LES «LIBÈRÈS FORQATS.
Samedi 5 Mai 1877.
12e année. N° 1,184.
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3 c*
0;i traite a forfait pour Jos insertions par année.
1 e Journal parait le Mercredi el le Samedi. Les insertions content lb centimes la ligne. Les réclames ct annonces judiciaires se paient 30 cantimes la ligne.
Un numéro du journal, pris au Bureau, 10 centimes. Les numérös suppiémentaires commandés pour articles, Réclames on Annonces, content 10 IV. los 100 exemplaires.
C HE M I !V S ME F K H. 1 Décembre.
L'ÉLECTION BRUXELLOISE.
Nous lisons dans la Gazette de Liègc:
L'Echo du Parlement déclarait, il y a
quelques jours, que les électeurs de Bruxel
les devraienl être frappés de folie, pour nom-
mer M. Janson dépulé; le Journal de Liège
proteslait, de son cöté, que ce choix légiti-
merail a jamais la polémique des catlioliques
sur l'essence révolutionnaire du libéralisme.
Voila cette justification faite, et cette folie
prouvée!
Le corps èlecloral du Paris beige en a ainsi
décidé a trois mille voix de majorité, avec
l'appui et pour la plus grande satisfaction
du bourgmestre de Bruxelles, des meneurs
libéraux de la capitale, qui, aprés s'être vai-
nement opposés au courant, se sont brave-
menl laissé emporter par lui, crainte de Ie
voir engloulir leur avenir politique: J'élais
leur chef, disait Ledru-Rollin, il fallait bien
que je les suive!
Et qu'on ne nous oppose pas les derniers
discours de M. Janson! Au fond, le porte-
drapeau du socialisme n'a rien désavoué de
ses vieilles professions de foi: il s'esl conten
té de déclarer le programme de l'Association
compris dans le siep, compris comme un
goujon dans les entrailles d'un requin qui
l'aurait dévoré!
M. Janson est reslé jusqu'au bout et
les clameursjde la rue atlestaient, hier soir,
a Bruxelles, qu'il le reste encore, qu'il le
restera toujours: l'homme du Mirabeau et
de Ja sociale.
Son succés est a la fois une révélation,
une menace et une lumiére.
La révélation est foudroyante: el le nous
monlre que Bruxelles peul être rangée main-
tenant en politique, aussi bien qu'en morale,
sur le rang de ces grandes capilales, du
Scènes de la Russie méridionale.
luxe, do la vie mauvaise et du socialisme:
comme Berlin, comme Paris, Bruxelles aura
désormais ses représenianls rouges et .tous
les sacrifices que le Roi ct le pays se sont
imposés pour elle n'auront abouti qu'a y
augmenter les forces de la révolution.
La menace est redoutable, mais elle s'a-
dresse bien plus aux institutions nationales
et a la monarchie, qu'aux calholiques el a
i'Eglise; M. Janson ne pourra faire a la Cham-
bre que ce qu'y ont fait maints libéraux,que
ce qu'y aurait fait également M. Goblet ou
M. Van Becelaere: si loin que se portent, la
ou ailleurs, ses violences, le libéralisme nous
a promis depuis longtemps qu'elles atlein-
draient ce point!
Quant a la lumiére, elle offre une compen
sation au danger, si nous savons ouvrir les
yeux. Elle éclaire pour nous le fond du puits
ou se cache la vérité libérale loute nue.
Quels ent été les premiers artisans de la
célebrité de M. Janson? les vieux libéraux
qui ont transformé en grand homme l'avo-
cat ignoré du trop fameux de Buck dans son
procés contre les jésuites!
Quels tra va i I leurs ont labouré, ensemencé
le terrain sur lequel M. Janson n'a eu qu'a
récoller, au jour de la moisson radicale? Les
doctrinaires encore une fois.
Leur presse dans un millier d'articles,
leurs meneurs dans une centaine d'élections,
leurs chefs dans vingt discours-manifestes,
M. Frère lui-méme dans son fameux speach
du banquet Piercol, l'ont répélé a l'envi: il
n'y a plus, il ne doit plus y avoir qu'un prin
cipe dans le libéralisme: la guerre au cléri-
cal! Sous quelque drapeau qu'on y marche,
jaune, orange, noir elblancou rouge écar-
late, il n'importe: on a droit de prendre
place dans la grande artnée si l'on tourne
eet étendard contre l'Eglise!
Eh bien! M. Janson ne réclamait des élec-
leurs que l'application de voire théorie, mes
sieurs de la doctrine. Socialiste, républi-
cain, Internationa I isle, athée, lui criez-vous!
II s'est contenté de répondre par le mot
d'ordre: A bis la calotte! Et habitués par
vous a respecter cette consigne, avaul lout
le resle, vosgens ont laissé passer l'homme
du Mirabeau el de l'lnternalionale. Ne vous
en indignez pas: le mot de passe, en defini
tive, vient de vous: vous n'êles qu'obéis!
C'était chose plaisantede voir comme, en
riposte a vos attaques, le candidal n'avail
que l'embarras du choix pour vous bombar
der de vos propres boulels.
Lui reprocherait-on sou alhéistne? Votre
Bara ne s'est pas fait faule de déclarer
l'alhéisme une religion comme une autre;
votre Progrès de Verviers l'a pröné, et vous
avez bien, a Bruxelles encore, introduit a la
Chambre le detestable Bergé!
Elaienl-ce ses aspirations républicaines?
vous n'avez pas laissé que d'élire et de rééli-
ra autrefois M. Funck, qui n'en avail pas de
moins accenluées; aujourd'hui M. Demeur,
qui peul-étre en conserve autanl; el si M.
Janson connaissait comme nous les debuts
de M. Frére et le but du voyage etïeclué en
France, en 1830, par le futur chef du libé
ralisme beige, il eiit fait ricocher sur votre
grand vizir la plupart des traits adres'sés a
son republicanisme de jeune bachi-bouzouk.
Vous scandalisez-vous de lui entendre
afiirmer la nécessitè de reinplacer les pierres
vieillies d'une constitution gplhique par de
nouveaux bloes de granit démagogique; mais
deja vous avez acceplé a la Chambre d'aulres
macons lout disposés a se charger de la
méme enlreprise; le seul candidal que vous
opposiez d'abord a !U. Janson, s'éiail aussi
déclaré prèl a jouer du rnarteau pour opérer
la méme restauration de l'édifice constitu-
tionnel. Vos amis de la Flundre libérale el
la Revue de Belgigue ne signalenl-ils pas
depuis des années la nécessilé de ces démo-
lilions, et M. Hymans lui-méme ne s'est il
pas dit en humeur de les commencer, le
jour ou rexigerail l'intérêl du pays?
Certains appels a la violence du citoyen
promoteur de la Chambro du travail, le ren-
daient impossible a vos yeux. II vous a rap-
pelé les menaces que vous-mème nous adres-
siez autrefois II peut se présenter, vous
a-t-tl répondu, de ces situations dont M. Frére
a ditVous serez aballu légalement ou
vous serez abattu révolutionnairement
La phrase n'était pas de M. Frére; elle appar-
tient au Journal de Liège, mais elle résumé
bien vos pensées; plus d'üne fois vous-mètne
l'avez trad ui le en fails. Pourquoi la violence,
l'émeute resleraient-clles votre apanage ex-
clusif?
Au fond, le seul tort des théories de M.
Janson a vos yeux consistait dans leur logi-
que c'est par vous que ses canons ont été
chargés et poinlés; vous ne visiez que l'Egli
se. Tant pis pour vous si par la brèche qu'ils
y ont faite, leurs bon Iets vont allemdre main-
lenant la Banque et faire sa iler les coiïres-
forls. Vous méme avez réglé leur charge et
leur lir vous n'aure2.plaft d'abri que lors-
qu'avec nous vous aurez réparé la hréche
et ralïermi le rempart sacrédu sanctuaire.
Jusque-la, les électeurs resteront, aussi
insensés que vous tnéme l'avez dit et les
événeinents ne feronl que juslifier de plus
eu plus la doctrine de l'Eghse sur l'essence
révolutionnaire du libéralisme.
Voici en quels lermes le Courrier de
Bruxelles apprécie la haute gravité de Pé-
leclion de M. Janson
L'élection de M. Janson est une signe du
temps, un symplöme saillant du degré d'af.
faissement iniellectuel el moral ou est tombée
la bourgeoisie libérale de Bruxelles, Le libé
ralisme doctrinaire lui a fait si largement
manger du prêtre qu'elle en meurt. Car il
ne fa ut pas se le dissirnuler, le triomphe de
Pex-avocat de Jaumarl n'est pas un fail qui
restera isolé, une exception. II marque un
des slades du progrès fait par l'opinion libé
rale dans la voie anti-sociale et il n'en est
pas le dernier lerme. Les doctrinaires ne
peuvent done essayer de se consoler en la-
xanl l'élection d'aujourd'hui comme une sim
ple indisposition de l'eslomac libéral sur-
chargé de jésuites et de petils fréres, c'esl
une situation logique el normale qui se con-
stale el s'affirme.
Le phénoméne est d'aulant plus grave que
nous n'avons pas affaire ici au suffrage uni-
versel. Les électeurs ne sont pas puisés dans
les nouvelles couches sociales. Ce sont de
bons gros et moyens bourgeois, comme vous
el moi, ayanl plus ou moins pignon sur rue,
avoeassant, médicamenlant, achetant, ven-
danl, commissionnantjabriquant, négoeianl,
aimant, bref, réalisant lous les participes
présents du verbe bourgeois. El il n'y a pas
a s'en dédire. Ces bourgeois devenus fanati-
ques de M. Janson, bourgeois de la première
lieu re comme le professen r Discailles ou de
la dernière comme MM. Anspacb et Jotlrand,
non-sculemenl sont parl'aiiement convaincus
de posséder sous la carapace de leurs tèles
ou l'enveloppe de leurs venires Ie foyer de
loules les lumiéres qui éclairent la Belgique,
mais ils n'ont cessé d'èire proclamés. cilés,
loués, vantés et glorifiés par VEehö du Par
lement, par les hommes de la Scission et par
l'enlourage du Palais, comme 1'élite el la
crème intelligente du pays èlecloral. C'est
pour eux que les influences connues sous le
nom de septième ministère, arrachenl aux
six anires, faveurs, subsides, graces et con
cessions de loute nalure; c'esl pour eux el
leurs semblables qu'a élé pélri, fait, défait
le nouveau projet de loi éleclorale. C'esl pour
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Poperinghe- Ypres, 5-15,7-00,9-28,11-00,2-15,5-05,9-20. Ypres-Poperinghe, 6-30,9-07,12-07,3-57,6-50,8-45,9-30.
peringhe-Hazebrouck, 6 53, 12-23,7-10. Hazebrouck-Poperinghe-Ypres, 8-23, 4-10, 8-25.
Ypres-Roulers, 7-50, 12-25, 6-45. Roulers- Ypres, 9-25, 1-50, 7-50.
Iloulers-Örizjes, 8-45, 11-34, 1-13,3,16, 7-36, (9-53. Lichierv.) Licliterv.-Thourout, 4-25 m. vers Oslende. Bruges-«ou-
lers 8-25, 12-45, 5-05, 6-42. Lichterv.-Courtrai, 3-28 m.
Ypres-Courtroi5-34, 9-46, 11-20, 2-33, 5-23, Cöurtrai-Fpm, 8-08, 11-05, 2-56, 5-40, 8-49.
Ypres-Thourout, 7-18, t2 06, 6 20, (le Samedi a 5-50 du matin jusqu'a Langhemarck). Tbouroul- Ypres, 9-00, 1-25, 7-43,
(le Samedi 6-20 du matin de Langhemarck a Ypres).
Comines-Warnêton-Le Touquet-Houplines-.4rwe»tóres, 6-00, 12-00, 3-33, Armenlières-Uouplines Le louquet-\V arnelon-
Comines 7 -252,00, 4-45. Comines- Warnêlon 8-45, m 9-30 s. (le Lundi 6-30,) Warnêton-Comines 5-30, 11-10, (le
Courtrai-firtLes, 8-05,11-00, 12-35,4-40, (Ingel.) 6-53. 9-00 s. (Lichterv.) Bruges-Courtrai, 8-25, 12-43, 3-05,6-42.
Bruges, Blankenb, Heyst, (Station) 7-25, 11-08,2-50, 7-35. (bassin 7-31,11-14,2-56, 7.41, - Heyst, Blankenb, Bruges,
I n ge I m u nste r-Dey nze - Gand3-00, 9-41, 2-15. lngelmunsier-Dej/nzre, 6-10 7-15. Gnnd-Deyme-Ingelmunster, 6-88, 11-20,
4-41, 7-21. Deynze-Ingelmunster, 1-00.
lngelmunster-^4nseghem, 6-05, 12-55, 6-13. Anseghem-Ingelmunster, 7-42, 2-20, 7-45.
Lichtervelde-Dixmude-Furnes et Dunkerke, 6 30, 9-08, I-33, 8-00. Dizw^er/ce-Furnes-Dixmude et Lichtervelde6-38, 11-10,
3-40, 5-00.
Dixmude-iViewjDOrt,9-50,2-20,8-45. Nieup-Dtrw, 7-30,12 00,4-20.
Thourout-Ostendc, 4-50, 9-15, 1-50, 8-05. Oslende-Thourout, 7-55, 10-10, 12 25, 6-15.
5elzaele-,Cec(oo, 9-05, 1-25, 8-23. Eecioo-Selzaele, 3-38, 10-15.4-22.
Gand Terneazen, (station) 8-17, 12-23. 7,30 (pone d'Anvers) 8-30, 12-40. 7 43. Ternetizcn-GVid, 6-00, 10-30, 440.
Selzaete-LoA'eren, 9 04, 1-30, 8-30. (le Merer. 5-10 in.) Lokeren-Ss/raete, 6-00, 10-25, 4 48. (le Mardi, 9,30.)
COR R BaPOKTDAIfCEa.
COURTRAI, BRUXELLES. BRUXKLLBS, COURTRAI.
Courtrai dép. 6,37 10,53 12,33 3,42 6,33. Bruxelles dép. 5,22 8,28 12,21 5,38
Bruxelles arr. 8,50 1,38 2,25 6,10 8,54. Courtrai arr. 8,00 10,40 2,44 7,50
6,47.
8,44.
COURTRAI, TOURNAI, LILLB.
Courtrai dép. 0,37 10,36 2,54 5,34 8,47.
ToUrnai arr. 7,28 11,47 3,48 6,39 9,41.
Lille 7,38 12,08 4,00 6,35 10,00.
LILLE, TOURNAI, COURTRAI.
Lille dép. 8,15 8,22 11,03 2,22 4,48
Tournai 5,42 8,56 11,29 2,40 5,39
Courtrai arr. 6,34 9.47 12,26 3,38 6,33
Courtrai dép. 6,42
Gand arr. 8,01
COURTRAI, GAND.
9,49 12,31 3,44 6,40.
11,08 1,51 5,04 7,56.
GAND, COURTRAI.
Gand dép.
Courtrai arr.
3,15
6,37
9,38
10,56
1 28
2,54
4,24
3,34
7,21
8,47
BRUGES, GAND, BRUXELLES.
Btuges d. 6,49ex.7,04 9,39 12,34, 2-52,ex. 6,43.
Gand d.7,34 8,19 10,54 1,49 4,o7, 7,88.
Bruxelles 8,80 10,35 12,39 4 00, 7,1.5, 9-31.
BRUXELLES, GAND, BRUGES.
I Bruxelles dép. 7,20 8,14 11,06 1,33 3,02 ex. 4,59 ex.
91,31. Gaad arr. 6,00 8,38 9,41 1,23 3,59 4,11 6,29
10,40. I Bruges 7,15 9,23 10,34 2,38 - 5,01 7,22
5.58
7,7(j
8,13
Suite. Voir le numéro précédent.
Mais qu'est-ce done qu'un libéré forijat?»
Et bien, un homme auquel la conlrainte
impose tout ce que les autres litnnains peuvent
librement choisir: domicile, profession, épouse et
religion
Horreur m'écrai-je. Et vous vous
étes soumis
Un sourire amerplissa ses lèvres.
«Est-ce que réellement ces choses la vous
touchent a ce point dit-il lentement comme
pour maitriser sa propreémotion. Nous suppor-
tons d'ordinnire avec patience les plus grandes
douleurs qui accablent aulrui.
«Cette pensée sceplique pourrait être de
Larochefoucauld, inlerrompis-je surpris. E'a-
vez-vous lu
«i Oiii. J'ai beaiicoup aimé la litlérature
francaise. Mais pardonnez mon amerturne. Je suis
si peu habitué ii rencontrer de la sympathie
et, au fait, de quel service me serail elle anjour-
d'hui ii
II se tut. Sou osil fiévreux, miroir d'tineame a
jamais fermèe aux joies d'ici-bas, lixait obstiné-
ment la dalle oil reposaient ses pieds. II semblait
abimé dans une douleur dont rien d'humain ne
peut consoler. Je sentis qu'il serait brutal de l'en
distraire par quelque banale phrase de regret. II
se fit une pause pénible.
Avez-vous travaillé d'après un modèle 't
lui demandai-je enliu pour changer deconversation
el du doigtje lui montrai le couverclede l'élui.
>i Non. de mémoire.
Une architecture singuliere
ii C'est Ie style de loutes ies habitations sei-
gneuriales de Lithuanie. La vieille tour seule est
moins commune. C'était un antique manoir.
C'était Est-ce done qu'il n'existe plus?»
II a élé incendié, il y a sept ans. Les Bus
ses l'ont pillé el saceagé, puis ils y ont mis le feu.
IL ne sc doutaient pas qu'ils délruisaienl leur pro-
priélé cette maison était confisquée depuis de
longues années et avail été déclarée bien de la cou-
ronne en 1 848.
ii Et ces contours, ces ornements varies sont
tous reslés gravés dans voire mémoire
ii Naturellement. Peut on oublier jamais la
maison oü I on est né, oil i on a grandi, qu a l'age
de 18 ans on a quiltée pour la première fois Ces
souvenirs-la sont indélébiles. II v a plus de vingt
ans que je ne l'ai vue, el cependant pas un jour ne
s'esl passé depuis sans que je ne songeassea cette
vie:Ile demeurr. Je savais bien que ma mère n'était
plus de ce monde et que ma cousine, dans son
malheur, priait le ciel de la faire mourir. Je me
représentais nolre maison déserle, livrée aux dé-
prédations d'un intendant russe. Je voyais eet
employé ignorant el brutal arracher l'un après
l'aütre de ces murs chéris les portraits de mes ao-
cêtres pour en faire de la toile d'emballage. Mais
je n'ai cessé de languir après la vieille maison.
Dien sait les inelfables regrets de inon coeur F.t
lorsqu'elle fut incendiée, au lieu de m'en réjouir,
puisquVlle échappait ainsi li l'ennemi de ma race,
et bien, li'cette nouvelle, j'ai pleuré. Je ne rougis
pas du ces lannes: elle furent les premières que
j etisse versées de longtemps et ce seronl sans
doute les dernières. II n'esl plus rien qui puisse
me frapper....
Je viens de transcrire ses paroles; mais il m'est
impossible de rentlre l'accent qu'il y mil. L'êlre
le plus dur n'eiH pu l'entendre sans étre remné
jusqu'au fond des entrailles. Niissan n'était guère
sensible d ordinaire, et cependant il s'était furtive-
ment rapproché du Polonais, et je le voyais, grave
et ému, secouer lentement sa têle barbue.
Exeusez-moiPani Walerian, dit ii
tout-a-coup, ii parole d'honnenr, c'est une don -
loureuse histoire. Certainement, très-douloureuse.
Cependant je veux vous dire une chose. Tenez,
regardez-moi. Moi, c'est-a-dire pas moi, Dieu me
préserve Mais disons que, moi je traverse
seul line grande forét. Survient un homme. Cet
homme m'insulte. II vent me baltre. II me traite
de chien dejuif, Puis tl se met en mesure de
m'arracher la barbe. Et bien, le laisserai-je faire?
Eli, non Au contraire Evidemment, je me dé-
fenarai. Parfait! Mais si cent de ces brutes ve-
naient Me mettrai-je encore a riposter Ma foi
non. Je serais insensé d"y songer. Non, non. je
les maudirais en silence, jusque dans les os de
leurs trisaïeux mais tont haut je leur dirais: Sei
gneurs mes bienfaiteurs (1), une sale barbe de
(1) Seigneur Inenfaiteur, mon bienfaiteursont
des formules de la politesse exagérée en usage chez
les peuples orientaux. l)e méme, les Autrichiens
donnent, dans la conversation, a tout le monde,
I un ou I autre litre de noblesse on. pour le inoins,
la partieule, et quand nous nous disons en fran
cais les servitenrs de gens a qui nous écrivons,
nous serions fichés d'étre pris au sérieux.
juif n'esl pas digne d'etre arracbée par vos nobles
mains, et je tacherais de in'arranger en paix avec
ces chiens de mécréants. El bien
Et bien Ma curiosité était piquée
au vif.
ii Et bien, voila toute l'histoire de la Po-
logne, conclut Niissan d'un air eapable et péné-
tré. ii Toute l'histoire et tont le malheur. Voyez
la Pologne n'est pas aussi avisée que moi, c'est-a-
dire que le juif que je suppose. Le Polonais n'esl
pas aussi fort que le Russe. Comprenez-moi bien:
s'il était de taille a tenir têle, oh alors assom-
mez-moi ce Tartare et que Uien s'en réjouisse
Mais, écoutez bien ceci mais le Russe est cent
fois plus fort par conséquent, Pani Walerian,
pourquoi done l'agacer el vous metlre en ligne
contre Ini
Je ne pus m'empêcher de rire. Mais Pani Wa
lerian était resté impassible. Sans daigner répon
dre un seul inot a I'exposé de la politique pratique
du juif Niissan, il se tourna tranquillemeul vers
moi et, après une pose de quelques instantsJe
ne me suis pas méme mis en ligne contre les
llusses me dit-il avec un accent d'ine'xprimable
tristesse. Je stibis la peine du crime et je
n'ai pasen le bonheur de le commeltre; moi, je
n'ai rien fait, hélas, pour la délivrance de mes
frèrés J'élais si jeune lorsqu'on me traina en
Serliie a peine avais-je dix-neufnns. Mon père
était mort depuis longtemps, et moi je snrveillais
Sexploitation de nos terres. Et puis, nous avions
une cousine a la maison, line belle et gracieuse
enfant de seize ans; réellement, je ne songeais
guère a la politique Tout au plus portais-je le
costume national polonaisje lisais nos poëles,
sui lout Mickiewiez et Slowacki, et dans ma cham
bre pendait un portrait de Koseiuszko. Ce n'est
pas pour des battles Iraliisons de cette espèee-lk
que les Russes les plus acharnés méme eussenl. en
temps ordinaire, inquiété un adolescent de mon
age. Mais nous éliotis en 1848, el ce n'est pas pour
rien que Nicolai Pawlowjlbh avail prêté ce ser-
ment Si l'Europe entière était en feu, je jure
d'entrclenir dans mes Etats une bumidité lelie
qii'aucune étincelle ne puisse jamais y mordre.
Le Czar tuit parole. Ea l'ologne fut inondée de
(lots de sang et de lannes. Parloutoii se trouvait
un jeune gdntilhomme polonais qui, le cas échéant,
ent pu devenir un révoltnionnaire, la police fitdes
perquisitions. Trouvait-elle a son domicile le moin.
die livre prohibé, vite c'était: Pascholl, en Sibé-
rie Ainsi lit-on de moi. Ce fut comme un
coup de foudre: j etais en Sibérie avant d'avoir pu
me rendre comple de mon malheur. Pendant
toute la route il in 'avail semblé qu'nne toupie de
feu tourbillonnait sous mon crane. Puis, je me
mis a espérer. Ils devront me rendre la liberté,
me dis-je, puisqtie je suis innocent; car alors
il sourit d'une sourire qui me fit frissonner
alors, je croyais encore en Dieu!.... Lorsque j'eus
cessé d'espérer, commencèrent des accès de colère
frénéliqn-', puis je tornbai dans un profond inaras-
rne. Ce fut un élat épouvantable. Ma pensée res-
tail inerte pendant des semaines. Tont souvenir
avail disparu. Ma mémoire était morte a peine
me rappelais-je mon noinCeci est liltéralement
vrai. Monsieur, cette Sibérie est nu pays étrange!
(a continue».
Exlrait de la Revue Générale.)