La parole! Remontez avec M. Bancel les Ages éva- nouis; essayez de surprendre le premier bégaiement de l'être; ce bégaiement, c'est le trait d'union entre les hommesc est le lien entre la creature et la divi- nitè, lorsque la voix humaine monle vers le ciel, en murmurant la première espèrance. La parole existe avant l'homme même, dit saint Jean elle coexiste avec Dieu Au commencement était Ie verbe et Ie verbe était Dieu. II était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été failes par lui et rien de tout ce qui a été fait n'a été fait sans lui. Ecoutez Victor Hugo, le grand poëte, se rencon- trant avec l'apótre de Patmos Quand, aux jours oü la terre entr'ouvait sa corolle, Le premier homine dit la première parole, Le mot né de sa lèvre, et que tous enlendit, Renconlra dans les cieux la lumière, et lui dit Ma soeur Envole-loiplane! sois èternelle Allume l'astre! emplis A jamais la prunelle! Échauffe élliers. azurs, sphères, globes ardents I Éclaire Ie dehors, j'éclaire le dehors. Tu vas être une vie, et je vais êlre l'autre. Sois la langue de feu, ma soeur, je suis l'apótre. Surgis, effare l'ombre, éblouis l'horizon, Sois l'aube je te vaux car je suis la raison A toi les yeux, a moi les fronts. O ma soeur blonde, Sous le réseau clarté tu vas saisir Ie monde; Avec les rayons d'or tu vas lier entre eux les terres, les soleils, les fleurs. les loits vitreux. Les champs, les Cieuxet moi je vais lier les bouches Et sur l'homme, emporié par mille essors farouches, Tisser, avec des fils d'harmonie et de jour, Pour prendre tous les coeurs, l'immense toile Amour. J'existais avant l'ame, Adam n'est pas mon père. J'ètais même avant toi; tu n'aurais pu, lumière, Sorlir sans moi du gouffre oü tout rampe enchainé; Mon nom est Fiat Lux, etje suis ton ainé Le Verbe! il est l'ainé de la lumière; on peut dire de lui ce que Lucrèce dit de Vénus f Per te quoniam Se,mis omne animantum ccn- cipiturvisis que exortum lumine solis. Tu donr.es la vie a tous les êtres, toi seule ou- vres leurs yeux a la lumière. Gar la parole est la lumière de l'esprit, c'est l'ou- vrier du Progrès; le silence, ce sont les ténèbres. Un jour vient oü la parole s'incarne dans le livre Ie livre,c'est la photographie de la parole; c'est I'urne oü le verbe repose vivant. C'est a partir du livre que la parole s'appelle véri- lablement Légion. La parole est la gardienne de l'opinion elle est le soldal de la justiceelle est fille de la liberté. Le des potisme ne lui laisse point d'opinion publique a gar- der l'opinion publique, en effet, dans les gouverne- ments absolus. c'est ce qu'on ne dit pas. Mais la parole ne demeure grande, qu'a la condi tion de siinspirer d'nne philosophie élevée et d'une morale austere L'éloquence, disaient les anciens, est l'écho d'une ame passionnée.... passionnée pour Ie vrai, Ie beau et le juste, ajoute M. Bancel. C'est ceite philosophie qui anime Périclès, l'élève d'Anaxagore, commeelle anime Aristide et Thémis- tocle. Les sophisies el les rhéteurs, fils du scepticisme, n'enfantep, que Ie donte; leurs discours sont stériles, comme les vents brumeux de l'automne qui sifilent dans les feuilles dessécliées. Les sophisies sont les pères de la démagogie, cette lyrannie de l'anonyme, qui ne meurt pas. Socrate, Ie juste... Ie saint, les combat avec leurs propres arrnesil forme Plalon, ce charmant oraleur, qui trouve une jo'e maligne a chercher qnerelle a l'éloquence dans son Corgias et n'en est pas moins le matlre d'Ilyperide, dont le temps a dévoré les chefs- d'oeuvre, et du plus grand des orateurs, de Démos- thènes. II fallait Platon, dit d'Agnessean, pour former un Démosthènes, afin que le plus grand des orateurs fit hommage de toute sa réputation au plus grand des philosophes. [La suite au prochain n'). Ribliothèque populaire. Le catalogue de la Bibliothèque populaire a été dis- fribuédimanche dernier pour la première fois. Nous aurions mentionnéce fait avecd'autant plus de plai- sir qu'il était plus vivement altendu, si nous n'avions en même temps a faire des réserves au sujet de la manière arbiiraire dont se fait cette distribution. Nous avons applaudi A l'éreclion en notre ville d'une Bibliothèque de ce genre nous avons fait con- naltre les services nombreux que cette noble institu tion est appelée a rendre a Ia société moderne; nous avons développé les moyens pratiques pour en tirer toule l'utilité possible nous avons tAcbé de propager ces idéés; en un mot, nous avons pris notre part a cette grande oeuvre du xixm' siècle. Cette tache, nous voulons l'accompiir jusqu'a la fin. Nous avons particulièrement insisté. et a diverses reprises, sur la nécessité et le mérite d'un catalogue comme seul moyen de connaitre les ouvrages utiles A la foule a qui ces collections sont destinéec. Aujour- d'hui ce catalogue est imprimé, distribué même. mais aux ouvriers seuls, a ceux appartenant A la classe laborieuse. Nous admettons que l'inslitution même s'adresse A l'onvrier, A celui qui n'a recu qu'une ins truction primaire, a celui enfin que le sort n'a point favorisé de la fortune. Mais, sous ce prétexte, est-il juste d'exclure de ses bienfaits toute une classe d'in- dividus? D'ailleurs, est-ce bien A l'ouvrier, A celui qui n'a que fort peu lu, fort peu appris ou dont l'ins- truction est tombée en désuétude, est-ce bien a lui de juger sainement de ce qui peut lui être utile parmi cette nomenclature sèche d'ouvrages variés? Nous ne le croyons pas. Un catalogue ne dit rien, c'est une oeuvre aride, un vrai dédale pour qui n'a recu une instruction assez élevée, et ce sont la des merles blancsdansla classe ouvrière. C'est done A d'autres, A ceux qui dans une position plus aisée de fortune, ont recu une education plus compléte, A ceux qui ont pris a coeur cette noble mission de s'occuper des besoins du peuple, c'est A ceux-lA qu'inoombe cette tache. C'est A eux qu'il appartient de déterminer la valeur morale d'un livre et d'indiquer celui qui pourra être le plus utile, le plus intéressant, le plus agréable même. Et n'avons-nous pas tous, grands et petits, une certaine classe d'individus sous notre in fluence; n'avons-nous pas tons des hommes A con- seiller, A instruire, artisans ou domestiques, parents ou amis? Eh bien! A ceux-la, composant l'élément intelli gent de la société, le catalogue est refusé sans une autoris,alion préalable, sans un billet écrit du collége des bourgmestre et échevins ou d'un membre du Conseil. Que si maintenant, la libéralité, tendant une main génèreuse, vent apporter une modeste pierre a l'achèvement de ce nouvel édifice de l'ordre social, n'est-il pas nécessaire qu'on sache ce que la Biblio thèque possède et ce qu'elle ne possède point? Bibliothèque populaire! Mais c'est la Bibliothèque du peuple et le peuple c'est tout le monde; et il doit y avoir la aussi, en dehors des ouvrages d'arls et de métiers, des livres de morale, d'histoire et de scien ces qui intéressent toutes les classes de la société. Craint on qu'il ne se présente trop de solliciteurs, quand plus de 500 catalogues s'étalent pompeuse- ment sur les rayons? Craint-on que nous ne démontrions quelque jour, le catalogue a la main, qu'il y a beaucoup et qu'il n'y a rien Encore une fois, cette exclusion est arbitraire, in- juste même, et nous ne croyons pas que telle ait été l'intention de nos éddes, en autorisant la distribution du catalogue de la Bibliothèque populaire. Nous recevons d'un de nos correspondents l'article qui suit, dont nous recommandons surtout la lecture A M. Arthur Vancoppernolle, ainsi qu'a ses conci- toyens Monsieur l'éditeur, J'ai a vous entretenir aujourrl'hui d'un fait inqua- lifiable qui s'est passé dernièrement, dans une com mune importante d'un pays limitrophe. Par suite d'infirmités, le commissaire de police de la commune susdite s'était démis de ses fonctions; ainsi qu'il arrive toujours en pareille occurence, une foule de postulants solIicitérent la place devenue va cante. Parmi ceux qui semblaient réunir le plus de chances de succès, se trouvaient deux honorables ha bitants de la localité. Le premier, ayant eu des revers de fortune, avait dü abandonner une position hono rable et se trouvait sans ressources. II demanda l'ap- pui du maire ainsi que de l'adjoint, chargé de ['admi nistration de la police, et se rendit ensuite chez dif férents conseillers municipaux afin de solliciter leurs suffrages. Partout on lui promit d'appuyer sa can didature, en lui affirmant qu'on votemit pour lui. M. Ie maire surtout, ainsi que son adjoint, firent la promesse formelle (et d'uned'user de toute leur in fluence en sa faveur. Vers la même époque, se prèsenta le second can- didat cité plus haut. Ce dernier, homme ferme, ins- truit, d'une conduite irréprochable et jouissant de l'estime et de la sympathie de tous les habitants, sans distinction de couleur politique, semblait appelé par l'opinion publique A remplir les délicates fonctions du commissariat. A son lour, il fit des démarches auprès du maire et de plusieurs conseillers; chose ineroyable, les mêmes hommes qui avaient formellement, garanti au premier candidal, pavèrent le second de la même monnaie en lui promettnnt aussi de voter en sa fa veur (et de deax Bref, nos deux candidats ayant confiance ehnoun de son cêté. dans la loyauté et la bonne foi de leurs protecteurs mutuels, se croyaient assures du suc cès. Quelque temps après, M. le maire re$ut une troi- sième visite, celle de Mle doven. II faut savoir que noire premier magistrat est député au Corps lé- gislatif, oü il brille par sa nul li té devenue prover- biale et qu'il est tout A la devotion du cle'-gé, dont il est un des pantins les plus doeiles. (Quel est ce mó- sieu? dirait Van Coppernolle. Poser la questionc'est la résoudre, car le lect.eur l'a déja nommé.) Or done. M. le doyen remplissait une sainte mission il venait recommander A M. Ie maire, un jeune étranger au- quel il s intéres=ait beaucoup et qui, selon lui, avait des titres nombreux A l'obtention de la place de com missaire; il fit valoir surtout que son protégé tra - vaillaitchez l'editeur du principal organe c!érico-po- litiquedu pays. M. le maire, s'inclinant respectueu- sement, dit au doyen que ses désirs équivalaient A des ordres et lui promit formellement (et de t.rois)Ae faire nommer son protégé. Enfin le jour est arrivé Le cénacle s'asseinble sous la présidence de M. le maire-député, le choix de ce dernier s'étant définiti- vement fixé sur le candidat du doven, il s'agit main tenant de faire partager cette preference par MM. les conseillers et de leur faire parjurer la parole donnée. Mais ceci n'est qu'un détailinstrument docile du clergé, il se rappelle certain mandement fameux'qui disaitque Ie choix des moyens n'est que chose ac cessoire pourvu que tout soit ad majorem Dei glo- fiamce qui signifie, en langage vulgaire, pourvu qu'on puisse en tirer profit. M. le maire ouvre la séance par un éloge pompeux de son candidat; comme preuve A l'appui, il exhibe un certificat délivré par le doyen, oü il est constaté que son protégé fréquente avec assiduité les services religieux, qu'il va régulièrement A confesse, que dans les processions il porte pieusement un cierge, ce qui est la meilleure arme entre les mains d'un agent de la force publique. Nos édiles, émns jusqu'aux larmes A l'énumération des vertus et qualités de ce candidal, oublient tous leurs engagements antérieurpment pris et répondent a l'allocution de M. le maire par des applaudissements approbatenrs. Un conseiller ose cependant risquer une timide ob servation il dit que dans le choix que l'on va faire, on devrait tenir comptede l'opinion publique qui se déolare ouvertement et unanimement pour un autre postulant; que du reste, le candidat patroné par le maire est un étranger dont on entend pour la pre mière fois prononcer le nom. M. le président, en Jupiter tonnant, foudroie de son regard le mortel assez téméraire pour faire entendre cette note discordanlenos honorables, avec une tou- chante unanimité, opinent du bonnet sans souffler mot et.l'ineident est clos. On procédé au vote. Membres présents, 11 Voici le résultat du scrutin Candidat de M. le doyen, 10. 1. Candidatremplissant les fonctions adintérim, 0. 3. Candidat cité plus haut, f Ces chiffres peuvent se passer de commentaires, ear ils sont plus éloquents que toutes les paroles. Comment, voila un père de familie que l'on berne pendant neuf mois en lui donnant l'assurance que sa nomination est certaineeet homme, sur la foi de fal- lacieuses promesses, refuse un autre emploi lucratif et honorable qu'un cceur généreux lui offrait et con sent a remplir intérimairement les fonctions de com missaire pour lesquelles il ne rejjoit aucune retribu tion eet h'omme épuise ses dernières ressources en attendant cette position si ardemment désirée, et voila que pas un vote, pas un seul, ne lui est accordé C'est indigne I 11 Non content de promettre formellement celui-ci, on prostitue sa parole en s'engageant de nouveau A

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L’Opinion (1863-1873) | 1864 | | pagina 3