H1 YPRES, Dimanche. PREMIÈRE ASXÈE. Hfr 18. 23 aoüt 1863. ■©I Le Journal paralt le dimanche de chaque semaine. Laissez dire, laissez-vous blJmer, mais publiez votre pensee. YPRES, S3 a«ut 3863. La liberté de la presse. Dans noire nunaéro de dimanche dernier, nous avons signalé les dangers de la situation faite a la presse par les récentesdécisionsd'une jurisprudence êvidemment hostile et qui semble s'étudier a ré- trécir de jour en jour le domaine de la libre discus sion. A l'heure menie oü nous écrivions ces lignes, 3e tribunal de Charleroi rendait un jugement dont la portee ne tend a rien moins qu'au rétablissement de la censure, c'est-a-dire a l'anéantissement de la li berté de la presse. Disons dansqueliés circonstances ce jugement a été rendu. Lors des dernières élections générales, le Journal de Charleroi publia un article dans lequel M. Syl- vain Pirmez, candidal pour le Sénat, se prétendit désigné et outrage. Assigné de ce chef devant le tribunal civil, l'éditeur-pröpriétaire du journal fit connaïtre l'auteur de l'article incriminé et. sur la dé- claration conforme de ce dernier, l'éditeur demanda sa mise hors de cause, conformément aux, termes de l'article 18 de la Constitution, ainsi concu Lorsque l'auteur est connu et domicilie en Belgi- que, l'éditeur, l'imprimeur ou lc distributeur ne peut être poursuivi. En présence d'un texte aussi clair, aussi précis, le doute, ,semble-t-il, n'était pas permis lediteur- propriétaire' du journal devait être renvoyé du dé bat. Que fait cependant le tribunal de Charleroi? il rejette les conclusions de l'éditeur et le condamne solidairement avec l'auteur a payer a M. Pirmez une somme de 1,500 fr. a titre de dommages-intérêts. Laissons un moment de cötó les arguments spé- cieux imaginé's par le tribunal pour étayer sa thèse incbnstitutionnelle; supposons cette thèse admi.se en appel et sanctionnée ensuite par la cour de cas sation il est clair que la liberté de la presse acessé d'exfster en Belgique et que nous entrons dans un régime de compression et de prevention inconnu même en France, dans le pays de la cénsure et des avertissements. Qu'est-ce que la liberté de la presse? C'est apparemment la liberté de mettré au jour, par la voie de Fimprcssion, ses idéés, ses opinions sur toutes sortes de matières, sans être oblige de les soumettre a une censure. Ce qui la caractérise essentiellement, c'est l'absence de tout obstacle, de toute mesure preventive qui pourrait enchaïner ou diminuer la liberté de Fécrivain. Ces obstacles sont de diverses natures, mais pour rester dans le sujet qui nous occupe il est clair que l'un des plus sérieuxgit dans larésistance que Fé crivain peut avoir a craindre de la part, soit de l'éditeur, soit de l'imprimeur. II serait superflu de démontrer qu'il n'y a plus de liberté pour Fécrivain, dès qui! est oblige de sóumettre son oeuvre a la cen sure de ceux qui sont chargés par lui de l'imprimer et de la publier. La censure exercée par le pouvoir peut quelque- fois s'allier, dans une eertaine mesure, avec la liberté de la presse. Ainsi, par exemple, nous avons vu, a de certains moments, les journaux franigais jouir d'une liberté relativement très-étendue, en dépit de la censure d'Etat. Pöurquoi? Paree que, dans ces moments, l'opinion publique, vivement surexcitée par l'un ou l'autre événement, abritait, en quelque sorte, ie journal sous sa puissance et qu'il y eüt eu danger pour le gouvernenlent a sévircontre lui avec trop de rigueur.La censure alors se faisait toute bé- nigne, toute petite, sauf, l'émotion passée, a revenir a ses anciennes sévérités. Disons-le, d'ailleurs, l'o pinion publique exerce partout aujourd'hui, même dans les pays les moins dotés sous le rapport de la liberté, une influence morale qui contraindra tou- jours le pouvoir a rester dans ies limites d'une eer taine modération. A défaut de garanties constitu- tionnelles, la presse, dans ces pays, trouve un con- trepoids aux défiances du gouvernement dans la liberté de fait que lui assure le mouvement de l'opi nion. II n'en est pas de même de la censure exercée par l'éditeur ou l'imprimeur, Celle-ci estabsolument saus contrepoids et échappe a tout controle. L'édi teur, l'imprimeur refusenpde s'associer a la publi cation d'une oeuvre quelconque, livre ou journal, qui pourrait les expöser soit des poursuites cri- minelles, soit a des reparations pécuniaires. Ilspeu- vent se tromper, mais, a coup sur, eux seuls sont juges de ce qu'ils out a faire et personne ne peut trouver mauvais qu'ils s'abstiennent, dès qu'il y a un danger a courir, si petit qui! soit. Loin de les blamer de leur circonspection, les gens sages ne pourront que les approuver. 11 faut done reconnaitre, et nous ne pensons pas que cela puisse être contesté, que cettc espèce de censure présente, au point de vue de la liberté, des inconvénients, des dangers tout aussi graves, plus graves même que la censure exercée par le pou voir. Lc Congrès national avait aboli la censure publi que; il voulut compléter son oeuvre d'affranchisse- ment en décrétant i'irresponsabilité colnplète, ab- solue, deséditeurset des imprimeurs, seul moyen de soustraire Fécrivain a leur eontróle. De Ia, l'arti cle 18 de la Constitution dont nous avons reproduit plus haut le texte si précis et si formel Et cette irresponsabilité est absolue: elle s'étend aux reparations civiles comme aux poursuites civi- les Dans aucun cas, dit l'article 18, l'éditeur ou l'imprimeur ne peut être poursuivi, Ces principes ont-ils été méconnils par le tribu nal de Charleroi? Non pas direotemenL Chose a peine croyable, il les affirme, au contraire, de la manièbè la plus catégorique En présence de la reconnaissance faite par l'auteur, dit le juge- ment, M. Des Essarts doit être mis hors de cause en sa triple qualité d'éditeurd'imprimeur et de propriétaire au journal. II reconnait formelle- ment que l'article 18 de la Constitution fait ob- stacle a ce que l'éditeur ou l'imprimeur soit l'ob- jet de poursuites civiles ou répressives du chef de délits ou quasi-délits commis par la presse. La conclusion iogique de ces premisses, c'est ap paremment que M. Des Essarts va être renvoyé des poursuites et que celles-ci continueront contre l'au teur seul? Eh bien, non. M. Des Essarts sera main- tenu en cause et condamné solidairement avec l'au teur, paree que ce dernier, rédacteur habituel et salarié du journal, doit être considéré comme le préposé de M. Des'Essarts et que celui-ci, a titre de commettant,doit répondre du fait de son préposé. Le raisonnement 'n'est-il pas admirable? M. Des Essarts, éditeur, imprimeur, propriétaire du Journal de Charleroidoit être mis hors de cause; mais, M. Des Essarts, commettant de l'auteur, son préposé, doit être maintenu au procés! En vérité, c'est a n'y rien-comprendre. Car enfin, a quel titre M. Des Es- -sarts peut-il être considéré comme lc commettant de l'auteur, si ce n est prëcisément en sa qualité d'éditeur et de propriétaire du journal Serait-ce paree que M. Des Essarts salarie son rédacteur? Mais le fait- d'avoir salarié l'auteur d'un écrit ne peut, dans aucun cas, constituer un délit ou un quasi-délitaussi longtemps que eet écrit n'a pas été livré a la publicité. Cela est élér mentaire. Qr la publicité donnée a l'écrit ap- partienttout entière a l'éditeur, et si celui-ci,comme le reconnait le tribunal lui-même, ne peut être poursuivi a raison du fait direct qu'il a posé et qui, seul, donne naissance au délit ou au quasi-délit comment pourrait-il 1'être a raison du fait d'autrui, fait innocent par lui-même et qui n'a pu devenir coupable que par la coopération ~de l'éditeur, que l'on declare irresponsable? Mais a quoi bon discuter de pareilles arguties? II est par trop évident que Ie tribunal de Charleroi,en établissant une difference entre l'éditeur qui salarie et l'éditeur qui ne salarie pas, a créé une distinction tout arbitraire, répugnant a la fois au texte de la Constitution, a son esprit et aux notions de la saine raison. Mais ce qu'il importe de relever, pour l'hon- neur de la presse,c'est cette méprisante qualification de préposés que le tribunal nous applique tous avec une urbanité de langage qui donne la mesure de Festime qu'il professe pour ie journalisme. Le préposé, si nous comprenons bien le langage du droit, c'est l'homme aux gages d'autrui et payé pour faire ce que son maitre lui commande dans" l'ordre desfonctions qui lui sontconfiées par celui-ci. Si cette definition est rigoureusement exacte, et nous la croyons telle, les rédacteurs de journaux ne sont pas autre chose, auxyeux du tribunal de Charleroi, que des écrivains salariés pour écrire ce que le pro priétaire du journal leur commande; c'est bien la la pensée du tribunal, car du moment oü il admet que Fécrivain jouit d'une eertaine liberté,tout son péni- ble raisonnement crouie Fécrivain n'est plus un préposé, dans le sens juridique du mot. Eh bien, nous le disons sans amertume, mais avec une conviction sincère, il est profondément regret table que de pareilles idéés aient cours dans une eer taine partie de la magislrature et trouvent a se for- muler jusque dans lesdécisionsdes tribunaux. Outre qu'elles sönt souverainement injustes, ces idéés ont le tort de porter l'empreinte d'un sentiment d'hosti- lité et de dédain pour la presse dont toutes les ames amoureuses de la liberté doivent se sentir blessëes. Si la presse cède parfois a des entrainements irré- flëchis et passionnés, si tous ses enfants ne sont pas également pups et irréprochables, elle participe en cela de l'imperfection inhérente toutes les in stitutions humaines, mais elle n'en est pas moins digne d'estime et de respect. Les hommes d'aujourd'hui ne sont déjü que trop enclins, d'ailleurs, a eroire a la vénalité des con sciences, a la vénalité du juge comme a celle de Favocat, a la vénalité du prêtre comme a celle de Fécrivain. Craignons d'accréditer ces erreurs délé- téres,poisons de l'esprit et du coeur, qu'ils finiraient par gangrener tous deux. L'erreur a aussi sa Iogi que Quand il ne croira plus a Findépendance du journaliste, le monde sera bien prés de douter de l'incorruptibilité du juge, Au nom de la liberté de la presse, au nom de la dignité de Fécrivain, nous protestons contre Ie juge ment rendu par le tribunal de Charleroi. Bes barrières et de ieur abolitieu. in. Nous Ie disions dans' un précédent numéro, la suppression des barrières est dans tous les voeux, paree que les griefs éïevés contre elies sont sérieux et graves. Lorsque,dans un pays oü le peuple fait lui-même la loi, une institution est con- damnée par tous, elle est bien prés de disparaitre. Et a moins de prétendre ce que personne n'ose- rait que la suppression des barrières est impos sible, on ne peut plus accorder a cette institution surannée qu'une bien courte existence. Cependant et c'est la le nceud gordien il ne suffit pas de supprimer, il faut remplacer, et par quels moyens? Le trésor public qüi est sans contredit l'insti- tution malmenée entre toutes, paree que chacun veut en retirer plus qu'il n'y verse s'oppose a la suppression pure et simple ae la taxe, sans compen sation. II exige qu'en retirant de ses caisses deux On s'abonne ii Ypres au bureau (In Journal chez Félix Iomviv, imprimeur-libraire, rue de Dixmude, n° So, et a Bruxelles chez l'éditeur.Prix d'abonnementpour la Bclgique 8 fr. par an; 4 fr. 50 t. par semestrepour l'étranger le port en sus. ,Un numéro 25 e. Prix des Annonces et des Réclames :10 c. la petite lignc; corps du journal ?>0 centimes le tout payable d'avance. On traite a forfait pour les annonces souvent reproduites. Toutes lettres ou envois d'argent doivent ctre adressés fiunco au bureau du journal.

HISTORISCHE KRANTEN

L’Opinion (1863-1873) | 1863 | | pagina 1