L'INCENDIE
DU BAZAR DE CHAR1TÉ A PARIS.
Saniedi 8 Mai 1897
10 centimes le N
32e Année. N° 3243
Les événements d'orient.
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Nous publierons, dans notre prochain numéro, le compte-rendu de
la seance du Conseil Communal de Sainedi dernier.
Les préoccupalions politiques s'évanouis-
sent, en France, devant l'affreuse catastrophe
qui vientde pioneer dans le deuil Félite de
l'aristocratie parisienne.
La mort, qui est toujours solennelle et
dramatique, est particulièrement terriFiante,
lorsqu'elle enlève en masse, d'un coup sou-
dain, sans lui laisser une minute pour se
reconnaitre et se préparer, une foule heu-
reuse de vivre.
Instinctivemsnt, les plus frivoles, témoins
d'un pareil spectacle, joignent lés mains et
prient Dieu de prendre en pitié ces êtres
brusquemerit supprimés qui paraissent de
vant son tribunal, dépouillés de tous les
oripeaux terrestres, avec leurs seules actions
et leurs pensées, qui doivent êlre jugées.
Dieu, qui est toute miséricorde, voudra
tenir compte ces victimes, du sentiment
de charité qui les avait réunies dans cette
fête, et qui devait alimenter des ceuvres
créées pour sa gloire. II aura permis qu'un
désir de suprème contrition lavat les fautes
dont les ames d'un grand notnbre, peut-être,
étaient souillées.
Chrétiens, nous pouvons secourir ces
ümes, abréger le temps de leur expiation,
et forcer par nos prières les portes qui leur
ouvriront le séjour do la paix...
Récit d'un térnoin.
Voici le récit qu'a fait M. Gangnard, ré
gisseur des écuries Rothschild.
II était environ quatre heures vingl mi
nutes lorsque je vis une dame, qu'on m'a dit
être la comtess? de Rochefort, sortir du
Bazar et courir dans la rue en cri int Au
eu Je regardai et je ne vis rien qu'un
petit filet de furnée, une sorte de vapeur
qui s'échappait de la toiture, vers le milieu
de la construction. Je ne m'expliquai pas
du tout l'affolement de cette personne quand,
tout it coup, j'entendis une sourde clameur,
des cris confus, puis non moins brusque-
ment, je vis la toiture flamber comme un
paquet d'allumettes.
En même temps, ce fut comme un Hot
humain qui roula dans la rue. La terreur
était peinte sur tous les visages des dames
avaient les cheveux brulés les vêtemenls
d autres étaient roussis. De l'intérieur, la
poussée était tellement forte qua dix dames
tombèrent sur le trottoir, et toutes les autres
leur passèrent sur le corps, leur écrasant la
poitrine ou leur broyant les membres. Et
les pauvres femmes criaientC'était
navrant. Je me précipitai pour en relever
quelques-unes maisje dus fuir moi-même.
En effet, au moment oü je m'avanfais, des
femmes complètement environnées de Ham
mes se jetaient dehors en poussant de véri-
tables hurlements et se roulaient sur la
chaussée pour éteindre le leu qui les dévorait
vivantes.
Line dame dont je ne connais pas le nom
eut le sublime courage, en s'apercevant que
son enfant ne l'avait point suivie dans sa
fuite, de remonter le courant bumain en
mordant et en égratignant pour se frayer un
passage et de rentrer dans la fournaise, d'oü
elle n'est plus sortie sans doute.
Puis des hommes parurent, les cheveux
et la barbe roussis l'uu d'eux, le général
Munier, avait ses \êtements qui flambaient
sur son corps. Dans son afïolement, il entra
dans la cour qui précède les écuries de M. le
baron et, apeicevant une auge de pierre
remplie d'eau, il s'y précipita. line quaran
taine de personncs plus ou moins grièvement
biCilées ou blessées vinrent se réfugier chez
nous. Des dames dont les robes brülaient
poussaient des cris ou se roulaient sur le
pavé de la cour. 11 vim it l'idée d'un pale-
frenier de les inonder avec une lance d'arro-
sage, et c'esi ii cela que plusieurs victimes
durent de ne point étre griilées toutes vives.
E t présenee de eet épouvantabie mal
heur, je me dis ce qu'il y avait de mieux
faire pour le moment, c'était de donner des
soins ii toutes ces pauvres femmes quel
ques-unes étaient presques nues qui gé-
missaient autant pour elles-mêmes que pour
les êtres cheis restés dans le brasier. Je
téléphonai l'höpital Beaujon pour deman-
der des secuurs médicaux puis je prévins
le poste de pompiers le plus proche et
j'avisai enfin de la catastrophe M. Schneider,
intendant de M. le baron Alphonse de Roth
schild, qui vint peu après et se dévoua pour
soigner les blessés. Tout cela m'avait de-
aandé cinq minutes it peine... Quand je
retournai dans la rue, le Bazar de la charité
n'existait déjü plus la toiture venait de
s'écrouler, et p:ès de cent cinquante cada-
vres achevaient de se carboniser dans la
fournaise.
Un autre récit.
Voici un autre récit trés émouvant de M.
Armand Dayot, rédacteur du Figaro
Je descendais les Champs-Elysées, ve-
nant de chez moi, vers les quatre heures, el
me rendant au Salon, quand je vis une gran
de furnée du cöté de la rue Jean-Goujon. Je
me dirigeai de ce cö'.é. Le Bazar de la Cha
rité brülait. Tout autour, la foule commen-
Qait ii s'amusser. Des femmes affolées, la
plupart jeunes, vêtues de toilettes claires,
s'échappaient de la fournaise, en poussant
des cris aftreux. Plusieurs avaient le visage
tuméfié et ensanglanté. Toutes criaient et
appelaient au secours. Jen vis une qui se
tordail les bras en appelant sa mère, pendant
que des femmes du peuple, au risque de se
brüler, arracbaient par lambeaux la robe en
flammes.
Le Bazar, devenu eri quelques minutes un
véritable brasier, bordait la rue comme une
barrière de teu. Je pus cependant pénétrer
dans le terrain vague qui se développe entre
le Bazar et le couvent de la rue Bayard, et
c'est de lit que j'assistai, avec deux sergents
de ville et trois ou quatre ouvriers, au ter
rible drame.
Quand j'arrivai, ces braves gens cher-
chaient, ii L'aide d'une échellc trop petite, ii
faire passer par dessus les murs d'une mai-
son voisine un pauvte vieille femme qui
avail réussi se sauver par uue des ouver
tures donnant sur l'espace vide. Sans cha-
peau, moitié nue, le crane sanglant, elle
disait des paroles inintelligibles et semblait
inconsciente. Et, détail navrant, pendant
qua nous hissions hois de l'alteinte des flam
mes cette triste masse inerte, les habitants
de la maison voisine nous inondaient de
fl ts d'eau distinés rafraichir les murs de
plus en plus brülants. II y avait de tous cótés
un afïolement général,que juslifiait l'horrtur
du drame, car on entendait au milieu du
sifflament des flammes les cris des victimes
qui s'éteignirent bien vite.
G'est en ce moment qu'uu cri déchirant
nous fit retourner la tête du cöté de la four
naise. Deux corps venaient de s'en échapper
et se tordaient sur l'herbe, tout au bord des
flimmes dont la chaleur devenait intolérable.
Je m'élancri de ce cöté avec un de ouvriers,
Mais bien qua nous nous fussions couvert la
tèteet la figure d'herbe arrachée au sol,
nous-ne pümes parvenir jusqu'aux malheu-
reuses victimes, qui flambaient comme des
torches et qui ne bougeaient plus. Elle
disparurent dans l'incendie.
Nous n'avions plus qu'ü contempler avec
des yeux pleins de larmes, car tout Ie monde
pleurait, l'horrible spectacle.
Bientötarrivèrent les pompiers qui, ri'ayant
désormais qu'ii faire la part du feu, dirigè-
rent leurs efforts du cöté du couvent, sur la
facade duquel on voyait déjü courir des
flammes.
La violence de l'incendie était si grande,
que quelques minutes it peine après la mise
en batterie des pompes, la charpente du
Bazar s'écroulait avec un bruit épouvantabie,
nous envelopparit de furnée, et d'odeurs hor
ribles, odeurs de chairs brülées.
Nous piimesalors nous approcher des restes
fumants de ce qui fut le Bazar de la Charité,
et ou se pressait, ii y a auelques instants,
une foule élégante et joyeuse. Au premier
plan, les cadavres des deux pauvres femmes
que nous avions été impuissants secourir.
L'uri est complètement calciné et demeurc
sur le dos, les jambes raides, les brasttndus
comme pour appeler au secours. De i'aulre,
la partie antérieure seule a élé atteinte par
ies flammes et brüle encore en crépitant.
Nous versons sur ces tristes déhris desseaux
d'eau afin d'arrêter l'oeuvre du feu et de per-
mettre aux infortunés qui vont les rechercher
de les reconnaitre.
Peu peu, l'espace oü nousnots trouvons
est envahi par une foule désespérèe de pa
rents et d'amis. C'est un lamenlable concert
de cris décbiranis, de sanglots. 11 en est
qu'on est obligé de retenir pour les empêcher
de ce jeter dansle brasieroül'on commence
a apercevoir des membres crispés, des corps
tordus, des têtes de mort, blanches et grima-
gantes. I! est un endroit surtout qui ressem-
ble un véritable ossuaire. G'est un atnon-
cellernent de cranes.
Qui pourra reconnaitre l'être aimé dans
ces affreux tas d'ossements et de chairs
brülées, amalgamés dans une uniformité
macabre Oh l'affreuse, l'inoubliable vision
Prés de moi un homme du peuple, secoué
de sanglots, gratte la boue sanglante sous
un des deux cadavres et en retire des bijoux
qu'tl remet un agent da ville...
Les Grecs et les Turcs en Créte.
Le colonel Yassos est rappelé Je
Crète. On se demande s'il s'agit sim-
plement d'utiliser en Grèce ses ser
vices ou si son rappel n'est que le
commencement de la retraite des
troupes d'occupation. Dans le second
cas, la Grèce, donnant satisfaction aux
puissances, chercherait, sans doute,
le moyen de rendre une mediation
possible.
On assure raalheureusement que
les dispositions de la Porte ne sont
plus aussi moderoos surtout relative-
men t a la question crétoise. Le sultan
n'accepterait même plus maintenant
le principe de l'autonomie. On ajoute
qua Constantinople, il y a un parti
de la guerre qui propose de repousser
les offres de la Grece si elle se résigue
a demander la paix on voudrait
même écarter la mediation des puis-
V