La chaine
M. Ie Président. Remarquez bien qu'il
s'agitd'une adoption nouvelle. Ce n'est pas
l'école, en réalité, c'est pour ainsi dire l'in-
stituteur en chef qui est adopté. Ainsi, l'a-
doption de l'école St Alois cesse par le départ
de M. Neuville et il s'agit de l'adopter de
nouveau sous le nom de M. l'Abbé Lagae.
M. D'Huvettere. C'est que la ville a
intérêt k savoir jusqu'k quel point tile s'en-
gage-
M. Fraeijs. Nous n'avons qu'k nous
inclinerla demande est légale nous
agissons en vertu de la loi.
M. le Président. Oui, mais il faut voter
d'abord la principe d'adoption. Est ce ce
principe que vous voubz mettre en discus
sion, M. D'Huvettere? Si non, les demandes
de traitements pour M. Lagae, instituteur en
cbef diplomé et d'augmentation de quatre
sous-imstituteurs, qui y ont droit, par suite
de leur nombre d'années de services, est
simplement la conséquence de I'adoption de
l'école, en la personne de son instituteur.
M. D'Huvettere. Je ne discute pas I'a
doption, ce sont des explications que je de-
mandais et je medéclare satisfait.L'adoption
est votée k l'unanimité pour un terme de
dix ans.
Liste desélèves admisgratuitement
A l'Ecole Communale de garcons, il y en
a 131 k l'école de filles rue de Lille 162 et
k l'école St. Alois 309.
Enseignement
Vu les diverses demandes d'augmentation
de traitement faites par des instituteurs, le
budjet de l'enseignement ne sera voté qu'k-
près le huis clos.
Ecoles gardiennes
Vu l'augmentation du nombre d'élèves
il y en a 765 k présent on sera forcé
d'augmenter de deux, le nombe des classes,
et, en conséquence, d'augmenter le subside.
M. le Président rend hommage au zèle et
au dévouemeut de Mm8 Ivveins d'Eeckhoutte,
la digne présidente du comité de cette école.
Cours de langue francaise
M. le Président. Nous proposons d'in-
stiiuer un cours de langue francaise k l'école
Industrielle. Deux professeurs de l'ancienne
école d'adultes en seraient chargés.II se don-
nerait le dimanche, pendant une heure. Ce
cours fera grand bien aux ouvriers, surtout
k ceux qui doivent travailler éventuellement
en France. Ce cours est k la disposition de
tout le monde.
M. Vanderghote.—-Les deux sexes y sont-
ils admis
M. le Président.(Souriant) évidemment
non, mais s'il y avait des demandes en ce
sens, nous pourrions ériger une classe pour
les personnes appartenant au beau sexe.
M. Iweins d'Eeckhoutte. II y aura né-
cessité de doubler le cours, donné k l'Ecole
Industrielle, par M. Snauwaert, qui, entre
parenthèses, le dorme trés bien mais oü il
y a un nombre trop considérable d'élèves.
J'y suis allé voir, et il y faisait une chalcur
étouffante. De plus, il est impossible de
surveiller convenablement un aussi grand
nombre d'élèves.
Mil. Justice et Corneille ont trop d'élèves
également. II y aura absolument dc-s mesures
k prendie k eet égard.
M. le Président,Nous examinerons la
question.
Ecole de rausique
Le budget est approuvé.
La question de ia création d'une nouvelle
classe est remise k plus tard.
M. Iweins d'Eeckhoutte demande si le
gouvernement refuse encore un subside pour
notre école.
M. le Président. II faut que notre école
de musique soit instituée selon le pro-
gramme du conseil de perfectionnement.
M. Iweins d'Eeckhoutte. Je trouve qu'il
y aurait nécessité de demander au gouver-
ment qu'il change ce programme. II est im
possible que des villes de i'importance
d'Ypres soient forcées de suwvre le même
programme que les villes de Bruxelles, An-
vers, Gand, Liège etc.
M. le Président. Vous avez raison et
j'en ai par lé déjk k M. le Ministre des Beaux-
Arts, qui a par tagé ma manière de voir.
II s'agira de faire une proposition k la
Chambre pour modifier le programme du
Conseil de perfectionnement et le diviser en
trois classes, par exemple, en rapport avec
I'importance oes localités.
M. Fraeijs. C'est le conseil de perfec
tionnement qui devrait être perfectionné.
(Rires.)
Garde-Civique
Le budget est approuvé.
M. le Bourgmestre montre les plans faits
par M. l'Ingénieur Coomans concernant l'é-
tablissement d'un Stand.
II aura 300 mètres de long et sa situation
écartée n'exigera pas la construction de
para holles.
La dépense sera de 98,000 fr- non com-
pris la valeur du terrain mais le devis n'est
pas encore fait.
J'aisondé déjk M. le Ministre de Trooz k
ce sujet, dit M. le Président et j'ai l'espoir
que le Gouvernement interviendra large-
ment.
Les Hospices sont autorisés k prendre
200 actions de la société Eigen Heird
Harmonie Communale
Un subside de 4264 fr. 05 est voté pour
les services exlraordinaires rendus par
l'Harmonie Communale, pendant l'année
écoulée.
M. D'Huvettere. Quel genre de service
sont-ce.
M. le Président. Des concerts et cor-
tèges exlraordinaires. Ainsi l'installation du
bourgmestre, l'entrée officielle du Ministre,
les concerts au marché couvert etc. Ces con
certs ont de la vogue dans le public, et nous
continuerons ce système.
M. Bouquet. Ne pourrait-on organiser
une fête de ce genre pour le dernier jour de
l'an, qui sera en même temps le dernier du
siècle présent
M. le Président. Ce serait done une
fête fin de siècle. (Hilarité). Nous examine
rons la chose.
Tour des Halles
Uri crédit de 500 fr. est voté pour les
travaux effectués au beffroi. Ce n'est pas du
travail perdu et la commission des Monu
ments en tiendra compte, j'espère, dit M. le
Président. Le travail était urgent et a marché
fort rapidement.
Couvent des Pauvres Claires
M. le Président propose de lacher de
reprendrele bail des Pauvres Ciaires.Le ba-
timent vaut la peine d'être conservé et il est
fort intéressant dans certaines parties de sa
construction. Nous le laisserions k la dispo
sition du public, pendant une heure ou deux,
le Dimanche, afin qu'il puisse juger de la
beauté de la construction.
Entretemps, MM. les conseillers pour-
raient s'y rendre en corps l'un de ces jours
pour examiner le bktiment et voir ce qu'on
devrait en faire, le cas échéant.
La séance publiqueest suspendue k 6 1/2 h.
C'était un brave homme que le vieux
comte de Morgenac. Un brave homme com-
me il y en a tant...
II s'estimait parfait, presque impeccable,
paree qu'il n'avait jamais dérobé un liard k
personne.
Sa vie était réglée comme son chrono-
mètre.
En été le vieux comte se levait k cinq
heures, allumait une bouffarde et faisait le
tour de son jardin. Vers sept heures, son
premier repas lui était servi. A huit heures,
autre bouffarde et nouveau tour de jardin.
De bouffardes en tours de jardin et de
tours de jardin en bouffardes, la journée
s'écoulait ainsi, calme, plate, régulière et
quasi symétrique. L'hiver, naturellement, les
tours de jardin étaient supprimés. M. de
Morgenac les remplapait par une visite k la
serre. Et le nombre des bouffardes allait
croissant.
Le comte avait deux filles charmantes
qu'il aimait beaucoup et dont il s'occupait
fort peu. Veuf après huit ans de mariage,
il avait oonfié l'éducation de ses enfants k
une gouvernante,
Dans ce milieu, paisible et froid, la vie
morale aurait tolalement manqué aux deux
jeunes filles, si, par sa pieté solide, la gou
vernante n'eüt développé dans leur coeur le
germe des vertus chrétienues.
Le père n'était ni sceptique, ni foncière-
ment irréligieux. 11 saluait amicalement son
curé mais il écussonnait ses rosiers pen
dant que ses filles allaient k la messe. En
théorie, il respectait infiniment la religion
nous oserions presque dire qu'il la respectait
trop, puisqu'il n'en usait jamais.
Tout sa foi consistait en une sorte de défé
rence extérieure et de pure convention pour
les choses du culte. II était bienséant k
l'égard de Dieu, mais sa déférence n'empor-
tait aucune adhésion manifeste. M. de Mor
genac, du reste, par habitude peut être
autant que par tempérament, aimait ce vague
de l'kme cette indécision perpétuelle do la
volonté, qui, entre le bien et le mal, laissent
tant de gens commodément assisdansle
demi-savoir et Ia demi-vertu.
Calfeutré dans sa petite maison de campa
gne, sans but dans la vie, insensible k toute
lulte de la pensée, M. de Morgenac menait
une existence presque végétative. Son affec
tion pour ses filles se réduisait k quelques
petites attentions aimablesun abime
existait entre lui el ses enfants, car les
cceurs qui ne communient pas dans la même
foi peuvent éprouver des attractions récipro
ques, mais ces sortes d'attractions sont
essentiellement passagères et fugitives. Ges
coeurs-lk s'entretouchent et ne se fondent
pas. M. de Morgenac, par sonindifférentisme
religieux, s'élait done privé des joies pater-
nelles les plus délicates et les plus pures.
Un père qui ne s'agenouille jamais k cóté
de sa fille ne saurait même soupconner la
richesse filiale d'un coeur féminin.
Marie et Agathe de Morgenac dévoraient
en silence le profond chagrin que leur eau-
sait l'indifférence incurable de leur père en
matière de religion. Elles ne s'en étaient
ouvertes k personne. Cependant, leur digne
gouvernante avait pénétré la signification
vraie de cette grande et légitime douleur.
Un jour, avec une délicatesse exquise,
dame Berthe proposa aux deux jeunes filles
une pratique de dévotion fort en honneur,
disait-elle, en son pays.
Mes enfants si vous le voulez bien,nous
prendrons entre nous trois l'engagement de
prier d'une tagon constante et suivie pour la
conversion de la personne dont le retour k
Dieu nous est le plus cher.Toutes les fois que
l'horloge tintera, de huit heures du matin k
midi, l'une de nous fera k Jcette intention
une courte invocation mentale. L'autre re-
prendra ces invocations de midi k quatre
heures du soir. Enfin, la troisième, de quatre
heures du soir k huit heures.
Un éclair de joie brilla dans lesyeuxdes
deux jeunes filles. Ges trois femmes s'ëtaient
comprises.
Pendant quatre ans, elles prièrent sans
jamais se communiquer le nom de la person
ne pour laquelle elles priaient ainsi. Une
même pensée les unissaitle salut éternel
du comte de Morgenac.
As-tu fait ton bout de chaine disait
parfois Agathe k Marie.
Oui, répondait celle ci et vous, dame
Berthe
Je crois même que j'ai doublé lechatnon
reprenait le gouvernante.
Ah voilk bien les femmes s'écriait
le vieux comte.Ellesne parient que des chat-
nes et des chainons de broderies.
Les trois femmes souriaient doucement
M.de Morgenac rallumait sa pipe et la chaine
de prière continuait k s'allonger.
Elles avaient donné le nom symbolique
de chaine k cette invocation ardente,
perpétuelle, continue, que, silencieuses,
elles murmuraient pour le salut de l'kme
8incèrement aimée.
N'était-ce pas, en effet, une chaine de
prières reliant la terre au ciel
Le comte ne se doutait guère de leur
pieuse industrie.
Cependant, la cognée de Dieu était k
l'arbre endurci...
Un dimanche matin, M. de Morgenac fit
toilette et se rendit k la messe, au grand
étonnement des trois femmes. Elles ne
manifesièrent, cependant, aucune surprise et
sagement continrent l'allégresse dont elles
étaient pénétrées.
Quelque temps après, M. de Morgenac
suivait une retraite prêchée par un mission-
naire dominicain.
Enfin, par un beau jour de Pkques, le
comte s'approchait de la table eucharistique
k laquelle, depuis plus de trente ans, il ne
s'était point assis.
La chaine avait pris dans ses mailles le
cceur d'un indifférentelle ramenait un
coeur d'or k Dieu. Une kme en torpeur
recouvrait la vie.
S il y eut ce jour-lk beaucoup de joie dans
le ciel, il yen eut également beaucoup sur
la terre. Agathe, Marie, dame Berthe et le
bon vieux curé de L***chantèrent, je vous
l'assure, 1'Alleluia pascal du plus grand
cceur
Le comte de Morgenac ignora toujours
l'ceuvre pieuse de ses filles et dedameBerthe.
Mais, dans leur reconnaissance envers Dieu,
les trois femmes firent part k plusieurs de
leurs amies de l immense grkce obtenue.
Peu k peu l'usage de la chaine, s'établit
dans plusieurs chkteaux de Bretagne el de
Normandie, les guerres du premier empire
n'avaient que trop fait pénétrer le poison
mortel de l'indifférenlisme religieux parmL
les chktelains campagnards qui avaient suivii
Bonaparte.
Actuellement au sein d'un certain nombre
de families de Haute Normandie, sans trop
connaltre l'origine de cette coutume, on fait
la chaine entre femmes, toutes les fois qu'un
membre de la familie, fils, père, ou époux,
oublie sa naissance ohrétienne et ses dévoirs
religieux.
L'année dernière,je garantis l'authen-
ticité du fait,un de mes amis du Havre
se rëconciliait avec Dieu après vingt ans d'in-
différence ses deux filles et sa femme
faisaient, depuis sept ans la chaine autour de
son kme.
(Univers.) Edouard ALEXANDRE.