YPRES PENDANT LA GUERRE - Novembre 1914 a Mai 1915
n ^9,8 Het Ypersche - 2e Bijvoegsel - -La Tiégion dYpres N° 9
Jean d'Ardenne,
de la Commission royale des Monuments
el des Sites de Belgique.
j_gS VILLES DE L'YSER
e##!e^ COMlVlétVlOR ATlOrw
VPRES
par Jean d'Ardenne
Suite de 1'article du A A' Siècle du i5 Novembre iqij
Ce n'est done pas seulement lasouveraine beauté extérieure
,,y res fiue nous avons a pleurer il y a encore tous les
'ii)oignages de ce Hue appellerai la vie intime de la cite, qui
t sombré dans la tourmente. Et il est navrant de penser que
'"r perte n'est pas imputable aux seuls Allemands.
La place dont je dispose ici est nécessairement limitée-
faurais voulu dire quelque chose encore de la ville disparue,
ar[er de son agonie et aussi de sa restauration projetée et des
discussions assez vaines d ailleurs en ce moment auxquelles
ce projet d°nna ^eu- vou^ra bien me permettre de consacrer
Ypres un dernier article.
Article du 22 Novembre 1917
Le 7 Octobre Anvers allait tomber et ses défenseurs
traversaient l'Escaut pour commencer leur repli sur 1'Yser
Ypres était occupé par une division allemande qui y passa la
nuit. Ces visiteurs furent requs avec tous les égards que l'on
doit au vainqueur. Us s'en allèrent le léndemain dans la direc
tion de Bailleul, bien repus et copieusement désaltérés, sans
négliger d'emporter, selon l'usage de Bochie, l'argent de la
caisse communale. Celled, par hasard, contenait 65.000 francs,
- richesse inaccoutumée.
Une semaine plus tard, le 14, les avant gardes alliées
paraissaient et la bataille d'Ypres s'engageait. Bientot, elle faisait
rage autour de la ville et, le 26, les premières bombes arrivaient,
semant la panique et provoquant l'exode des habitants. Ce ne
furent pas les moindres, comme on pense, qui ouvrirent le défilé.
Au début de Novembre, en l'absence de tous les membres
de la municipalité, un comité provisoire se constitua afin de
pourvoir aux besoins de ce qui restait d'administrés dans la
■cité bombardée. Le chanoine de Brouwer, doyen de Saint-
Martin, prit l'initiative de cette mesure. Quelques courageux
dtoyens, dont je regrette de ne pas retrouver en ce moment
les noms au bout de ma plume, assumèrent la tache ingrate et
jdouloureuse s'il en fut d'assurer la vie de la cité en cette crise
suprème. La population se trouvait réduite, dés lors, a environ,
2.000 habitants. Les vivres manquaient, la famine était mena-
fynte. Les obus continuaient de pleuvoir, mettant le feu un peu
partout.
Le 22 Novembre est la journée tragique de l'incendie des
Halles. Celle ci, nous l'avons assez entendue remémorer avec
horreur, assez d'images suggestives nous ont représenté les
►monuments Yprois en train de péiir comme ceux de Louvain,
de Reims, d'Arras, dans un fiamboiement dévastateur. Lorsque
cette grande flamme tomba, que ces flots de tumée pleins d'é-
tmcelles crépitantes se dissipèrent, dévoilant aux regards terri
fies toute l'étendue du désastre, on entendit la voix du barde
de la Flandre, de notre pauvre Verhaeren, qui se lamentait sur
r mort; d'Ypres en cette forme un peu barbare dont sa poésie
Pre une originalité et une saveur particulière de terroir
Les Halles, et Saint-Martin, et le BHfroi
S'alhunèrent tons d la fois
Et mé érent luns dammes
Dans un immense brasier d'ames...
Le brasier s'éteignit. Des ames, il resta quelque chcse
e fugace, errant a travers les ruines, comme les ombres
autour des tombeaux. Enfin, le maimitage continuant, les ames
iSen allèrent...
i Pourtant ce que nous avions a déplorer ce jour-la n'était
le préléminaire de la destruction totale. Au lendemain de
<jette fatale journée, les grands squelettes des Halles, du Beffroi,
e Saint Martin offraient un de ces tableaux d'une désolation
P?rbe, Profondément émouvante, qui peuvent du moins pré-
Ln re a remplacer dans une certaine mesure l'intérêt que
sentaient les édifices intacts.
L Aussi, nous n'hésitames pas a réclamer la conservation
Ce ntUelle de ces ruines si puissamment évocatrices, contre
fiui réclamaient leur disparition afin de reconstruire les
ueu[U'pentS ^®trubs> de nous rendre un groupe tout battant
jain econstitution fidéle, exacte, compléte, moins 1 ame a
u s t'S Gnv°'®e e*- 'a voix du passé a jamais éteinte destinée
tec^ sfia're les promoteurs de l'opération d'abord, puis les archi-
Cook,les en':repreneurs de batisses et les touristes d agence
qu'jj trois ans, la question paraic simplifiée s il est vrai
ne reste d'Ypres rien qui vaille d'être conservé, on pourra
éiifier ce qu'on voudra sur le terrain déblayé l'aflaire ne nous
intéresse plus. Mais il faudra voir.
La catastrophe des Halles n'entraina pas seulement la
destruction des combles, des galeries de l'étage, de Rur rner-
veilleuse charpente, des peintures murales qui les décoraient
elle atteignit le caveau oü les archives de la Ville dormaient
en süreté, derrière des portes de fer dont la solidité défiait
toute tentative d'effraction la triste' expérience en fut faite,
lorsque de braves soldats francais, conduits par le commandant
Madelin et le capitaine Beaugier, essayèrent de sauver les
archives les clefs étant restées introuvables, les portes résistère'nt
a tous les efforts que l'on fit pour les ouvrir. Mais les voütes
du caveau ne résistèrent pas aux obus, et les archives furent
perdues.
Ce dépot était le plus important et le plus riche de la
Belgique, avec celui de Tournai. Voici ses principales richesses
une collection de chartes des Xle, X11e et XIII® siècles, les
comptes en rouleaux de la ville d'Ypres, seuls documents four-
nissant des indications sur la construction des Halles l'inesti-
mable registre, avec enluminures d'une parfaite conservation,
des Keuren règlements relatifs a la fabrication des draps
une série de six mille chirographes des XIIE, XIV® et XV®
siècles, attestant l'étendue des relations commerciales d'Ypres
avec tous les pays d'Europe des milliers de registres contenant
les actes de partages, liqui lations de successions, transactions,
etc connus sous le nom d' états de bit ns une énorme
quantité de chemises contenant des correspondances de villes
de Flandre avec les princes, les rois de France et d'Espagne,
le Saint-Siège, etc. une longue suite de registres paroissiaux
a partir du XV® siècle les autorisations de batir, avec plans a
l'appui, d'un trés grand nombre de maisons des XVII® et XVIII®
siècles. De tout cela, rien ne reste. II en est de mème des
archives modernes, indispensables aux administrations futures
plans de distribution d'eau, des égouts, d'alignement, titres des
propriétés de la ville, livres de comptabihté, etc., etc. Nul
fonctionnaire n'ayant été chargé de mettre en lieu sur un do
cument quelconque, le feu a tout dévoré.
Cette mème journée du 22, Saint-Martin brülait après
les Halles, avec une partie du cloitre des chanoines réguliers
de l'ancienne abbaye.
Le lendemain, incendie de la Vieille Boucherie (halle aux
viandes) et du Musée communal qu'elle abritait. Le batiment,
a double pignon, était une fort jolie construction du XVIe
siècle, d'une ordonnance parfaite et dont les harmonieuses pro
portions réjouissaient l'oeil, en défiant toute critique. Les objets
réunis a l'étage, dans deux vastes salles bien éclairées, consti-
tuaient un musée local trés intéressant, trés instructif, oü les
Yprois n'allaient guère et oü l'on ne conduisait pas les écoliers.
C'était une sorte de complément des Archives et de la Biblio-
thèque et il contenait des documents précieux pour l'histoire
de la ville. Je cite au hasard le plan d'Ypres de 1556 le glaive
qui servit a décapiter d'Egmont et de Hornes les instrumei ts
de torture de la Chambre criminelle dite Vierschaere des
semelles de poutres de l'ancienne Chambre sca'oinale, une r.om-
breuse collection de monnaies et médailles romaines et une
autre de monnaies, médailles, jetons, etc., du pays, décrite et
analysée dans 1' Essai de numismatique ypro-se de l'archi-
viste Diegerick, toutes deux d'une haute valeur une superbe
collection de linteaux de cheminée en pierre et bois sculptés et
polychromes, provenant des vieilles maisons d'Yprfs une autre
de coffres a fermetures compliquées, d'un tiès beau travail
de bonnes copies de quelques toiles de Rubens ct de Jordaens
un tableau de Karei Van Ypres 1' Archet brisé de Gallait
des porcelaines, cristaux, faiences, cuivres, terres cuites, etc.,
en grand nombre.
J'ai parlé l'autre jour du précieux album d'Auguste Bohm,
figurant 1 s maisons de bois détruites par les embellisseurs du
siècle derniei, et qui partagea le sort des collections du Musée.
^..Et l'agonie d'Ypres se prolongea, après l'évacuation
totale de la population. Peu a peu, sous la canonnade per-
sistante, les ruines s'émiettèrent.
Dans la première quiczaine de Décembre, deux délégués
du gouvernement btlge, chargés par le Département des Sciences
et des Arts d'aller recueillir dans la région de l'Yser les objets
d'art échappés au massacre, s'enquirent de ce qui pouvait être
recueilli a Ypres. II leur fut répondu que seul, le Musée Mer-
ghelynck, propriété privée léguée a l'Etat, rcclamait leur office
quant au reste, propiiété de la ville, on y avait pourvu et tóut
ce qui avait pu être sauvé l'avait été... En conséquence, les
collections de l'hótel Merghelynck furent demén gées et trans-
portées au Havre puis a Paris, oü nous les retrouvames, et
oü elles sont encore. Trés peu de temps après, l'hötel lui même,
resté a peu prés indemne jusque-la, était a son tour complète-
ment marmité.
Ainsi périt, après une existence aussi longue que glorieuse,
l'illustre cité d'Ypres, victime du brigandage germanique déchainé
sur le sol beige. Que ses bourreaux soient maudits. Mais'jje
songe que, depuis lors, ris ont mérité bien d'autres malédictions.