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Samedi 15 Avril 1896
10 centimes le N°.
Les tabacs au Sénat.
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Nous reproduisons aujourd'hui,
d'sprès les Annales Parleraentaires,
les etcfellentes observations présen-
tées par notrë Sénateur provincial,
l'honorable M. Struye. dans la discus
sion de la loi sur le régime fiscal des
tabacs.
Nos lecteurs savent que la loi a été
votée au Sénat telle qu'elle avait
été adoptée par la Chambre des re-
présentants —par 64 voix contre une
et deux abstentions.
M. Struye. Messieurs, je compte émet-
tre un vote favorable au nouveau régime fis
cal des tabacs.Je vais enexposer les raisorts;
elles ine paraissent décisives.
L'accise telle que la loi de 1883 l'a orga-
nisée, portant sur la culture du tabac, por te
k faux elle est placée sur une fausse base.
Elle porte sur le uombre de plants ellne
tiern aucun compte de leur rendement. Que
le plant rende beaucoup, qu'il rende peu,
l'impót reste invariablement le même. Or,
nul produit n'estplus variable que le tabac,
nul nVst plus k la merci de tous les accidents
atmosphériques nul non plus n'exige plus
de frais, plus d'engrais, plus de main-d'oeu-
vre.
Dans l'arrondissement d'Ypres, que je
connais paniculièrement, et l'on m'assure
que presque partout il en est de même, il
y a des ahnées le rendement ne repré-
sente pa's 30 grammes par plant il y a aus-
si, de loin en loin, mais c'est tout k fait
exceptiórmel, une année oü le plant douné
jusque 100 grammes mais la moyenne du
rendement est bien inférieure k la moyenne
de ces deux extrêihes.car les récoltes mé
diocres ou mauvaises sont bien plus tréquen-
tes que celles qui sont bonnes.
Bref, sous le régime de 1883, même de-
puis les afténuaiiotis trés considérables 'qui
y ont été successivement apportées, les
planteürs sont astretnts k une accise qui
flotte entre 15 ét SO francs par 100 kilogram
mes de produit. Fluctuation absurde, éven-
tuellement ruineüse.et d'autant plus absurde
que toujours l'impót augmente k mesure que
la matière imposable diminue.
Mais ce qui est plus absurde et plus odieux
encore, c'est que, en casde grêle. d'inonda-
tion ou de quelque autre calamité de force
majeure, le planteur, aux termes de la loi de
1883, ne peut être exempté de la taxe de 1
centime et demi par plant qu'en anéantis-
sant les plantes avariées quelle qu'en puisse
encore être la valeur.
Ainsi, dans nos grandes cultures, en sup-
posarit 40.000 plantes avariés, ce qui re-
présente la contenance de 1 hectare k 600
francs d'accise, le planteur doit détruire
les 40 000 plants pour ne pas avoir k payer
ces 600 francs d'accise, alors même que la
valeur raarchande des plants s'élève encore k
600 francs II doit anéantir le fruit dé son
travail et le seul et bien insuffisant. élément
de recouvrement pour le loyer, pour l'impót
foncier, pour tous ses frais de culture il
doit tout saerifier, en pure perte, sans profit
pour le fisc ni pour personne. Get abomina
ble régime doit prendre fin 1
Mais, messieurs eet te destruction éven-
tuello de tout le produit d une culture et la
fluctuation absurde et ruineuse de l'accise
payóe sur le plant ne sont pas les seuls vices
capilaux de la loi da 1883. Elle a laissé le
champ librek l'introduction frauduleuse des
tabacs étrangers.
Or, depuis queiques années surtout, cette
fraude eflfréiiée el toujours grandissante fait
une cöQcufreuce, qui menace de devenir
rnortelle pour la culture indüstrielle, pour
riotre fabrication et pour tout notre commer
ce régulier de labac.
II est, en eftet, notoire que, chacune des
dernières années, 3 k 4 millions de kilo
grammes de tabacs exotiques out été fraudu-
leusemefit introdutts. C'est ce qui ressort k
toute évidence de la comparaison du chiffre
de la consommation beige avec le montant
de la production beige et de l'importation
réguliè're: l'excédent du chiftre de la consom
mation nous indique le montant de la fraude.
Et notez bien, messieurs, que presque
tous ces tabacs fraudés Sont de qualitésimi-
lairé stix riötres, car l'on n'expose guère les
tabacs riches aux confiscations de la douane.
3 k 4 millions de tabacs fraudés sont don'c
venus, chaqüe année, faire directement con
currence aux nótres, encombrer notre mar-
ché et en avilir le prix Et, de plus, dans une
trés large rnesure, ilsont empêcbé l'exten-
sion de nos cultures et privé ainsi de travail
et de ski ire des milliers de nos ouvriers
agricoles.
Mais si. les tabacs fraudés nuisent k nowe
cèlture, il nuisentaussi k notre fabrication.
Nos fabricates et. leurs ouvriers y perdeot
égaleraent leurs bénéfices ou leur salaire.Et,
kcause des tabacs fraudés, nos fabricates _l.es
plus honnêtes ne se tróuvent-ils pas en état
d-infériörité vis-k-vis de concurrents qui le
sont mofos Tout comma nos négociants qui
ne veuleut pas se four'nir chez les fraudeurs
doivent faire k leurs clients des prix plus
forts que les aulres.
Voilk, messieurs, la situation qui nous est
feite par la fraude. Nos cultivateurs et les
ouvriers agricoles, nos fabricants et leurs
ouvriers, ainsi que nos négociants en tabac,
tout le monde sen plaint et en souffre.
Le nouveau régime qui nous est proposé
y appot tera-t-il remède? Gela est évident
pour tous et il supprimera, de plus, toute
une série d'autres misères donl je vous ai
déjk signnlé les principales.
Voyons d'abord les effets directs du régi
me proposé.
La nouvelle accise portera non plus sur
une matière incertaine, irréalisée et souvent,
irréalisablo et riéanmoins invariablement re-
devable de l'impót, l'accise rie frappera do-
rénavant que les tabacs récoltés, les tabacs
li'vrés entre les mains des commerpants et des
fabricants. Le planteur n'a plus rien k dérnê
Ier avec le fisc. Si l'accise peut encore avoir
quelqu s influence sur la culture, ce n'est
plus que par conti' coup, par répercussion;
seuls les prix que le planteur obiierrdra de
ses produits pourraient en être plus >u moins
afïectés.
Les commerpants, les fabricants seront
taxés d'après le poids des tabacs secs red«-
vables d l'accise.
Saus douie, cette accise nouvelle, comme
toute gcoise, ne pourra être appliquée sans
quelque désagrément pour ceux qui doivent
la subir mais il y en aura beaucoup moins
et ils seront bien moins graves que sous
l'accise ancienne et les commerpants et les
fabric nis se rappelleront que la suppression
ue la nélaste fraude nest qu'k ce prix qu'k
cette suppression eux-mêmes profiteront
largement, et que, la fraude éliminée, pour
eux rien n'est plus facile que de reprendre
sur le cliënt et le consomrnateur tout ie mon
tant de l'impót.
lis se souviendront, de plus, que, sur les
tabacs exotiques non fabriqués iis ne paye-
ront pas un centime de plus. lis payaieut 70
francs de droit d'enirée: ils payeront encore
70 francs, dont 55 seulement pour droit
d'entrée et 15 francs comme droit d'accise.
Enfin, il est k noter que, sous le régime
nouveau, nos fabricants seront protégés con-
Ire la fabrication étrangère des cigares et
cigarettes par un droit d'.êntrée de 600 francs
au lieu de 300 francs et par 120 francs au
lieu de 100 francs contre les autres tabacs
fabriqués au dehors.
Quant aux conditions faites aux négociants
pour les tabacs fabriqués k l'étranger, il fe;ur
sera au moins aussi facile de reprendre sur
leurs clients la majoration de ces droits'd'en
trée que de reprendre sur eux le simple droit
d'accise II n:y Rüra que les riches désormais
qui consommeront les tabaes dont l'impót
est majoré.
Messieurs, après cel aperpu général des
conséquences directes du régime nouveau,
je crots qu'il importe encore de metire au
grand jour Les avantages indirects que ce
régime procurera k l'agriculture.
Depuis 1883, elle a été la victime du sys-
tème de M, Graux. Les ministres des finan
ces qui lui ont succédé ont eu beau s'appli-
quer k amender le syslème, il est resté
radicalement mauvais. Je remercie le chef
actuel du cabinet de vouioir le réformer ra
dicalement.
En délivrant nos cultures de tabac de l'ac
cise telle qu'elle élait perpue, la loi nouvelle
fait dispuraitre du même coup tous les désa-
gréments, toutes les vexations, toules les in
justices que sa perception amenait avec elle.
Désormais, plus de déclaration de plants,
dont le dénombrement, souvent difficile,
prêtait aux contraventions et k de formida-
bles amendes plus de cautionnemeuts sou
vent pénibles k trouver et k fourntrplus de
payeraents anticipalifs sur une récolte incer
taine; plus rien de cette accise, payée par
plant, dont le montant, quand nous le cal
culous sur le rendement réel, augmentait
précisément en mesure de la diminution de
la matière imposable enfin plus rien de eette
disposition iutolérable el barbare qui obli-
geait k la destruction d'une partie ou de la to-
talité de la récplte, du moment que sa valeur
marebande n'atteignait pas le montant de
l'accise, cette valeur s'élevat-elie, comme
limpót, k plus d 600 francs ['hectare!
D ns la loi qui nous est proposée, plus rien
de semblable.
Non seulement la loi nouvelle affranchira
le planteur de eet odieux et absurde régime,
mais elle lui reslituera en même lemps toute
liberté concernant ses procédés de culture.
Désormais le planteur pourra cultiver son
tabac sans cette préoccupation funeste de
pousser la plante k son plus extréme déve-
loppement. G'élait auxyeux de la généralité,
le seul moyen d'atténuer l'impót au plant.
Mais malbeureusement cette fapon nejprofitait
guère; le plus souvent le tabac y perdait en
qualité cc qu'il acquérait en quantité; et au
lieu de gagner en délicatesse, en arorne, au
lieu de s'approprier k tous les goüts et k ious
les usages, il était rendu ainsi de pius en
plus impropre k la fabrication et k un usage
généralisé. Désormais done nos planteürs
cultiveront k leur convenance. et rien ne les
etnpêchera plus de tirer profit des enseigne-
ments de la science, de leur propre expé-
riènee et de cel le d'autrui, en un mot, des
progrès réalisés ehaque jour dans le do-
maine agricole.
Qu'il en soit ain.si,et,comme par la loi nou
velle,nos tabacs seront deiivrés de toute con
currence fi'audul.euse et qu'ils seront admis
k I exportation avec décharge <je Tgccise,
leur placement sera dorénavant plus facile
et leubs prix plus réinunérateurs.
Puissent, dans ces conditions nouvelles,
nos plantations s'étendre et se multiplier
Quel grand bienfait ne serait ge pas pour
notre agriculture et pour toute notre popu
lation agricole
Nulie autre culture, en cffet, n'enrichit.ne
fertilise amt'.viB ,1e scrI et. ne prépare mieux
aux jssolements subséquenis bien réglée
elle assainit et reud de plus en plus produc
tive toute une exploitation agricole. Nulle
autre culture non plus né donna lieu k au-
tant de main d'ceuvi'c et n'assure; tout le
long de l'été et dans l'arrière saison aux
femmes, aux vieillards et aux enfants, un
travail aussi abondant et aussi convenable-
iinent rémunéré.
Enfin, messieurs, nulle culture n'est plus
accessible aux petits et aux humbles. Pour
peu qu'ils disposent de quelque coin ae ter-
re, ils ont, pour le tubac, sur le commun des
cultivateurs, le trés {rand avantage de pou-
voir, sans bourse délier, trouver dans leurs
engrais domestiques tout ce que requiert
cette si avide plantation, et do pouvoir sufifi-
re, k leurs heures de loisir, par les bras de
leur ménage, aux soins si multiples que re
quiert la plante Pour les petits et les hum
bles, la fibre culture du tabac est une res
source précieuse,qui peut ainéltorer considé-
rablement leur .sort.
Je voterai done, pour toutes ces considé-
rations, le nouveau régime fiscal du tabac,
et je Ie voterai dautant plus volontiers que
la ioi établit des exemptions de charges au
piofit de tous ceux qui peu vent le moins les
supporter et qu'elle exempte du droit d'acci
se les tabacs séchés, fabriqués ou non fabri
qués, qui existeront dans le p.iy3 au moment
de la mlse en vigueur de Partiele 3 de la loi.
Je le voterai aussi paree que le gouver
nement est disposé k appliquer la surveil
lance nécesssn e de la tnanière la moins tra-
oussièi e possible et que la loi assure au com
meren et k (industrie toutes les facilités et.
tous les avantages compatibles avec l'étimi-
nation de la fraude, cette calamité dont la
culture, le commerce, l'industrie et le tra
vail national n ont que trop soufïert
J'ai dit.
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