Caisse Commerciale de Roulers
Tijdperk van 25 Augustus tot 10 September: 5 60°/ 's jaars
ir F m e s
Voorheen G. DE LAERE C°
HALFMAANDELIJKSCHE REKENINGEN
par Jules Michelet (i) (1798 - 1874)
J'aime a entrer le soir dans une ville qui
m'est tout a fait inconnue, et en faire seul
la découverte. Rein no prête aux objets au-
tant de fantasmagorie que les demi-ténèbres.
Ypres, vieille petite cité ftamande, éveille
entre toutes la curiosité.
Hier soir done, après avoir assuré mon
gite dans le seul hotel acceptable de la ville,
je me suis mis en route, et, par des rues obscu
res, j'ai marché vers une grande ombre que
je croyais être la cathédrale. Je ne me trom-
paisqu'a demi. C'était la cathédrale du peuple,
la fameuse Halle d'Ypres. Mon oncle, qui a
longtemp.s habité le pays m'en avait souvent
parlé l'impression a pourtant surpassé mon
attente.
J'ai vu, en effet, dans l'ombre s'allonger sur
une longueur qui me semblait infinie, un pro-
digieux portail a triple rang de fenêtres
gothiques. Aucune cathédrale ne présente un
pareil développement. L'immane dorsum était
dentelé au comble comme d'un peigne délicat
qui mordait dans le ciel sombre. Le tout,
dominé au centre par une large et souveraine
tour, ouvragée, percée de croisées de même
style et qui montait comme une mère géante
dont toutle reste serait sorti.
Voila la première vision écrasante. Elle a
hanté toute la nuit mon sommeil. Ah que
l'homme se voit petit a cóté de ses propres
ceuvres
Ce matin, levé a cinq heures, j ai couru a
six, chez le vieil archiviste de la ville, qui a
fait l'historiqüe du monument. Je lui ai achelé
sonlivre, et, remettant de l'entretenir, je suis
retourné a ma vision. La lumière du jour n'a
pas affaibli la grande impression de la nuit.
Le portail est bien de cent pieds plus long
que Notre*Dame de Paris vue de cóté. Et ce
que n'offre pas Notre-Dame, ni aucun monu
mentdumoyen age,e'est que toutes les croisées,
tous les ornements de la Halle d'Ypres étant
rigoureusement du même style, triple rose du
XIIP et du XIVe siècle, toute cette féerie de
pierre semble avoir jailli d'un seul jet.
Quel était done l'empire, quelle était done
la nation puissante qui batissait de tels monu
ments
Une seule, une toute petite ville qui n'eüt
jamais la population infi-nie de Gand ni, com
me Bruges, les grandes ressources pécuniaires
d'un commerce lointain.
Une construction a ce point vaste et colos-
sale ne se comprendrait pas, si elle n'eut été
qu'un simple hótel de ville, le siège de la
souveraineté, ou même le lieu de réunion du
peuple sous ce climat pluvieux. La disposition
seule de l'édifice a deux étages indique un
autre emploi. Le livre de M. Lambin m'a
donné le mot de l'énigme. Le premier étage
était destiné a recevoir les métiers des tisse-
rands de draps et d'étoffes de serge. Le rez-
dechaussée était occupé paries peigneurs,
les cardeurs, fileurs, tondeurs, fouleurs et par
les teinturiers. Les vendeurs avaient aussi
la leur comptoir.
Ainsi, dès le moyen age, nous voyons naitre
le grand mouvement du travail, sinon collec-
titj du moins simultané, exercê dans un mê
me lieu. Les moines en avaient donné les
premiers l'exemple, en ce sens que, s'ils ne
fabriquaient pas eux-mêmes, ils réunissaient,
du moins, des ouvriers dans leurs abbayes.
II y avait cette différence que c'étaient des
séculiers qui travaillaient librement ensemble.
La commune, a la fois protectrice et juge de
leur travail, l'approuvait ou le rejetait sans ap
pel. A Gand cette immense ruche de tisse-
rands la toile condamnée comme défectueuse
et blamée par les experts,cessait d'appartenir
a celui qui l'avait fabriquée. Le vendredi, joui
du grand marché, elle était attachée par un
anneau a la haute et souveraine tour pour etie
distribuée aux hospices. A Ypres, j ai vu le
sceau réprobateur Comdamnêe par \pres.
La sentence, en franqais, semblerait indiquer
que le principal marché, pour ce pays, était
la France.
Maintenant juelles étaientles conditions du
travail dans ce grand atelier commun oü 1 é-
mulation devait être si vive pour.se surpassei
dans la perfection des produits
Y avait-il vraiment communauté, et les be-
néfices se partageaient-ils comme dans les
monastères anciens Ou bien, n'étaient-ce
que de simples places louées pour les métiers
et l'étalage des étoffes dans ce bel et lumineux
emplacement qui devait si bien les faire valoir.-*
J'aurais bien de la peine a me ranger a ce
dernier avis. Le travail y était libre, sans
doute, mais il y avait, en outre, de grands
avantages attachés a cette réunion dans un
même lieu. Ceux qui occupèrent les premiers
l'édifice capital d'Ypres,le centre de la souve
raineté, avaient, par cela seul, une soi te de
force politique. Ils étaient toujours en mesure
de prêter main-forte aux magistrats, s'ils ne
l'étaient eux-mêmes. Je croirais volontiers que
c'étaient les plus anciens habitants de la cité
qui s'étaient bati pour forteresse, autant que
pour atelier, ce puissant édifice oü ils pou-
vaient commander a la foule des nouveaux
venus. En 1245, la Halle comptait déja. 4Óo
métiers de 3o a 40 ouvriers chacun.
L'ambition pour tous, c'était d'entier la, et
de prendre ainsi droit de cité. Mais bientót, il
n'y eut plus de places libres. II fallut que le
tisserand se résignat a tisser chez lui. La ville
devenant a son tour trop petite, car il en
venait toujours, attirés par la prospérité crois-
sante d'Ypres, on créa les faubourgs que de
vait ruiner Philippe le Hardi.
En 1200, la tour d'Ypres fut fondée. En
1304, cent ans après, le colossal édifice
s'ouvrait tout entier a l'industrie.
Vous croyez peut-être que l'héroïque petite
ville, ayant exhaussé sa montagne de pierre i
et fondé sa royauté industrielle, se déclara
satisfaite et prit un peu de repos Ce serait
la méconnaitre. II ne sufhsait pas de fabriquer,
il fallait exporter les produits. Mais comment?
Point de routes faites ni de rivières. II y avait
bien Ia Lys, tout a portée, a 2-lieues de la ville,
rnais Gand en revendiquait sa propriété. line
restait done a Ypres, pour toute ressource,
que 1'Yperlée, qui n'était pas navigable. Ypres
décida non seulement de le canaliser, mais
encore de le diviser en deux bras, l'un allant a
Furnes, et le cóté maritime, l'autre vers les
villes qui avaient leurs débouchés sur des
rivières.
Cette dernière grande ceuvre achevée,
l'héroïque petite ville entra dans l'age d'or.
J'entends encore rouler sous ses voütes pro-
fondes les puissantes rumeurs du passé. En
haut, le va et vient des métiers frappant a
chaque coup une poitrine d'homme. En bas,
les mille bruits des instruments employés a
préparer la besogne aux tisseurs ou bien a
l'achever. Ici, le bruit, aigu comme un chant
de cigale, que rend le peigne du cardeur la,
le coup sec des grands ciseaux du tendeur de
laine. Plus loin, les bouillonnements de la
chaudière oü se cuit lateinture pour les étoffes.
Au fond, les comptoirs de la vente, jes
qui se croisent ou se répondenties V°'?
jetés au vol, acceptés ou refuses par ia
des clients qui \enaient fa de l'Orient
bout du monde de Venise, de Ber(!p
Novgorod. 11
Hélas eet age d'or fut de peu de du -
Le siècle qui le vit co-mmencer, fut aussj^'
témoin de son déclin.
Philippe le Hardi, premier due de r
gogne, en epousant Marguerite de Flanqr
était devenu le maitre de ses Etats
Ull-ntot
mécontent de ses nouveaux sujets, et v0ul
les chatier, il vint mettre le siège deva"'
Ypres 1383)Pour y entrer, il fallait d'ab0!
se rend re maitre des longs faubourgs occupy
par les tisssrands qui n'avaient pu rester
cceur de la ville.
Ceux ci ayant tout intérêt a la protéger
soutinrent vaillamment l'assaut. lis virent'
sans faiblir, leurs maisons tomber une a une'
Le plus cruel, ce fut l'interdiction de les
relever. Le vainqueur, profondément irrité
d'une aussi longue resistance, punit les vain-
cus, en leur défendant le travail dans la ban-
lieue. C'était pour ces malheureux un ordre
d'exil. La moitié de cette population labo-
rieuse qui faisait la richesse d'Ypres et son
légitime orgueil, dut quitter le pays, s'arra-
cher de la chère cité pour n'y plus revenir
jamais.
Quarante ans apiès ce funèbre adieu
1'Yperlée cessait d'être navigable. Onimagina
de planter sur tout son parcours des pieux,
de faqon qu'il n'y eut plus de passage que
pour les toutes petiies barques.
Cela seul eüt été pour Ypres une sentence
de mo it,..
Mais déja, Ypres n'était plus.
Celui qui veut comprendre l'ltalie doit
voir Pise, et celui qui veut comprendre les
Flandres doit voir Ypres. Si déchue qu'elle
soit aujourd'Lui, cette pauvre petite ville
communale, elle a encore, tout comme l'église
triomphante, son sanctuaire, ses reliques. Ce
sont ces vieilles archives, si bien gardées
dans leurs coffres de fer et de chêne massif,
de l'épaisseur d'un demi-pied.
Deux coffres plus modernes sont une mer-
veille, l'un, par sts gonds et serrures dans
lesquels on lit les chiffres mêmes des actes
qui y sont enfermés l'autre par ses sculptu
res en bois qui représentent les quatre mem
bres de la Flandre, e'est- a-dire les quatre
cités souveraines Gand, avec son lion au
repos endormi au sein de la Vierge Bruges
avec son ours Ypres, ses deux croix unies;
le Franc ou pays libre, avec ses deux anges,
Les armoiries de Gand et de Bruges sem-
blent féodales.
En face de l'immense témoin de la grandeur
industrielle d'Ypres au moyen age, en facede
la Halle, de cette antiquité vénérable, dans
l'hötel même oü j'ai logé, j'ai sous les yeux k
souvenir vivant de ce passé, dans ma trés
vieille hötesse. Petit commerce et petit esprit,
sans doute, mais cette octogénaire, avec sou
énergie, sa facilité a tout apprendre langues,
usages et toutes choses, me représente a met'
veille l'universalité pratique de cette ancienne
population des Pays-Bas, ardente comme
wallonne, laborieuse comme fiamande, et si
digne d'être relevée de sa déchéance.
Aangesloten bij de BW1QUE DE BRUXELLE5 (Kapitaal 500.000.000 - R,„«„fonds 94,440.000)
Rekeningen 6 maanden 5,75 p. h. - 1 j L 6,00 p. h.
(1) Extrait de Visions de Belgique par Arthur De Rud
der, un volume broché, 14x19, de 300 p. Rossel et C'e,
•éditeurs, Bruxelles, 1925 En vente au" bureau de La
Région d'Ypres Un fragment de ces Souvenirs a déja
j>aru dans notre No 9, du 12-6-26.
C Q0\]r.