taut de motifs d'etre impunément désintéressé, qu'il pro-
voqua la suppression des dimes, et demanda l'applica-
tion des biens du clergé aux besoins de l'Etat. Mais le
plus beau jour desa vie representative fut l'anniversaire
du 14 juiilet. Cette fète nationale fut magnifique. En
presence de la royauté, cliacun y prêta serment a la Na
tion. L'évéque d'Autun célébra la messe sur l'autel de
la patrie,élevé au milieu du Cliamp-de-Mars; il consacra
pieusement l'étendard de la France et les quatre-vingt-
trois bannières des départements et pendant toute la
cérémonie, quel recueillement,quelle componction il est
vrai qu'en montant a l'autel, le patriarclie avait dit a La
Fayette: Ah qa, jevous en prie,ne mefaites pas rire!
A la France monarcliique devait succéder la France
rcpublicaine. M. de Talleyrand aimait trop son pays,
pour ne pas se résigner avec humilité aux mêmes change-
ments. Mirabeau était mort, emportant avec lui les der-
niers débris de la monarchie. La royauté avait été telle-
ment abaissi'e, qu'elle avait perdu jusqu'au droit d' avoir
peur et de s'enfuir. M. de Talleyrand s'improvisa répu-
blicain
Si la Revolution de 1793 avait pu être dominéé parle
génie de l'intrigue.M. de Talleyrand l'eüt certainement
dominéé. Mais dans cette époque remplie par la lutte de
tant de grandes et terribles passions, quelle place pou-
vait-il y avoir pour ces conspirations de boudoir, pour
ces artifices de ruelles dont se compose le génie des
hommes de cour? Le röle de M. de Talleyrand, devenu
Talleyrand tout court, fut done très-obscur pendant
toutes ces agitations. L'avènement de Bonaparte aucon-
snlat le rappela sur la scène. Malheureusement, Bona
parte était homme a la remplir tout entière, et pendant
le drame étonnant du consulat et de 1'empire, M. de
Talleyrand eut bien de la peine a se distinguer, autre-
ment que par sa servilité, de la foule des comparses.
Enfin Napoléon tomba, M. de Talleyrand avait eu
soin d'encourir sa disgrace le jour oü il avait vu chance-
ler sa fortune, Les uns ont appelé cela de la penetration,
les autres de la Idcheté.
Quoi qu'il en soit, un jour (et dans quelle ame fran-
caise ce souvenir n'est-ilpas resté les puissances li-
guéescontre la France entrèrent dans Paris. La France,
a cette époque, étendait au loin ses limites. Le Rhin
commencjait et linissait sur son domaine 1'Italië était
sous ses lois, elle était plus grande que n'aurait osé la
rêver tout l'orgueil de Louis XIV. Eh bien au bout de
quelques jours, son territoire'sur le papier se trouvait
réduit de moitié. Deux traits de plume avaient eu rai-
son du génie militaire de la république, continué par le
génie militaire de Bonaparte. Et pour indemniser les
diplomates ctrangers du soin qu'ils avaient pris de nous
dépouiller, on donnait un million a M. de Metternich,
un million a M. de Nesselrode, six cent mille francs a
chacun des négociateurs subalternes. 11 est inutile de
rappeler que c'était chez M. de Talleyrand que s'étaient
ouvertes ces négociations de Parit, préliminaires a ja
mais honteux du honteux traité de Vienne
Au reste, l'activitó si odieuseinent déployée a cette
époque par M. de Talleyrand n'eut d'égales que son
incapacitéet son iinprévoyance. II ne vit point ce qu'a-
vaitvu Alexandre, qui n'était pourtant pas une forte
tête, il ne vit point qu'en 1814 la Restauration était
un fait prématuré que 1'Empire avait créé dans la so-
ciété trop d'intérêts nouveaux, la Révolution éveillé
trop de passions nouvelles pour que, Bonaparte étant a
l'ile d'Elbe, on s'accomodat longtemps d'une familie de
princes dont la tête était toute pleine de vieux préjugés
et le cceur tout plein.de vieilles rancunes, de princes
qui avaient une foule de pretentions faimliques a satis-
faire, ne connaissaient point la France et n'étaient point
connus d'elle.
Mais la dynastie des Bourbons une fois ctablie, de
quel danger la preserve le genie tutélaire de M. de Tal
leyrand Quoi I ce grand homme n'eut pas un bon con-
seil a donner a la royauté dont il avait voulu se faire le
tuteur Quoi il ne sut rien de cette sourde agitation
qui rendait le 20 mars possible et frappait les yeux les
moins clairvoyantsII ne sut pas mettre obstacle par
lui oil par ses collogues aux relationo de l'ile d'Elbe
avec le salon de la reine Hortense
Toujours est-il que le 20 mars le surprit au congres de
Vienne. Tandis que dans ce congrès, que le prince de
Ligne a si bien appelé une cohue de rois, M. de Nessel
rode cherchait a assurer par l'inféodation du royaumede
Pologne alaRussie 1'influence de son maitre sur le Midi;
tandis que M. de Hardenberg cherchait a arrondir la
Prusse en Allemagne, et M. de Metterniech a agrandir
l'Autriche en Italie tandis que les lords Castelreagh,
Cathcart et Stewart faisaient tous leurs efforts pour envi-
ronner la France de barrières propres a emprisonner sa
puissance(a étoufferl'essor de son génie, a quoi songeait
M. de Talleyrand? II songeait exclusivement a chasser
Mnrat du trone de Naples, pour y rctablir un membre
de la familie des Bourbons, et cette preoccupation ar-
dente n'avait d'autre cause que la riclie dotation de Bé-
névent, e'est-a-dire l'intérêt personnel de l'illustre
négociateur. Devant cct intérêt égoïste,M. de Talleyrand
fit fléchir toutes les autres considérations il laissa nos
ennemis tramer la ruine du malheureux roi de Saxe, cou-
pable d'evoir servi la fortune de la France. II ne daigna
pas s'occuper du Danemark, victime d'une constante et
héroïqueloyauté. II ne voyait que le duclié de Bénévent
et les grossières satisfactions de 1'égoïsme repu.
En 1815, nous trouvons M. de Talleyrand présidant
aux fêtes ignominieuses de la seconde invasion. Notre
plume se refuse a retracer des scènes aussi tristes. Un
trait suffit pour cette page de son histoire.En apprenant
le pillage du Musce par les Prussiens et les Cosaques, il
osa s'écrier Laissez ce n'est pas une affaire III
L'humiliation de la France, le morcellement de son
territoire, l'affaibiissement d'une nationalité, la plus res
pectable et la plus vigoureuse qui fut jamais, voila done
par oü s'est manifesté ce génie diplomatique tant vantc
Que si on franchit ces années de la restauration pen
dant lesquelles l'existence de M. de Talleyrand fut
confinée en d'obscures intrigues, pour arriver a 1830,
quels trophées diplomatiques présentera-t-on a notre
admiration La Belgique nous appelait nous l'avons
poussée aux bras des Anglais. Sans pouvoir ni fléchir
les rancunes de la Russie, ni endormir les defiances de
l'Autriche, nous avons offert en holocauste la Pologne a
la première, 1'Italie a la seconde. Et ce fameux traité
de la quadruple alliance, qu'a-t-il produit L'influence
anglaise règne au chateau de LaekenDona Maria,
complice de l'ambition britannique, veut remettre le
Portugal sous le joug ignoble du traité de Méthuen
enfin, dans les fêtes publiques, 1'aristocratie de Loir
dres nous insulte impunément, et couronne le buste de
ce vainqueur par hasard, qui ose s'appeler le vainqueur
de Waterloo.
C'est la tout ce que nous a valu le génie diplomatique
de M. de Talleyrand. Qu'on ose dire la vérité. Cet
homme n'a pas eu assez de talent pour couvrir, ne fut-
ce que la centième partie des scandales de sa vie. C'est
a nos ennemis qu'il a du sa réputation d'habileté, repu
tation qu'ils ont proportionnée a la grandeur des servi
ces qu'il leur a rendus et du mal qu'il nous a fait. Car
qu'on résumé sa vie qu'on se donne la peine de comp
ter de combien de calamités, privées ou publiques,
méritées ou imméritées, se compose l'histoire de son
bonheur.
II fut produit et poussó dans le monde par ces pros
tituees qui déshonorèrent les derniers jours de la mo
narchie et contribuèrent a la perdre.
Tandis que Calonne épuisait le trésor public par des
prodigalités insensées, le jeune abbó reiuplissait sa
bourse en s'attachant tour a tour a les justificr et ales
combattre.
II devenait évêque d'Autun au sortir du boudoir de
ses maitresses, la veille du jour ou la puissance de l'É-
glise allait s'écrouler.
Grand seigneur, on le vit, au fameux anniversaire du
14 juiilet, monter sur l'autel de la patrie, comme pon-
tife de la Révolution par qui mourait cette aristocratie
dont il était membre.
II avait sa part de pouvoir et d'influence, lorsque le
18 fructidor vint frapper les hommes qui l'avaient servi
et protégé.
II gagna le portefeuille des affaires étrangères a la
Révolution du 18 brumaire, qui renversa Barras, son
ami.
II se lit, en 1814, 1'artisan des intrigues qui ouvri-
reiit aux Cosaques et aux Bourbons les portes de Paris
et pendant que Napoléon méditait a Fontainebleau, sur
les débris de sa fortune écroulée, 1'homme qu'il avait
combiéde bienfaits se proclamait insolemment le chef du
gouvernement provisoire, et offrait son avide patronage
a une royauté nouvelle.
Enfin, et quinze rns plus tard, cette dynastie prenait
a son tour la route de l'exil, chassée par une royauté
bourgeoise dont M. de Talleyrand s'était constitué le
protecteur.
Ainsi, débris de la monarchie absolue, débris de la
noblesse, débris de la puissance cléricale, débris de la
République, débris de l'Empire, débris de la Restaura
tion, voila da quoi s'est composée la fortune de cet
liommé. Sa réputation s'est enflée de tous les malheurs
éclatants nés de ses trahisons, et sa prospérité a résumé
tous les désastres de son pays.
tgjVoila pour 1'homme public nous lie soulèverons pas
le voile qui ne couvre qu'a demi la vie de 1'homme
privé; nous n'irons pas chercher dans les archives de la
police de Parie et dans les registres de Bourbon-l'Ar-
chambault le texte d'une clironique scandaleuse aajou-
ter a cette déplorable biographie. Qu'il nous suffise de
dire que 1'influence des exemples donnés par M. de Tal
leyrand a été de'sastreuse. II a couvé en quelque sorte
Fimmoralité contemporaine, et il a été, a son tour, sou-
tenu et comme porté par la corruption générale. C'est
lui qui a mis le scepticisme politique a la mode. C'est a
son école que se sont formés tons les jeunes gens qui se
pavanent aujourd'hui dans un matérialisme moqueuret
cynique, grands philosophes de boudoir qui font du fa
talisme le plus grossier une affaire de vanité et de dan-
dysme, imitateurs maladroits qui se prennent pour de
fortes têtes quand ils ont donné leur parole d'honneur
qu'ils ne croient a rien! Faut-il s'en étonner? Ils ont
entendu dire Voici un homme qui s'est moqué auda-
cieusement de toutes clioses et a su jouer utilement tous
les róles. Prêtre, il a convoité toutes les jouissances et
recueilli tous les bénéfices d'une existence sans frein.
Né courtisan, il a connu les douceurs dv pouvoir exercé
pendant les agitations de 1'enthousiasme populaire. Ré-
publicain, ila su goüter les joies de la vie de courtisan.
II a été tout, paree qu'il n'a été rien. II s'est rendu
propre a tous les régimes, paree pu'il n'en a servi sin-
cérement aucun. Aussi, qu'est-il arrivé? C'est qu'il a
tenu pour ainsi dire tous les gouvernements sur les
fonts du baptême. Dans un temps oü l'échafaud était en
permanence, il a paru respectable a l'échafaud, et lors
que enfin il est mort chargé de jours, de vices, de ri-
chesses et d'honneurs, samémoire a trouvé despanégy-
ristesetson cadavre a eu des courtisans.
Qu'on calcule tout ce qu'il y a de funeste en de telles
leconsCar encore si tous ces tristes plagiaires du vice
triomphant n'avaient, pour marcher sur les traces de
lTiomme lieureux, d'autre motif que la cupidité mais
non La vanité les pousse de son cöté dans ces voies
impures. Faisons pacte avec la fortune, disent-ils sa-
luons tout ce qui s'élève; survivons a tout ce qui tombe:
en faut-il davjmtage pour que nous soyons réputés ha-
biles? Nous ajouterons ainsi 1' eclat de la renomméeaux
bénéfices de la puissance a force d'entendre le nom de
génie a la persévérance de notre bonheur, les ames aus-
tères craindront que leur probité grondeuse ne passe
pour de la niaiserie. Paraitre habile, après tout,n'est-ee
pas l'être?
Voila par quels sopliismes on arrive aux limites les
plus réculées de lr dépravation et aux dernières inso
lences du scepticisme.
II importe done de les combattre, ces sophismes hon
teux, moins honteux pourtant que puérils. Non,ce n'est
pas a la durée du succès, mais bien plutèt a la grandeur
des revers que se mesure le génie. A quel grand cceur, a
quelle volonté inexpugnable, a quelle intelligence
d'élite l'histoire a-t-elle accordé une inpunité absolue?
Quel grand homme n'a pas été ou ne s'est pas cru des-
tiné a une grande chute César meurt, assassiné dans le
Sénat. Sylla s'étonne et s'épouvante de la constance de
son bonheur ilabdique. Charles-Quint prend ombrage
de sa propre puiseance il se fait moine. La destinée
des ames vraiment fortes n'est pas de rester au faite jus
qu'a la fin, mais de tomber avec éclat. De même, dit
Montaigne, que les tempestes sepicquent contrela haul-
taineté des bailments, il y a la haut des esprits en vieux
des grandeurs de (ja bas Et, en effet. Le roseau plie
sous le vent et se redresse est-ce une preuve de saforce?
Le chêne rësiste aux orages et finit par succomber est-
ce une preuve de sa faiblesse? Qu'on me montre un
homme quiaitsu se créer d'immenses obstacles et d'in-
nombrables ennemis quand les obstacles auront épuisé
tout son vouloir et que ses ennemis 1'auront foulé aux
pieds, je saluerai son génie, et j'admirerai quelle force
il lui a fallu pour se former un tel malheur. Lorsque
Chateaubriand a voulu doïrner une idéé de la grandeur