés
figürait celui relatif aux ahénations de biens
domaniaux. Je comptais, au cours de la dis
cussion de ce projet, p oposer la disjonction
de la convention qui figure sous le n° XVII,
qui comporte un échange de terrains entre la
ville d' Ypres et l'Etat.
Cette convention, qui semble avoir passé
inaperque au sein de la commission chargée
d'examiner ce projet, a soulevé des critiques
sévêres dans la presse et le moede des artis
tes.
De quoi s'agit il II s'agit d'ériger a l'entrée
de la ville d'Ypres une caserne de gendarme
rie a un emplacement qui nécessitera la démo-
lition partielle, d'aucuns craignent totale dans
la suite, des vieux remparts qui attirent les
regards du touriste qui débarque dans notre
ville.
Jean Dardenne, dans la Chronique errante,
a été amené k donner son avis au sujet de ce
projet et voici dans quels termes il l'apprécie:
Vous connaissez Ypres, écrit il, et vous
voyez d'ici l'entrée actuelle de la ville, a l'is
sue de la gare. On a banalisé cette entrée en
supprimant, du cóté gauche, ce qui restait de
la vieille enceinte et du fossé et en érigeant
sur le terrain nivelé, un paté de maisons fa-
briqué selon la dernière recette renaissance
flamande. Latoutest dit: le charme est rompu.
Reste le cóté droit, qui conserve les vesti
ges du vieux bastion miré dans l'eau du fossé
et couronné de groupes d'arbres d'une exqui
se silhouette. Ici du moins, la beauté persiste.
Derrière ces restes vénérables et charmants
de l'ancienne place forte s'étend «l'Esplanade»
avec la caserne au fond. Le regard du visiteur
est attiré et séduit par ce coin du tableau qui
se présente a l'entrée d' Ypres. Et rien n'égale-
rait l'étonnement de l'homme doué de quelque
sentiment de l'es'.hétique lorsqu'il apprendrait
tout d'abord que l'on songe a embellir cet
te entrée en rasant ce qui subsiste du bastion
avec les arbres qui le couronnent, cela va
de soi, en comblant le fossé et en érigeant sur
le terrain aplani et nivelé une caserne de
gendarmerie
Cette appréciation de Jean Dardenne, dont
nul ne contestera l'autorité, n'est pas isolée.
Le Bulletin de la Société nationale pour la
protection des sites et des monuments n'est
pas moins sévère dans ses critiques. Voici ce
que je lis dans le numéro de mars 1911
Les villes ayant conservé leur enceinte
sont devenues rares en Belgique. II y aurait
lieu de maintenir ces vieilles murailles qui
intéressent l'histoire de nos cités et l'histoire
militaire du pays. II n'est pas trop de toutes
les bonces volontés pour atteindre ce but.
Un nouvel exemple de vandalisme, en
partie évité, s'est produit a Ypres. On sait
tout le pittoresque que ces vieux remparts
donnent a la vieille cité flamande. Or le con-
seil communal avait conclu une convention
avec l'Etat pour la démolition d'une partie de
ces restes. Grace a la presse et a de puissan-
tes interventions, on conservera la partie du
bastion faisant saillie sur les fossés et un nou
veau chemin d'accès sera pratiqué dans le
square qui seracréé prés des murs conservés.
C'est un provisoire qui ne donne nulle
garantie. II fauirait que la commission des
monuments admette les remparts d'Ypres
comme monument et les range dans la 3' clas
se, comme elle a fait pour une partie des forti
fications de Ter monde
Lors du congrès d'art public, tenu a Ypres,
il n'y a eu qu'une voix pour réclamer le mair.»
tien intégral de nos remparts. Enfin, M. Ar
thur Butaye, l'auteur de l'excellent guide
d'Ypres, dans une lettre qu'il a adressée a
Jean Dardenne et qui fut publiée, s'élève éga
lemeot contre le projet et s'exprime comme
suit
L'affaire est faite. On démolira le rempart,
on établira a sa place une caserne de gendar
merie. C'est décidé, c'est signé. Oh la démo
lition ne se fera pas en une fois. La moitié
d'abord, le strict nécessaire pour construire
la caserne. Puis dans une couple d'at-
nées on constatera la nécessité d'achever
l'opération on dira ce qui reste ne vaut plus
la peine d'être conservé. Et le tour sera joué.
Ainsi done, ce qui frappe le visiteur dès
son arrivée chez nous, ce qui l'avertit qu'il
entre dans une ville d'art et de souvenir, ce
qui fait qu'Ypres n'est ni Poperinghe, ni Rou-
lers, ni une ville d'usines, ni un amas de inai
sons quelconques, que derrière ces remparts,
il y a un passé historique qui palpite encere,
ce beau reste de muraille surmonté de ce fier
panache d'arbres reflété dans les eaux du large
fossé, ce joyau que Bruges envierait pour le
mettre a cóté de son lac d'amour, nos édiles
le sacrifient, le rasent pour y établir quoi
Une caserne de gendarmerie. C'est oaieux
Messieurs, il s'agit de savoir si la Chambre
va approuver cette convention, qui" implique
la démolition ti'une partie de nos vieux rem
parts et qui ne nous donne aucune garantie
pour l'avenir,
Je suis sans parti pris dans cette question
et je n'ai pas la prétention d'invoquer une
compétence personnelle mais je suis inquiet
des critiques que j'entends formuler autour
de moi. En les signalant a la Chambre, je ne
poursuis qu'un but dégager ma responsabili-
té et mettre la Chambre en garde contre un
vote de surprise. En présence de ces appré-
ciations qui émanent de personnes compéten-
tes et désintéressées, il me semble que la
Chambre fera bien d'y regarder a deux fois
avant d'autoriser le génie militaire a construire
la gendarmerie a l'endroit prévu par la con
vention.
Rien ne nécessite du reste l'établissement
de cette caserne en eet endroit. II y a a Ypres
d'autres emplacements a trouver. J'ajoute que
l'Etat y possè'de des Latiments militaires désaf-
fectés, comme la caserne Sainte-Barbe, qui a
logé jadis un détachement de cavalerie et qui
n'est occupée actuellement que par un seul
homme, l'adjoint du génie. La gendarmerie y
serait mieux installée qu'ü l'Esplanade cette
caserne présente en outre l'avantage d'être
située a proximité du palais de justice et k
quelques mètres seulement de la plaine des
manoeuvres. Je ne cite eet emplacement qu'a
titre d'exemple, il y en a d'autres encore. II
n'y a done aucune nécessité d'aller construire
la nouvelle gendarmerie a l'Esplanade et s'il
ne s'agit que d'une question d'embellissement,
trés contestée comme vous venez de l'en-
tendre, encore conviendrait il que la Cham
bre sache, avant de prendre une décision, ce
que sera la caseïne de gendarmerie que l'on
veut ériger sur l'emplacement de nos remparts.
Sera t-elle d'une conception architecturale
digne d'une ville d'art comme la nötre Nous
n'en savons rien, nous n'avons pas de plan au
dossier.
M. Colaert. Si, si.
Af. Nolf. Vous faites erreur, j'ai examiné
complètement le dossier, qui est déposé au
greffe de la Chambre, mais le plan n'y est pas.
La Chambre a done a statuer sur un dossier
incomplet et c'est dans ces conditions qu'on
lui demande de décréter la démolition d'une
partie de nos remparts.
MVandervelde. On les démolira quel
que jour, comme on va démolir le manége de
l'Abbaye de la Cambre.
MNolf. D'autre part, messieurs, si la
gendarmerie doit être érigée a l'endroit indi-
qué a la convention, je voudrais que celle ci
nous donnat des garanties pour l'avenir.
Beaucoup de nos concitoyens craignent
et c'est le cas de M. Butaye, dont j'ai cité
l'opinion que la démolition partielle ne soit
suivie de la démolition totale dans un avenir
plus ou moins éloigné et que, en vue de créer
une nouvelle source de revenus pour la ville,
on ne fasse la ce qui a été fait de l'autre có
oü l'enceinte a disparu, oü le fossé a été com-
blé et oü le terrain nivelé a été vendu comme
terrain a batir. C'est la ce que nous devons
éviter or, la convention ne nous donne au
cune garantie a eet égard elle prend des
garanties contre l'Etat, c'est a-dire qu'elle se
borne a stipuler que l'Etat s'engage a ne
pas réclamer ou exiger dans la suite pour
motif de dégagement des abords de la nou
velle caserne, la démolition de la partie
restante des remparts
Mais la convention ne stipule aucune garan
tie contre la ville. Celle ci restera maïtresse
de démolir la partie restante des remparts. Je
veux bien admettre que ce ne soit pas l'inten-
tion de l'honorable M. Colaert, mais qui nous
dit que ce ne sera pas un jour l'avis de son
conseil communal. En tout cas, il ne peut pas
répondre de l'avenir, et c'est pour cette raison
que je veux trouver des garanties dans la con
vention même. C'est pourquoi aussi je me suis
permis d'appeler toute l'attention de la Cham
bre sur cette question. Trés bien, a gauche).
Af. le président. La parole est a M.
Colaert.
Af. Colaert. Messieurs, la question que
vient de soulever l'honorable M. Nolf n'a pas
l'importance qu'il veut y attacher. II ne s'agit
pas du tout de démolir les remparts d'Ypres.
Si l'on songeait a les démolir, je sais quelqu'un
qui protesterait contre cette démolition, et
l'honorable M. Nolf le connait aussi bien que
moi. Vous savez, mon cher collègue, que je
ne permettrais pas la démolition de nos ma-
gnifiques remparts, ni d'une partie quelconque
des souvenirs que le temps nous a légués.
Voici ce dont il s'agit un jour l'Etat avait
songé a établir une caserne de gendarmerie a
l'Esplanade que vous connaissez parfaitement
bien et qui est aussi connue par l'honorable
M. Camille Huysmans.
Je me suis opposé a cette construction au-
tant que j'ai pu, paree que la vue de l'Espla
nade et celle de nos magnifiques remparts
auraient été interceptés par la construction
de cette caserne. Je m'y suis done opposé
vigoureusement. Et alors, l'Etat nous a dit
nous avons un terrain, appartenant au génie