Charles Hongenae
Séance du 11 Mai 1932
portant interprétation des lois coor.
données par arrêlé royal du 6 Sep
tembre 1921, sur la reparation des
dommages de guerre.
25, Rue du Temple, 25, YPRES
Ordres de Bourse
Comptant Terme
A g—i
Cbambre des Représentants
PROJfT DE LOI
RAPPORT
fait au ttorn de la Commission de la Justice
et de la Legislation Civile et Criminelle
Par M. OE WINDE.
Madame, Messieurs,
L'article 28 de la Constitution attribue au
pouvoir législatif l'interprétation deslois par
voie d'autorité 11 en résulte que lorsque
l'application de la loi, telle qu'elle a élé faite
par le pouvoir judiciaire est contraire a la
volonté du législateur qui a congu et rédigé
la loi, ïl appartient a celui-ci de déterminer a
nouveau ce qui fut sa pensée.
Le Gouvernement par son projet de loi du
23 lévrier ig32, dénonce au pouvoir législatif
deux arrêts récents de la Cour de Cassation
(des 26 lévrier et 9 juillet 1931) cassant des
arrêts rendus par les Cours de dommages de
guerre de Gand et de Liége. Ces arrêts de Cas
sation ont, dit le projet de loi, attribué au
législateur de 1919 et de 1921 une volonté qui
manilestement n'a pas été cotQue ni exprimée
par les lois des 10 mai 1919 et 6 septembre
1921 sur la réparation des dommages de
guerre.
£es lois attribuent aux sinistiés une indem-
nité dite de réparationqui se compléte,
lorsqu'il y a lieu, dans un intérèc national, a la
reconstitution du bien détruit, par une secon
de indemnité dite de remploi
L'indemnité de réparation sera égale, dit la
loi, a la valeur du bien au 1" aoüt 1914.
L'indemnité complémentaire (en cas de
remploi) sera égale a la différence entre
1'inaemnité de réparation et le coüt de la
réparation ou de la reconstitution au moment
oil le juge des dommages de guerre aura a
fixer le montant
L'octroi de cette double indemnité était la
condition indispensable pour que le sinistré,
quelque fut l'époque a laquelle serait fixée la
somme totale lui attribuée, puisse répondre
au désir du législateur de le voir reconstituer
ce qui avait été a la fois et le patrimoine du
sinistré et celui de la Nation.
Le sinistré ne peut cependant, la reconsti
tuuon étant faite grace k cette double indem
nité, y trouver, en outre, un bénéfice. C'est
pourquoi le législateur (article 15 de la loi du
6 septembre 1921) impose au juge de déiluire
de l'indemnité de remploi une somme repré
sentant la moins-value résultant de la vétusté
du bien détruit.
Grace a cette indemnité de remploi et a la
manière dont tlle devait étre calculée le sinis
tré a la certitude que l'incidence des événe-
ments économiques ou monétaires sur le coüt
de cette reconstituuou ne pourra empêcher
de réaliser celle-ct. Cette indemnité de rem
ploi, comme s'en exprimait fort exactement
M. bartini van de Kerckhoven, avocat géné
ral a la Cour de Cassation, en son avis du 26
févner 1931, compense la dépense éventuelle
que la reconstitution du bien va causer au
sinistré
C'est aussi ce qui faisait dite k la Cour de
Cassation, en son arrêt du 1" mars 1928, que
l'indemnité complémentaire de remploi fut
établie surtout pour compenser la diminution
du pouvoir d'achat de la monnaie et lui fit
casser l'arrêt de la Cour de Bruxelles paree
que celle-ci avait refusé de tenir compte de
la majoration qu'avait subi le coüt de la recon
stitution par suite de la dépréciation monétai
re entre la date du 1" aoüt 1914 et le moment
oü la reconstitution est définitivement prescrite
c'est- i-dire précisément le préjudice résultant
de la dépréciation monétaire
Le sinistré est ainsi garanti contre toute
dévaluation de la monnaie due, soit au chan
ge, soit k une disposition légale telle que la
stabilisation de la dévaluation du franc opérée
par l'Arrêté Royal du 25 octobre 1926.
Après comme avant la stabilisation le sinis
tré trouvait dans l'indemnité de remploi le
moyea de compenser la dépense éventuelle
que la reconstitution du bien pouvait occasion-
ner pour reprendre l'expression de M. l'avo-
cat général Sartini van de Kerckhoven.
Mais les arrêts dénoncés ne visent que cette
partie de l'indemnité dite de réparation
qui aux termes de l'article i3 de la loi sera
égale a la valeur du bien au l'r aoüt 1914 et
leur seule portée consiste k décider que par
suite de l'Arrêté Royal de stabilisation du
25 octobre 1926, cette indemnité doit être
évaluée par le juge au moyen de l'unité moné
taire telle qu'elle est légalement fixée au mo
ment oü il statue ou en d'autres termes que
la valeur au 1" aoüt 1914 doit être multipliée
par 7 pour obtenir le montant de l'indemnité
de réparation pour être conforme a ce que le
législateur de 1919 et 1921 aurait entendu
attribuer a tout sinistré.
La Cour de Cassation ajoute que l'indem
nité de remploi est et doit rester sans influen
ce sur le montant de 1'indemDité de répara
tion (arrêt du 9 juillet 1931).
En fait cette jurisprudence aurait pour efïet
d'attribuer au sinistré ayant droit a la double
indemnité de réparation et de remploi un
total d'indemnités qui dépasserait, et même
considérablement, le montant du dommage
subi comme de la dépense nécessaire pour
reconstituer le bien. Or, il n'est pas possible
de trouver ni dans le texte des lois de 1919 et
1921, ni dans les travaux préparatoires la justi
fication de l'attribution de pareille volonté
aux auteurs des lois en matière de réparation
des dommages de guerre.
II importe, en effet, de remarquer que les
arrêts de la Cour de Cassation dénoncés par
le projet de loi, ne modifient en rien la juris
prudence relative a l'application de la loi en
ce qui concerne l'indemnité de remploi telle
que nous venons de l'établir et que l'a incon-
testablement voulue le législateur.
Après comme avant l'arrêté de stabilisation,
l'indemnité de remploi demeure égale a la
diflérence entre l'indemnité de réparation,
évaluée sur la base de la valeur du bien au i'r
aoüt 1914 et le coüt de la. réparation ou de la
reconstitution, déduction faite de la vétusté.
Pour certains biens le législateur a même
pris soin de fixer lui-même la mesure de
l'indemnité de remploi. C'est ainsi que pour
les dommages aux bois (cas visé par l'arrêt du
26 février I93i), l'indemnité de remploi sera
égale au montant .des frais d'aménagement et
de replantation.
L'article 17 disposé que pour certains meu*
bles l'indemnité de remploi sera de 3, 4 ou 5
fois la valeur au l'r aoüt 1914 et de 4 ou 5 fois
cette valeur en cas de perte totale d'un mobi-
lier de moins de 2,5oo francs ou de moins de
1,000 francs (Cassation 10 novembre 1927).
Divers arrêts de Cassation et notamment celui
du 12 avril 1923 ont, d'autre part, décidé qu'il
appartient au juge du fond d'évaluer souverai
nement le montant du bénéfice du remploi.
Enfin s'il fallait accepter les arrêts dénon
cés comme traduisant la volonté du légis
lateur, il faudrait admettre que suivant que
les décisions en matière de dommages de
guerre seraient rendues avant ou après l'ar
rêté royal de stabilisation, les sinistrés ayant
droit au remploi recevraient une indemnité
totale,égale ou supérieure au dommage réelle
ment subi. II n'en lut évidemment pas ainsi.
Qu'on n'objecte pas que tel ne serait pas
le cas des sinistrés n'ayant droit qu'a l'indem
nité de réparation, que pour ceux ci, si leur
indemnité n'a été fixée qu'apiès l'arrêté de
stabilisation, la dévaluation de la monnaie
résultant de eet arrêlé constitue une perte
égale aux 6/7" de la valeur du franc au l,r
aoüt 1914 et que le législateur n'a pas entendu
leur infliger cette perte.
En eflet, revaloriser pour ceux ci l'indem
nité de réparation qui, d'après la loi, doit être
de la valeur au i" aoüt 1914, serait admettre
pour ces sinistrés la 'éparation d'une perte
qui est commune a tous les Beiges atteints
par la dévaluation de la monnaie et non seule
ment aux sinistrés, alors qu'a diverses repri
ses les travaux parlementaires nous appren-
nent que cette perte-la a été nettement exclue
de l'indemnité que le législateur a entendu
accorder.
Le législateur n'a d'ailleurs, dans aucune
disposition de la loi, entendu établir un traite-
ment diflérentiel pour fixer l'indemnité de
réparation selon que le sinistré avait ou
n'avait pas droit a une indemnité de remplut.
En réalité si les sinistrés, qui n'ont droit
qu'ü l'indemnité de réparation et dont l'indem
nité n'a été fixée qu'après le 26 octobre 19.1b,
toucheront une valeur moindre, cela tient
uniquement au retard apporté au jugement
de leur cause. II en fut de même pour ceux
dont l'indemnité n'a été fixée qu'au cours des
dsrnières années qui ont précédé la stabilisa
tion et pour tous ceux qui, en toutes malières,
et devant toutes les juridictions, quelles qu'el-
les fussent, ont dü attendre longtemps avant
que justice ne leur fut rendue. C'est pourquoi
le législateur a, par le texte de l'article i5,
faisant varier le montant de l'indemnité de
remploi avec le ci üt de la reconstitution,
fourni dans un intérêt national a ces sinistrés
ayant droit k l'indemnité de remploi, le moyen
d'assurer cette reconstitution. Mais aucune
disposition de la loi n'a accordé la même
faveur aux sinistrés n'ayant droit qu'ü une
indemnité de réparation. C'est ce que les
arrêts dénoncés ont entendu ajouter a la loi,
croyant de l'appliquer.
On objectera peut être que ce n'est pas par
application des lois sur la réparation des dom
mages de guerre que les arrêts dénoncés ont
décidé que tout sinistré a droit a voir son
indemnité de réparation multipliée par 7 de-
puis le 25 octobre 1926, mais par application
de l'arrêté royal du 25 octobre 1926 et que ce
serait eet artêté ayant force de loi qui aevrait
être interprété par le législateur pour ne pas
contraindre le juge a multiplier par 7 l'indem
nité de réparation.
Tout d'abord il importe de remarquer que
le texte du projet de loi, s'il ne cite l'arrêté du
26 octobre 1926, dispose cependant que la
créance du sinistré ne sera que d'une somme
numérique dans les espèces ayant cours au
moment du paiement Cela suffirait a écar-
ter l'objection.
Mais l'on peut se demander si l'arrêté royal
de stabilisation disant que dorénavant le franc
beige ne comportera plus qu'une valeur or
égale au i/7e de ce que comportait le franc
légal antérieur a eet arrêté, exige que pour la
fixation du montant d'une somme due, dès
avant l'arrêté royal de stabilisation, le juge
statuant après l'arrêté de stabilisation devra
tenir compte du fait que le franc légal après la
stabilisation ne contrent que le 1/7® d'or que
contenait le franc légal avant la stabilisation.
Tout d'abord aucun texte de loi ne compor-
te pareille disposition.
D'autre part pour la détermination d'une
somme d'argent, le franc n'est pas le seul élé
ment de mesure a envisager.
L'arrêté de stabilisation dit expressément
en son article 7 Les billets en francs émis
par la Banque continuent a avoir leur cours
légal.
Rien n'est modifié, par le présent arrêté
aux lois existantes quant a la force libératoire
de ces billets et a l'ooligation pour les caisses
publiques et les particuliers de les recevoir
comme monnaie légale nonobstant toute con
vention contraire
II s'ensuit, et la jurisprudence en a maintes
fois décidé ainsi, que toute débition d'une
somme déterminée par l'accord des parties ou
par la loi, même si le montant n'en était pas
chiffré d'avance, ne sera pas modifiée quant
au montant numérique de la dite somme par
l'effet de 1'arrêté royal de stabilisation.
Quand il s'agit d'une indemnité compensa
toire, le montant sera influencé non par la
dévaluation stabilisée du franc mais par les
modifications de valtur subies par les autres
éléments servant a évaluer le montant de cette
indemnité tels le coüt plus élevé des choses
ou le niveau des traitements et salaires suré-
levés par la diminution de la valeur intrin-
sèque du franc. Mais l'unité monétaire restera
légalement un facteur de calcul invariable
après comme avant l'arrêté de stabilisation.
Dès lors l'ariêté royal de stabilisation, com
me il s'en explique d'ailleurs lui-même, quant
a la force libératoire du franc, n'a pas établi
une nouvelle mesure légale de valeur.
C'est done bien la volonté du législateur
telle qu'elle a été exprimée dans les lois des
10 mai 1919 et 6 septembre 1921, qui a été
mal comprise par les arrêts de la Cour de
cassation et qui, a raison de ces arrêts, doit
être manifestée a nouveau.
C'est 1'objet du projet de loi déposé par le
Gouvernement et dont la Commission de la
Justice propose l'adoption par la Chambre.
Le RapporteurLe Président,
E. DE WINDE. L. MEYSMANS.
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