ORGANE CATHOLIftUE
DE L'ARRONDISSEMENT
CATASTROPHE
DE COURRIÈRES
TELEPHONE 52
Mercredi 14 Mars 1906
10 centimes Ie N
SOÜSCRirTlON
la Catastrophe de Courrières
1212 Victimes
Spectacle de désolation
1212 Victimes
Q*4
Un s'abonne rue au Beurre, 36, a Ypres,
et
A i'oecasion (lil Carême, des ser
mons francais sont prêcbés par le
Reverend Père Hoffmann des Frères
Prêcheurs, tous les jeudis, jusqu'au
5 avril, en l'E^lbe de Saint-Nicolas,
pendant le salut de 5 1/2 heures.
au profit des families sinistrées de
L'amoneelleuient des cadavres
Les causes de la catastrophe
Les resprnsabilités et fi s pertes
k tous les bureaux de poste du royaume.
a reconnaissance des victimes
17 sauveteurs ont péri
25 mineurs westphaliens
La première tentative échoue
Une seconde tentative rétssit
Lugubre besogne
JOURNAL
-jr.
Le JOÜRNAL D'YPRES parait le Mercredi et le Samedi.
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pour tout le pays pour l'étranger ie port en sus.
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Le Chanoine De Brouwer, CuréDoyen
d'Ypres 25.oo
M. Colaert, Représentant et Bourg-
mestre d'Ypres 23.00
M. Struye, Echevin a5.oo
M. Fraeijs, Conseiller provincial 25.00
C'en est fait 1 L'épouvantable destin s'est
accompli. Les douze cents mineurs ensevelis
vivants dans les mines de Courrières ont
exhale, dans une effroyable agonie, leur
dernier soupir 1 Plus d'espoir d'en sauver
un seul 1 Tous sont morts aujourd hui, et
les galeries de Sallaumines, de Méricourt,
de Billy sont transformées en atroces char-
niers. Quelle douleur m'e'treint le ccuur au
moment oü je vous télégraphie cette affreuse
nouvelle 1
Nous avions espéré durant toute la nuit.
Infatigables, les sauveteurs ont fait l'impos-
sible pour se frayer un passage a travers les
galeries encombrées de décombres, infestées
de gaz irrespirables. Leurs efforts ont été
stériles. La mort a fait son oeuvre.
Depuis dix heures du matin, les signaux
que faisaient les désespérés en donnant des
coups de pic sur les conduites d'air compri
mé ont cessé de se iaire entendre. On a beau
prêté l'oreilie, écouter avec attention. Le
silence s'est fait. Nous ne marchons plus sur
un sol dans lequel des misérables balètent et
suffoquent; nous marchons sur un cimetière!
Horreur et douleur
Hier, ces carreaux de mine étaient bour-
donnants comme une ruche. Les mineurs
descendaient dans les fosses, joyeux a la
pensée du dimanche prochain et du repos.
C'est de leur derniersommeil qu'ils dorment
aujourd'hui, a deux et trois cents metres
sous terre, les membres tordus et calcinés.
Et toute une province de France est en lar-
mes, et le pays tout entier,du Nord au Midi,
en apprcnant cette horrible nouvelle,a frémi
d'épouvante, a tressailli de pitié, et le deuil
qui frappe des mill) ers de families a été si
soudain et effroyable que la nation tout
entière y a pris part et que ce deuil est deve-
nu véritablement un deuil national.
Ce matin, a 5 h.,j étais debout et je partais
pour Sallaumines, ou j'arrivais au petit jour,
un jour gris et funèbre. Aux portes du car-
reau des mines, gardées par des gendarmes a
cheval, la foule se pressait, toujours silen-
cieuse.Ces pauvres gens avaient passé la nuit
la, debout, sous la pluie, espérant assister au
sauyetage des sinistrés. Hélas on ne sortait
du trou béant de la mine que des cadavres
Au moment oü nous arrivons au n° 10,
deux mineurs sortent du trou, portant un
porion couvert de suie et qui défaille,
hébeté. Cet homme murmure C'est
affreux I affreux
C'est un sauveur qui, descendu dans le
puits, a reculé d'horreur en apercevant,. en-
chevêtrés, 5o cadavres devant lui,et il pleure,
et il s'écrie Je reviens des en/ers
Voila qu'on ramène du fond des cadavres.
Spectacle épouvantable Aucun de ces corps
n est entier.Ce nesont pas des hommes qu on
retire de cette fosse, ce sont des troncs, des
bras, des jambes, des têtes. On enveloppe
rapidement ces débris dans des draps que
1 on renferme vite, comme des paquets.- On
place le tout sur une civière que des gendar
mes portent a la lampisterie, transformée en
dépot mortuaire.
Avec les ministres, je suis entré dans ce
dépot. Une horrible odeur me fait d abord
reculer. J'entre tout de même et, dans les
galeries, je vois, les uns a cöté des autres,
dans leurs linceuls, les cadavres et les mor-
ceaux de cadavres. M. Gauthier, ministre
des travaux publics, s'incline et soulève lun
des linceuls il s'arrête, horrifié. C est un
amas de charbons sanglants, des os ensang-
lantés, qu'il a sous les yeux.
A la porte du dépot, deux femmes en
larmes sont installées, 1 une auprès d une
haute pile de draps, l'autre tenant un caap
ouvert dans les mains pour recouvrir les
cadavres, au fur et a mesure de leur arrivée.
Le spectacle est si tragique que les gendar
mes eux-mêmes portent leurs mains a leurs
yeux pour essuyer leurs larmes. Et le défilé
funèbre se poursuit. II y a déja plus de cent
cadavres, de dix en dix minutes, continuent
a arriver. Oü les placera t-on ;tout a 1 heure
M. Petitjean, ingénieur en chef de la
mine, raconte ainsi ce qu'il sait
Le feu setait déclaré lundi, dit-il il
avait pris dans les madriers, probablement a
la suite d'une imprudence d'un ouvrier il
s'était communiqué au charbon des parois.
On avait combattu ce commencement d'in-
cendie avec succès. Mercredi, je jugeai utile
de boucher toutes les issues a ce feu. qui
devenait dangereux. Je fis édifier des murs
de chaque cóté des galeries. On fait toujours
ainsi pour étouffer les incendies des mines.
Dix minutes avant l'explosion, j'étais dans
la mine,et )e vérifiais l'état des murs. II était
parfait, et je remontai, assuré qu'aucun
accident n'était possible.
Que s'est-il passé? Des gaz violents ont-ils
fait pression sur les mines? Des fissures se
sont-elles produites A coup sür, 1 air exté
rieur s'est mêlé aux gaz comprimés, ce qui a
produit une conflagration. La détonation a
été terrible de galeries en galeries, elle s'est
répercutée, brisant les puits, tuant les mi
neurs, et des éboulements ont séparé les
galeries les unes des autres, et des ouvriers
qui auraient pu fuir en ont été empêchés
par un mur se formant soudain devant eux.
Les ingenieurs furent au premier rang des
sauveteurs, et depuis samedi matin, aucun
d entre eux ne s'est reposé. Un seul n'a pu
prendre part au sauvetage, et c'est paree
qu'il est mort au milieu des ouvriers, comme
un officier a la tête de ses soldats
Un d'entre ces ingénieurs dit que les statis-
tiques placaient les mines de Courrières
parmi les moins dangereuses. Les ingénieurs
inspecteurs signalaient ces mines comme trés
TM
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coütent30 centimes la ligne. Les inventions judiciaires, 1 franc 'a ligne. Les
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bien entretenues, et leurs mineurs comme
des protégés. L'exploitation s'étend sur
5,459 hectares. Elle compte treize puits le
n° 1 a Courrières, puits de retour d'air les
n"s 2 et 10 a Billy les nos 4, 5 et 11 a Sallau
mines le n° 6 a Fouquières le 7, a Mau
rice; le 8, a Courrières le 9 a Harnes le 3
a Méricourt; le 12 et le i3 sont en creuse-
ment a Sallaumines.
Le personnel se compose de 6,848 mi
neurs de fond, de 1512 de jour, et de 3oi
employés. La production était de prés de
2,5oo,ooo tonnes de charbon par an. La
compagnie au capital de 6 millions avait émis
60.000 actions de 100 francs. Ces actions
valaient, en 1902, 2,428 fr., et elles avaient
beaucoup monté depuis.
Au point de vue de la responsabilité ma-
térielle de la Compagnie, elle se chiffrera,
me dit-on, par plus de i,5oo,ooo par an de
rentes a verser aux veuves et aux orphelins.
La mine n'était pas assure'e pour les accidents
du travail. Les actionnaires sont done res-
ponsables matériellement, de par Ia loi de
1898.
On fait observer que les puits 2, 3 et 4
étaient, a la fois, puits de descente et de
retour d'air, alors que les puits devraient
être tous doubles, un pour l'aérage et un
pour le retour d'air. L'aération se fait par
un tuyau séparé du puits principal par une
cloison en planches. Les cloisons ayant été
démolies. obstruent l'entrée des puits. Ces
dernières considerations, que les ouvriers
mineurs ont émis un peu partout,ont ému la
population, qui va les répétant de bouche en
bouche. II en résulte une certaine effer
vescence.
Lens, 13. La Compagnie des Mines de
Courrières donne comme chiffre officiel des
disparus
A la fosse N° 1
N"2
N° 3
638
451
123
1212
Ce qui fait un total de
immense désolation
Une tristesse dont les témoins oculaires
seuls peuvent apprécier la prolondeur règnj
dans toute la régiou oü la lorée est nom-
breuse. i'artout des femmes pleurent silen-
cieusement; des hommes stationnent comme
engourdis et, n'était la douleur qu'on devine
chez eux, ou les prendrait pour des rêveurs.
Les losses elles mêmes sont engourdies; on
u entend pius le halètement des machines
tout travail, même de sauvetage, est suspen-
du.
A la losse n° 2 le ventilateur seul fonc-
tionne pour renouveler l'air dans quelques
galeries épargnées par les éboulements, le
puits lui-même est d'ailieurs obstrué etil ne
faut pas songer a le déblayer pour l'instant,
pas plus du reste que celui de la fosse n° 3.
L air refoulé par le ventilateur jusqu'au
jour est encore aujourd'hui chargé de gaz.
On ne peut le supporter, fut-ce même un
instant.
On cite une femme dont trois enfantssont
dans la fosse. Un père a échappé au fléau,
mais trois de ses tils y sont morts. Une fem
me habitant le l'ont-de-iSallaumines a son
mari et ses quatre enlants restés au fond du
puits n" 4.
Enfin,et ceci dépasse toute horreur,
on cite un homme dont quarante-cinq
patents: fils, frères, beaux-frères et cousins
soDt morts au puits nc 3.
Dans la lampisterie, les cadavres sont
éteudus sur deux rangs ils sont une tren-
taine.
Aujourd'hui la population pénètre dans
cette salie pour chercher les siens, mais la
reconnaissance est pour la plupart presque
impossible. De pauvres victimes n ont plus
de tête beaucoup sont carbonisés et pres
que tous sont nus. La figure a conserve
l'horrible grimace des affres de la mort, et
la position du torse et des membres indique
suffisamment les tortures endurées par ces
malheureux. Un homme croit reconnaitre
sou frère dans un cadavre. II hésite; il n'ose
se prononcer tant le cadavre est défiguré.
D autres sontscalpes. Peu sont reconnus.
Ceux qui le sont, sont placés dans des eer-
cueils. Ceux-ci sont immédiatement enlerés
et remplacés par d'autres.
Depuis 9 h. du matin une trentaine de
cadavres ont été reconnus. Des voitures
remplies de cercueils vides arrivent, tandii
que d'autres repartent chargées.
Depuis hier on a cessé de retirer les corps
des losses, i'atmosphère étant devenueinsup
portable. II est trés dangereux de s'y aven-
turer. Dailleurs 17 sauveteurs ont péri. 11
est encore impossible de dire avec précision
le nombre des victimes car on ne conn&it
pas exactement le chiffre des descentes de
samedi dans les puits.On exprime la crainte
que le total dépassera les prévisiong actuel-
les.
qu'accompagne un matériel de sauvetage
spécial sont passés a Lille ce matin se
rendant sur les lieux de la catastrophe.
Les sauveteurs allemands
Cet après-midi l'équipe des sauveteurs
allemands a fait tentative de descente a la
fosse n° 2, mais elle n a pu réussir malgré
la perfection des appareils spéciaux em
ployés.
Tout espoir de retrouver maintenant des
vivants est abandonné.
On apprend maintenant que les sauve
teurs allemands avaient été envoyés par
l'Association des houillères allemandes qui
avait refu une demande télégraphique du
comité des Houillère3 de France qui avait
été lui-même sollicité par la compagnie do
Courrièies.
Une autre tentative faite par l'équipe de
sauveteurs arrivée aujourd hui a donné des
résultats merveilleux. Grace a leurs efforts
et a leur méthode de travail, ils ont pu,
après être descendus par le puits n° 3, par-
courir les galeries. A 11 heures du soir ils
avaient pu avancer de 800 mètres qu'ils
ont déblayés des cadavres en pleine putré-
faction qui s'y trouvaient.
Leur travail a été rendu difficile par les
cadavres des chevaux qui encombraient les
galeries et qu'ils étaient obligés d'enjamber
avec les civières chargées de morts. lis vont
recouvrir ces chevaux avec de la chaux.
Une première équipe de 8 sauveteurs est
descendue i 6 heures et n'est remontée qu'i