yprES PENDANT LA SUERRE Novembre 1914 a Mai 1915
Rubans pour Machines a écrire
5-28 1 Porsche - 2e Bijvoegsel - La JRéffion d Ypres INI0 7
lES VILLES DE L'YSER
Ar
ticle du XX' Siècle du 15 Novembre 1917
COMMEMORATION
YPRES
par Jean d'Ardenne
Loti parle quelque part du frisson des nostalgies sou
ses qu'aucun mot n'exprime
Ce frisson nostalgique est particulièrement douloureux
Invocation a pour objet des choses qu'on sait ne plus
on ne les retrouverait pas, même si la distance qui
éloigne et tous les obstacles qui s'opposent a ce qu'on
revoir étaient supprimés. La douleur s'avive encore
lorsque
exister
voas ea
aille les
lorsque
Ces choses lointaines vers lesquelles notie souvenir se
chargé d'amertume ont ete victimes non point de l'Iné-
tetable, devant quoi il ne reste qu'a s'incliner, mais d'un accident
ETa la scélératesse humaine.
I Je l'épiouve en ce moment, le frisson. Ayant a parler
L,ypres, je revois la place majestueuse, le déploiement de la
facade des Halles, le Beffroi puissant, en arrière le vaisseau de
Saint-Martin, et tout le cadre des vieilles maisons... Le ciel
atiné, ensoleillé car la Flandre n'a pas que de la beauté
d'un matin d'automne est tendu sur le tableau et lui
verse une de ces lumières douces et reposantes qui intensifient
dans nos cceurs la joie de vivre. En regard, je me figure sans
leine la réalité présente, le champ de ruines et de désolation,
ious le rayonnement du même soleil...
Lorsque les obus allemands eurent entrepris la destruction
systématique de cette merveille des Flandres, le cri de répro-
bation universelle qui avait accueilli les attentats de Louvain et
Reims s'éleva de nouveau. L'admirable groupe des monu
ments Yprois, la ville elle-même qui lui faisait un cadre assorti,
semblaient choses que l'injure des hommes ne pouvait plus
amais atteindre l'idée d'un pareil forfait, oü la barbarie s'allie
a la stupidité dans des proportions incommensurables, n'entrait
point dans les esprits.
Non seulement le forfait s'est accompli, mais, depuis
lots, il s'est parachevé avec méthode et continuité, de fa«;on a
tons laisser peu de chose même des ruines que nous espérions
conserver en témoignage douloureux et superbe de l'envahisse-
de la Belgique par les vandales du vingtième s'ècle.
Après les premiers bombardements de 1914, nous avons
pleuré sur les Halles a demi détruiles mais il restait la un
squelette émouvant, spectre tragique du noble édifice qui sym-
bolisait la grandeur, la richesse et la puissance d'autrefois
SI restait a ses cótés le temple découronné et saccagé, les maisons
vénérables d'alentour ravagées par la mitraille, en partie dévo-
tées par le feu. A présent, le regard en se promenant sur cette
isolation, ne trouve plus guère que des débris informes, pour
aider a reconstituer le précieux tableau disparu c'est surtout
■Bs notre mémoire qu'il nous faut chercher de quoi aviver nos
'egrets et exaspcrer nos colères contre les auteurs d'une abo
minable destruction.
Au mdieu du champ de massacre, quelques épaves de
int-Maitin et la base déchiquetée du robuste beflroi se dressent
«are parmi les décombres et les piliers eftondrés qui jonchent
e sol de leurs disques épars, rappelant les débris des temples
'tiques dans la plaine d'Olympie, aux rivages de Sélinonte et
'Br la terrasse d'Agrigente.
Voila ce qui nous reste d'Ypres, l'opulente cité drapière
u' avait eu l'extraordinaire fortune de conserver, a travers les
'cissitudes de sa longue existence, les magnifiques témoins de
I epoque oü elle tenait le premier rang parmi ses congénères de
°Pe occidentale. Et cette fortune apparaissait vraiment
Rpéfiante a qui considérait les périls auxquels fut exposé, au
|Urs des ^ges, le groupe central de ses monuments, ce beffroi
treizième siècle ces vieilles Halles du quatorzième qui lui
saient deux ailes d'une prodigieuse envergure cette belle
?'so Saint Martin, l'un des types les plus parfaits de 1 art
k dans les Pays-Bas le vieux cloitre voisin, resté long
lis rnystérieux, soustrait aux regards profanes, et dont le
nous fm révélé naguère, ce gracieux Nieuwwerk
ouvrage) que la Renaissance avait accolé au flanc des
Barme
Inouvei
alles
edifice
c°mme un correctif léger et discret a la sévéiité du vieil
jde Cett' en^ln 'es antiques demeures qui complétaient le cadre
d'Euroe P'ace rd'Ypres dont Michelet, errant sur les chemins
Pe
ld'
aussi
autres a pu dire justement La place d'Ypres, avec
e,éments et sous des cieux plus austères, mérite d'etre
Pnécieu;
Se aux hommes, aussi sacrée et aussi intangible,
que la place Saint-Marc de enise, la Seigneurie de Floi ce
ou la place du Dome a Pise. Elle forme un objet d'art unique,
irréprochable.
Aussi précieuse aux hommes Mais les Allemands
qui ont détruit la place d'Ypres, comme ceux qui ont app ouvé
cette destruction, ont cessé, moralement, d'appartenir a spèce
humaine ils sont descendus l'échelle des êtres jusqu'a un dègré
situé entre les bêtes féroces et les anes. Guillaume II, ce sal-
timbanque caméléonesque, qui, par bien des traits de ses mul
tiples visages, rappelle Néron, Yartifex bien connu, est néces-
sairement le grand auteur responsable de la mort d'Ypres
comme de toutes les autres morts causées par le fléau qu'il
déchaina sur le monde a l'heure trop tardive oü il lui
faudra clore la série de ses forfaits, le mot. de Néron mourant
reviendra peut être sur ses lèvres et l'histoire pourra l'accutil-
lir, ce mot, comme elle l'a fait pour l'autre, avec le sourire
dont on accueille une parole c'aliéné, en y joignant tout le
mépris auquel la mémoire de l'exécrable malfaiteur aura droit
de la part de l'humanité, Allemands compris.
Je reviens a Ypres. Un regain d'indignation a l'adresse
de ses bourreaux était bien naturel ici je ne veux point m'en
excuser, a cette heure surtout, oü Venise elle-même, la mer
veille du monde, est menacée par des bandits coalisés sous la
haute direction du Hohenzollern.
Une admirable collection de photographies, exposées ré-
cemment a Paris, offrait la série compléte des diverses phases
de l'ceuvre infernale qui finit par achever la destinée de la
ville d'Ypres. Depuis les jours néfastes de 1914 oü les marmites
de la Kultur commencèrent a pleuvoir sur ces monuments que
toutes les révolutions, toutes les catastrophes avaient respectés,
jusquraux derniers jours de igi5 oü se compléta leur massacre,
par le soin des brutes de l'Etat Major allemand, les progrès de
l'opération se trouvaient figurés d'une manière impressionnante
en cette exposition, grace aux agrandissements photographiques
de clichés fidèles, irrécusables témoignages que de courageux
opérateurs, aux instants les plus critiques, étaient allés nous
assurer.
Mais Ypres a perdu autre chose encore que ses édifices
elle a perdu des trésors d'art et de science qu'il eüt été pos
sible de sauver en y mettant quelque prévoyance, et même
d'arracher a la destruction commencée. On n'en fit rien ce-
pendant, on s'empressa, dés la première alerte, de mettre en
süreté les quelques fastueux croutons reproduisant les solen-
nelles binettes bourgmestrales depuis i83o, qui décoraient selon
la formule les salons de l'hótel de ville. Ceux que ces croutons
intéressent peuvent done être rassurés sur leur sort la postérité
n'en sera point frustrée.
En revanche, ceux qui s'intéressaiei.t aux stalles Renais
sance de Saint Martin, les plus belles de Flandre (elles étaient
l'ceuvre d'Urbain Taillebert, le fameux artiste béthunois du XVIe
siècle, qui restaura le julé de Dixmude mutilé par lts icono-
clastes et décora de boiseries élégamment sculptéts lts égliscs
de Furnes et de Loo), sont invités a aller voir, dans les gale
ries basses du Petit Palais des Champs-Elysées, les minables
débris que de tardifs sauveteurs ont pu recueillir au milieu des
décombres cela fait, ils se diront avec amertume quel dom-
mage que nul n'ait songé a associer le chef-dheuvre de Taille-*
bert a l'heureux destin des bourgmestres peints a l'huile 1
Au temps oü les braves bourgeois d'Ypres je parle de
moins d'un siècle en étaient encore -a démolir,- sans le moindre
souci ded'mtérêt qu'elles pouvaient offrir, ce quiuleur restait de
maisons du XVC siècle, a pans de bois, et a les remplacer par
des boites a dominos percées de trous et sunnontées de cor-
niches, une trentaine au moins de ces demeures historiques et
ultra respectables périrent ainsi (un spécimtn de leurs faqades
était conser^é a titre de curiosité, dans l'une cjêS galeries des>
Halles lors du bombardement, le feu en eut vite raison, cela'
va de soi). II n'était point question de photographie, a cette
époque, mais un jeune artiste mort trop tót, Auguste Bohm,
avait eu l'heureuse inspiration de composer un album oü, d'un
crayon original, dclicat et précis, les faqades des immeubles
condamnés se trouvaient figurées avec tous leurs détails. Cela
cors ituait un document doublement précieux, l'intérêt artistique
s'y ajoutant a l'intérêt historique. 11 était conservé au Musée
communal. II y resta dans l'incendie dont rien ne fut sauvé.
J'eus l'occasion, il y a une quinzaine d'années, de feuilleter cel
album et d'apprécier ie service que Bohm rendit a ses contem
porains yprois en leur léguant du moins l'image de ce que leurs
pères avaient sottement détruit. (A suivre)
au bureau de ce journal
15, rue au Beur re, 15
1 ai