Ils
La Dernière Heure 14 avril
La Restauratlon des Regions dévastées
Elie se trouve actuellement
dans le marasme le plus complet
61 communes réclament I’application de la lot
Ypres, le cimetière de la Flandre, la ville
que la guerre détruisit de fond en comble et
qui, peu a peu, renait de ses cendres, a été
dimanche le theatre d’une imposante mani
festation.
Les bourgmestres de la vallée de 1’Yser,
qui vinrent dernièrement a Bruxelles exposer
au Roiles doléances deleurs administrés, n’ont
pas obtenu satisfaction. A ceux qui, chassés
de leurs foyers par la guerre ne trouvèrent a
leur retour que deuil et que misère», comme
dans le lied d’Ossian, on promit, en 1919, de
réparer tous les dommages a la condition
qu’ils vinssent repeupler et assainir le no
man’s land
Les sinistrés sont revenus. Ils ont travaillé.
Ils ont rébati de prospères bourgades dans
le désert.
Mais la loi qui, consacra les promesses de
1919 est devenue lettre morte. Les ministres
qui se succèdent aux Affaires économiques y
apportent chacun leurs restrictions. Les droits
des cessionnaires sont méconnus, les indem-
nités mobilières restent impayées bref la
restauration des regions dévastées qui, dans
les premièresannées, futune ceuvre laborieuse
eténergique, est aujourd’hui dans le marasme
le plus complet. Partout les travaux sont
arrètés.
C’est pour protester contre eet état de
chose que des milliers et des milliers de sinis
trés ont manifesté dimanche a Ypres, avec, a
leur tête, leurs bourgmestres, leurs drapeaux
bigarrés et leurs musiques tonitruantes. Il y
avaitli les représentants de 6i communes.
En tête du cortège marchaient MM. Arthur
Butaye et Paul Beaupain, président d’hon-
neur et président de la Fédération nationale
des sinistrés Van Alleynnes, délégué perma
nent a la Fédération des Cooperatives des
dommages de guerre Glorie, ancien député
d’Ypres Rabau, conseiller provincial, etc.
Le cortège
Les manifestants portaient de nombreux
cartels réclamant leurs droits et l’application
intégrale de la loi. lis ont défilé en rangs
serrés entre les fagades neuves hérissées de
drapeaux neufs, tandis que les harmonies et
les fanfares jouaient inlassablement.
Les droits des sinistrés
Sur des tribunes improvisées et dressées
dans Ie décor impressionnant des célèbres
manifestation fut grandiose. Les délégations
de 61 communes du front ayant presque toutes
a leur tête leur conseil communal, 27 sociétés
de musique, tout cela a défilé pendant une
heure et quart, en rangs serrés, dans un ordre
admirable, sans un cri, sans le moindre tumul-
te, au milieu d’une foule innombrable. On
pourra en juger la manifestation a été filmée
et le film sera projeté dans de nombreux ciné-
mas de Belgique. Ce qui faisait le pittoresque
et l’émouvant de cette manifestation, c’était la
succession des cartels et des banderoles por-
tant des inscriptions en frangaiset en flamand.
Telle commune réclamait son église, telle autre
son école, la plupart demandaient justice, le
respect de la loi, l’égalité pour tous les sinis
trés, la fin des vexations et des restiictions.
Que le gouvernement y preijne garde il a
regu hier un solennel avertissement des popu
lations sinistrées il aurait tort d’en faire fi.
Nous ne reproduirons pas les discours qui
furent prononcés sur des estrades dressées
dans le grandiose décor des halles en ruines.
Des orateurs de tons les partis parlèrent en
frangais et en flamand ils traduisirent le mé-
contentementgénéralils furent trés acclamés.
A Tissue de cette manifestation, des télé-
grammes ont été adressés au Roi et au prési
dent du conseil.
Le Soir 14 avril
Les Sinistrés Manifestent
réclament l’exécution
des promesses faites
(De notre envoyé spécial.)
Ypres, i3 avril.
La guerre finie, la région de l’ancien front,
de la mer a Menin, devint un lieu de péleri-
nage pour les uns, un but d’excursions tou-
ristiques pour les autres.
Quand la curiosité des uns et la piété des
autres furent satisfaites, chacun se remit a
ses occupations, et le sort des habitants de
ces régions ravagées, l’opinionnes’en inquiéta
plus. Périodiquement, il fallut que les sinis
trés organisassent des manifestations pour
secouer l’indifférence du public, et la torpeur
des pouvoirs.
Des engagements solennels
Dès que l’état-major eut décidé, en 1914,
de résister sur l’Yser a Tenvahisseur, les popu
lations de cette région émigrèrent, aban-
donnant tous leurs biens. Elles savaient qu’-
après Ia guerre, elles ne retrouveraient plus
que des monceaux de ruines.
Le gouvernement comprit alors qu’il devait
prendre Tengagement solennel de réinstaller
ces malheureux habitants dans leurs biens, de
reconstruire leurs maisons, de leur restituer
un mobilier détruit. C’était d’ailleurs le seul
moyen de ramener les habitants au pays.
Les engagements furent pris ils le furent
par toutes les autorités qualifiées.
Malheureusement, a différentes reprises, il
a fallu rappeler avec force, a ces autorités,
leurs piomesses, et aujourd’hui encore les
sinistrés se voient dans l’obligation doulou-
reuse d’attirer, sur leur sort, l’attention du
pays entier. De récentes décisions du minis--
tere des affaires économiques les y obligent.
Souvenons-nous done que ces gens, complè-
tement ruinés par la guerre, ne sont rentrés -
au pays qu’a la suite de ces engagements.
Ceux-ci doivent être tenus 1
Expliquons brièvement les motifs pour les-
quels les sinistrés s’agitent.
La suspension des payements
En vertu d’une récente circulaire ministé-
rielle, il a été décidé que les sinistrés, qui re-
construiront encore leur maison, recevront
4/5 de la valeur en argent et i/5 en un ché-
que non negotiable par la Fédération des coopé-
ratives.
Les sinistrés sont done obligés de prendre
une hypothèque de i/5 sur leur maison s’ils
veulent la reconstruire. Or, une hypothèque
entraine des charges trés onéreuses actuelle-
ment.
II n’y aurait la qu’un demi-mal si les régions
sinistrées se trouvaient dans unesituation
analogue a celle du restant du pays. Mais il
n’en est rien, et le ministère s’obstine a ne
pas reconnaitre la situation spéciale de cette
région.
On vit encore d’une existence anormale.
Les industries ne s’y sont pas encore réinstal-
lées. La prospérité est encore bien éloignée.
S’il faut 100,000 francs pour reconstruire
une maison, cette maison n’a pas réellement
cette valeur. Le particulier qui voudrait la
revendre n’en obtiendrait pas plus de 25,ooo
ou 3o,ooo francs. De sorte que 1’Etat par sa
récente décision oblige le sinistré a hypothé-
quer sa maison pour la presque totalité de
sa valeur vénale.
Aussi, tous les travaux sont arrêtés les en
trepreneurs font faillite j les artisans sont
sans ouvrage et émigrent. Le grand effort,
que Ton a fait pour ramener la population au
pays risque d’etre perdu.
Les cessionnaires
L’Etat avaitreconnu aux habitants, chassés
par la guerre, le droit de céder leurs titres de
dommages de guerre a des tiers.
Cette décision était sage et juste.
La guerre a bouleversé 1’existence de tons
les habitants. Ceux qui ont cru pouvoir se
refaire une vie, ceux qui ont cru a la restaura
tion de cette région, ceux qui ont eu foi dans
la parole du gouvernement sont revenus au
pays.
Mais 'parmi les émigrés, il en est qui, trop
agés, ou dont la situation était irrémédiable-
ment perdue, ne sont pas rentrés. Ils avaient
cependant droit a des reparations. Ils cédè-
rent leurs droits a des tiers.
La loi reconnait la parfaite légalité de cette
operation et en fixe meme les modalités. C’est
un droit indisputable, et des contrats nom
breux ont été conclus.
Or, brusquement, 1’Etat cesse de reconnai-
tre ce droit, et ordre a été donné de ne plus
rien accorder aux cessionnaires. D’oü des
ruines, des faillites nouvelles en perspective.
Dans la ville d’Ypres la moitié des habitants
appartiennent a cette categorie. Ils ont eu foi
dans le retour de la région a une vie normale
ils y ont commence un commerce, et1’Etat
vient leur dire Vous ne toucherez plus
rien A Bruxelles, a la Chambre, on les a
traités de spéculateurs
Appels c mservatoires
Voici encore une question qui soulève Tin
dignation dans la région.
Bruxelles interjette appel de tout jugement
accordant des dommages aux sinistrés, dés
que ce dommage atteint une certaine somme.
Cet appèl retarde d’un an et demi l’exécution
de tous les jugements, et ariête toute recons
truction d’immeu^le. L’Etat procédé de telle
fagon que le sinistré est dans l’impossibilité,
lui, d’interjeter appel des jugements.
La question du mobilier
Bien que les meubles cofitent cinq fois plus
cher qu’avant la guerre, comme presque tou
tes choses au surplus, 1’Etat s’en tient arbi-
trairement au eoefficient 3. On s’arrangerait
encore mais 1’Etat a décidé de ne plus payer
que 5,ooo francs en argent -- de quoi meubler
convenablement une pièce I A Ypres les par
ticuliere ont reconstruit tout sans meubles,
ou bien ils ont conclu des arrangements
onéreux, confiants dans les promesses du gou
vernement, qui maintenant ne s’exécute pas.
Conclusion
On connait maintenant les principaux griefs
des sinistrés.
Ils accusent 1’Etat de ne pas tenir ses enga
gements et de les avoir mis dans une situation
critique.
Ils reprochent a l’État de n’avoir, sur les
g milliards de dommages actuellement dé-
pensés, accordé que 5oo millions (524 mil
lions 314,i85 fr. 36 c. exactement au 3i mars
1924), a cet arrondissement d’Ypres ou il ne
restait plus pierre sur pierre
Voila les raisons pour lesquelles ils mani
festent aujourd’hui dimanche.
halles en ruines, parmi les colonnes brisées
qui faisaient songer a quelque décor pom-
péien, des orateurs ont exprimé les désidé-
rata des sinistrés,.
Ils ont revendiqué les, droits de tous les
sinistrés du front des Flandres et ont été
ovationné par les milliers d’auditeurs qui
entouraient les tribunes. Rarement Ypres vit
pareille affluence.
Deux télégrammes ont concretise les reso
lutions de cette journée de protestation le
premier, adressé au roi, exprime le loyalisme
des sinistrés le second, adressé au premier
ministre, dit
Les sinistrés du front des Flandres, réunis
a Ypres le i3 avril, eu une manifestation
solennelle
Lésés par les restrictions apportées par
des circulaires et des instructions verbales, et
émus par les continuelles menaces de reviser
la loi qui compromettent 1’oeuvre de restau
ration nationale
Réclament du gouvernement l’application
loyale de la loi existante sur les dommages de
guerre, conformément aux engagements solen
nels pris envers eux pour les- décider a ren-
trer au pays. E.
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