Les Chambres beiges.
Mois de Mai.
Le marché au beurre
et La Latte
jours out atteint des laux excessifs et l'agricul-
ture n'a plus entre ses mains qu'une partie in-
(ime de la récolte a apportev sur le marché.
Une situation aussi exceptionnelle autorise
évidemment des mesures exceptionnelles.
Le blé tient une telle place dans l'alimenta-
tiou publique et dans la consommalion des po
pulations laborieuses,que l'intérèt des produc-
teurs doit céder devant celui de la masse des
consommateurs quand les prix s'élèvent trop.
Ce principe a toujours été reconnu et procla-
mé par les défenseurs de notre régime écono-
mique, et ce sont eux qui l'ont introduit dans
notre législation par l'article 1"' de la loi du
29 Mars 1897, ainsicongu:
Dans les circonstances exceptionnelles et
quand le prix du pain s'élèvera a un taux me-
nagant pour ('alimentation publique, le gouver
nement pourra, en l'absence des Chambres,
suspendre en tout ou en partie les eftets de la
présente loi par un décret du Président de la
République, rendu au Gonseil des ministres.
Dans ce cas, la mesure prise par le gouver
nement devra être soumise h ratification aussi-
töt les Chambres réunies
Nous avons pensé, après l'enquête appro-
fondie laquelle nous nous sommes livrés et
dontjeviens, Monsieur le Président, de vous
faire connaitre les résultats, que nous nous
trouvions dans les conditions prévues par la
loi pour user de la prérogative qu'elie nous
confère.
Mais avant de nous arrêter a une resolution
definitive, nous avons voulu prendre l'avis de
la commission permanente du Gonseil supé
rieur de l'agriculture, qui se compose des hom
mes les plus dévoués a l'intérèt agricole et en
même temps les plus éclairés, les plus au cou
rant de l'état vrai du marché.
La commission, lout en reconnaissant qu'il y
avait encore en France des approvisionnements
intérieurs trës sérieux, a été surtout frappée de
ce qui se passait sur les marchés étrangers et
en particulier, sur le marché anglais, oü l'on a
acheté le blé a tout prix et oü les cours ont
atteint, dans ces jours derniers, des taux trés
élevés. 11 y a la une cause de hausse permanente
dont il faut tenir grand compte dans les calculs
de l'avenir.
La commission a done été d'avis, comme le
gouvernement, qu'il y avait lieu, en principe,
de suspendre, pendant une période a détermi-
ner, le droit de douane sur les blés.
Elle a été appelée ensuite a se prononcer sur
la question de savoir s'il fallait suspendre le
droit entièrement ou seulement en partie.
Les membres les plus expérimentés de la
commission ont fait observer que la simple
diminution du droit aurait eet inconvénient
d'empêcherou de ralentir au profit des marchés
étrangers les importations nécessaires de blés,
en faisant craindre aux importateurs une sup
pression totale du droit qui viendrait a brève
échéance bouleverser le résultat de leurs opéra-
tions.
lis ont ajouté que d'ailleurs la suspension
compléte du droit n'empêcherait pas, a leur
avis, les agriculteurs qui ont encore du blé de
trouver des prix. rémunérateursles besoins
du marché francais sont tels, et les demandes
des marchés étrangers si pressanles, qu'il n'y a
plus a craindre un el'fondrement des cours.
Nous pensons avec la commission que Ia sus-
pension totale du droit est en effet, ia mesure
alafois la plus logique et la plus sage. Elie
coupe court a toutes les objections, en offrant h
la masse des consommateurs le maximum des
satisfactions qu'elle peut espérer et en faisant
tomber toutes les barrières derrière lesquelles
on pourrait cherchera maintenir la hausse.
Quant au producteur, nous sommes convain-
cus que son sacrifice sera limité par les hauts
prix qui règnent en ce moment partout, 11 ne
reste pour lui qu'un danger, c'est celui de
l'avenir, et c'est a celui-la que le gouverne
ment a le devoir de parer en limitant i une
courte durée la suspension du droit.
11 ne faut pas, comme en 1891, laisser se
constituer des stocks de blés étrangers qui
puissent peser sur les cours du blé de la nou
velle récolte, et les avilir.
Pour rassurer l'agriculture sur ce point, il
suffit de lui expliquer qu'il n'y a aucune com-
paraison possible entre la situation actuelle du
marché et celle de 1891, et que la mesure pro-
poséeest absolument différente de celle qui a
été prise cette époque.
En 1891, la diminution du droit de douane
est entree en application le 3 Juillet seulement,
c'est-a-dire au moment même oü les blés de
la nouvelle récolte commengaient h arriver, et
elle a duré prés d'une année pendant laquelle
les blés de tous les pays ont afflué sur notre
marché pour y proflter du ('établissement des
droits.
Ajourd'hui, au contraire, nous sommes en
core a deux mois environ de distance de la
nouvelle récolte et tous les pays ont été tene
ment appauvris par la mauvaise récolte de
l'année dernière, que les quantités de blés cir-
culant dans Ie monde sont k peine suffisantes
pour les besoins de la consommation jusqu'a la
prochaine récolte. II n'y a done pas a craindre
qu'ils puissent s'accumuler en France pour pe
ser ensuite suf les prix de cette récolte.
L'important est que les blés étrangers de la
nouvelle récolte ne puissent pas proflter de
l'ouverture de notre marché pour faire aux
nötres une concurrence désastreuse.
C'est pour éviler ce danger que nous vous
proposons de limiter au 1" Juillet prochain Ia
suspension totale du droit que nous vous de-
mandons de décreter.
Nous sommes convaincus que l'agriculture
frangaisecomprendra les raisons qui ont décidé
le gouvernement, après müre réflexion, a pren
dre cette grave mesure et qu'elle la ratifiera.
Elle prouvera ainsi qu'elle ne sépare pas son
sort de celui des autres travailleurs et qu'elle
sait, qnand il le faut, leur faire les sacrifices
nécessaires; elle donnera en même temps au
régime économique qui la protégé plus de soli-
ditéet d'autorité en faisant fonctionner h temps
lasoupape de sürelé dont il a été pourvu et en
prenant elle-mème ['initiative des concessions
qu'elle est toujours prête h faire h l'intérèt géné-
ral du pays.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assu-
rance de mon profond respect.
Le Président du Conseil, ministre de 1'agri
culture,
Le Président de Ia République francaise,
Vu l'article ler de la loi du 29 Mars 1887
Vu les articles 1" et 14 de la loi du 11 Janvier
1892;
Vu l'article lor de la loi du 27 Février 1894;
Le Conseil des ministres entendu,
Décrête
Article 1". A dater du 4 Mai 1898 inclusi-
vement jusqu'au 1" Juillet 1898 exclusivement,
le droit d'entrée sur Ie blé en grains porté au
tableau A du tarif d'entrée du tarif général des
douanes est supprimé.
Art. 2. Al'expiration de ce délai, le droit
de 7 fr. resultant de la loi du 27 Février 1894
sera intégralement pergu.
Art. 3. Le président du Conseil, ministre
de l'agriculture, et le ministre du commerce
sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de
l'exécution du présent décret.
Fait k Paris, le 3 Mai 1898.
Félix Faure.
Par Ie président de la République
Le président du Conseil, ministre de l'agri
culture,
Jules Méline.
Le ministre du commerce, de l'industrie
des postes et des telégraphes,
Henry Boucher.
La session de 1897-98 est clos.
Nos chambres ont voté au pas de cour-
se les budgets et les projets qui res-
taient a son ordre du jour et qui de-
vaient être votés avant la fin de la
session
MM. Surmont de Volsberghe,au Sé-
nat, et Colaert a la Chain bre ont ré
clamé l'archèvement du canal de la
Lys a TYperlée. Leur attitude énergi-
que a été couronnée de succès.
Voici la réponse du Ministre
Je dois dire un mot du canal de la Lys h
l'Yperlée, dom M. Colaeri a parlé. J'ai dit
autrefois que les travaux du canal étaient h
l'observation mais pas le can.il lui-même.
(On rit.)
M. Colaert a annoncé tantöt qu'il ne me
lücherait plus sur cette questioneh bien
j'annonce h l'honorable membre que les plans
de détail des travaux qu'il réclame sont prêts
et, quau prochain budget, je pourrai de-
mander des crédits pour l'exécution de ces
travaux. (Trés bien d droite.)
M. le Ministre des travaux publics
avait effectement dit, il y a deux aus,
que le canal était en observation. Eu
rappeiant cette expression de M. De
Bruyn, M. Colaert a excité l'hilarité de
la chambre. L expression est sans dou-
te singulière, mais il parait qu'elle est
technique.
Elle a fait fortune, puisque M.
W oeste en a fait usage a propos de
lex-abbé Charbonnel qui fait de la
propagande söcialiste dans le Hainaut
et que le gouvernement devrait mellrc
en observation.
Nos honorables savent rire, même
au moment de se séparer.
MM. Tack, Colaert et Ivveins d'Eeck-
houttcavaientdemandé un crédit pour
les travaux a faire a la Lys afin d'évi-
ter a l'avenir les inondations qui alïli-
geut souvent les riverains, lis out ob-
tenu gain de cause un crédit de
500,000 francs a été voté a leur de-
mandeetdu consentementdu Ministre.
Souriant et doux, malgré nos clamours
guerrières, nos agitations fièvreuses et nos
pauvres discordes humaines, Mai nous est
revenu, dans son cbar attelé d'hirondellt-s,
la flüle aux lèvres et le front enguirlandé de
fralches floraisons blanches
Mai nous est revenu, donnant le signal
h l'exécution solennelle de la divine sympho
nic de chansons, de parfums et de couiem s,
préparée discrètement par Avril. Déja tous
les oiseaux, avec leurs partitions sous les
ailes, ont repris possession des charmilles
habillées h neuf de vert tendre et, le 1 mg
des routes ensoleillées, les ruisseaux chan-
tent clair emportant, dans leur onde, la neige
odorante et l'or dispersé des premières
floraisons.
Et c'est, dans l'air en fête qui se galorme,
h l'horizon de passementeries aux teintes
exquises, comme une apothéose immense oü
tout acclame le plus beau mois de l'année.
Est-ce it cause de son charme suave, et
pur évoquant, dans sa troublante poésie,
toute une théorie d'aspirations tendres, de
blanches visions et d'invoeatious célestes,
que Mai a été spécialement consacré au
culte de la Vierge
II est de fait que pas un mois ne s'harmo-
nise mieux que lui avec cette dévotion pieuse
et louchanie, la plus douce, h coup sür,
sinon la plus grande de la religion ca'.bo-
lique.
Un des plus sincères et plus délicats
poètes de ce temps, Georges Rodenbach, a
consacré, au mois de la Sainie-Vierge, une
page de vers inoubliables dans leur naïve
simplicité
J'évoque aussi parfois la grande chambre an-
cienne
Oü nous allions prier pendant les soirs de Mai
Comme, pour la chaleur, on ouvrait la persienne,
L'ame des fleurs passait dans le vent embaumé.
ÜDe madone blanche ornait la cheminée
Montrant desdoigts son coeur traversé d'un cou-
teau.
Des chandeliers d'argent l'avaient illuminée
Et donnaient de la vie aux fleurs de son manteau.
Et la chambre perdait tout son aspect sévère
Tant les roses prenaient des teintes de pastel,
Tant les lys dormaient bien dans leurs globes de
verre
Et tant ce reposoir avait des airs d'autel.
Nous arrivions ensemble en marchant sur les
pointes
De nos pieds, dans la chambre oüjla Vierge ró-
gnait;
Et nous pleurions de voir que, malgré ses mains
jointes.
Sous son manteau d'azur son coeur rouge saignait.
Et nous prenions plaisir k compter les bougies
Et nos lèvres goütaient le charme qu'ily a
A psalmodier haut, comme des élégies
Les rbythmiques versets des Ave Maria!
Paul Verlaine a également chanté le culte
de Marie en strophes restées oélèbres. Qui
ne connalt ce passage de Sagesse qui
commence par ce vers
Je ne veux plus aimer que ma mère Marie
Et qui se termine par ce quatrain
Marie immaculée, amour essentiel,
Logique de la foi cordiale et vivace,
En vous aimant qu'est-il de bon que je ne fasse,
En vous aimant du seul amour, Forte du Ciel
D'ailleurs pour une ame poétique et reli-
gieuse, quelle douce et attirante figure que
celle de Marie.
Sous le ciel clair de Mai, les clochers jet-
tent dans les brises leurs envois de notes
pures Les cierges brülent, les hymnes s'é
lèvent et cela nous console un peu des hor
reurs de cette fin de siècle éirange, en rassé-
rénant nos coeurs d'une rosée de poésie frai-
che et de sincère religion.
Nous avons dit, Mercredi dernier, en par-
lant de La Lutte, qui prétend que notre
marché au beurre est mort, que nous prou-
1 verions par des chiffres comme c'est notre
habitude en pareil cas combien cette as
sertion est plus que risquée.
Plus que risquée en effet, plus que légère,
étourdie méme, est la phrase du journal libé-
ral, surtout en ce moment. Nos lecteurs et
tous les gens impartiaux le diront comme
nous h la vue du tableau qui suit, prouvant
surabondamment que petit bonhomme du
marché au beurre dont le confrère pro-
nonce si aisément l'oraison funèbre anticipée,
vitencore; comment done! est plus vivant
que jamais.
G'est risible et tout a fait singulier de con-
stater comme les journaux libéraux yprois
ontdu guignon dans cette question du rnar-
ehé au beurre, qu'ils veulent absolument
tuer sur le papier bien entendu depuis
'.'établissement des droits d'entrée.
Chaque fois qu'ils annoncent sa mort, il
est plus florissant que jamais. Nous l'avous
prouvé si souvent il y a quelques mois en
répondant par des chiffres au Progrès! II n'y
a rien de brutal comme les chiffres pour as-
sommer des nionstres en carton
Le pauvre Pregrès a eu beau se débattre,
thcher de se dérober par des cabrioles et des
pirouettes, nos tableux comparatifs ont fini
par avoir raison de sa scie sur la mort du
marché au beurre, et il s'esi finalement tü,
nous laissant le dernier mot.
II faut croire que La Lutte es:, jalouse des
lauriers de son fiére doctrinaire, pu.squ'elle
semble vouloir reprendre pour son compte,
la petite opération du sciage de long, aban-
donnée par le Progrès..
Seulement il faut observer que ce dernier
ne faisait qu'annoncer la fin du marché au
beurre, puur un temps futurLa Lutteelle,
est plus catégonque, elle annonce tout sim-
plement sa mort
Voici comment le marché au beurre est
moit. On en jugera par le tableau comparatif
des jours de marché de Marsh Mai pour les
six dernièies années. On y verra que l'année
1898 est la meilleure pour la quantué vendue
et pour la modicité du prix.
1893.
Uuantité ie tore vendu
Pril par kilo
kilos
frs.
Ie
jour ie larctie ie Mars
8,944
3,25
2e
10,950
3,25
3»
19,430
3,20
4e
10,930
3,15
Je
d'Avril
10,777
2,95
2e
11 315
2 85
3e
12,709
2,92
4°
14 419
2,65
5°
14.288
2.60
ir
Mai
15,040
2,55
1894
1'
j. d. ai.
d. Mars
9,032
3,10
2*
9,032
3,10
3'
9,846
3,08
4e
9,247
3,05
5e
10,868
2,90
fr
d'Avril
12,574
2,80
2'
11,614
2,75
3«
13,529
2,60
i'
14,837
2,45
1'
Mai
15,656
2,40
189»
lr
j. d. m.
d. Mars
9,751
2.91
2e
10,590
2,70
3'
11,336
2,80
4e
11.473
2,50
5«
12,969
2,40
d'Avril
13,957
2,35
2°
13,548
2,37
3«
14,784
2,50
4e
15,494
2,50
1'
Mai
16,402
2,35
1896
lr
d. m.
d. Mars
10,396
2,83
2*
11,073
2,85
J. MÉL1NE.
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