JOURNAL D'YPRES DE L'ARRONDISSEMENT
YP1VES, Dimanche
Quatrième année. N° 34
26 Aoüt 1866.
.J
Paralssant le dimanche.
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La liberté et les processions.
Une vive polémique est engagee en ce moment
dans la presse au sujet de l'ordonnance de police qui
interdit provisoirement la circulation des processions
religieuses dans la ville de Liége. Attaquée avec fu-
reur par la Gazette de Liége et le Journal de Bruxel-
les, énergiquement défendue par la Meuse, le Journal
de Liége et \'Echo du Parlement, cette ordonnance
sera sans doute incessamment déferée ft la Cour de
cassation, dont l'arrêt donnera la solution de la diffi-
culté constitulionnelle qu'elle soulève.
Nous sommes habitués, depuis trop longtemps, aux
violences et aux calomriies de la presse cléricale pour
croire qu'en portant une mesure aussi grave, l'admi-
nistration communale de Liége se soit inspirée d'une
mesquine pensee d'hostilité envers le clergé catho-
lique. La Gazette et le Journal de Bruxelles auront
beau multiplier leurs invectives et hausser, chaque
jour, le ton de leurs indignations de commande, les
hommes setisésft quelque parti qu'ils appartien-
nent, n'admettront pas que, pour le piètre plaisir
de vexer quelques prêtres désireux d'étaler en pu
blic leurs oripeaux dorés, une administration aussi
libérale, aussi intelligente que celle de Liége ait pris
sur elle la responsabilité du trouble qu'une sem-
blable mesure devait infailliblement jeter dans les
consciences peu éclairées et des desordres matériels
qui pouvaient en être la suite.
Mais si la loyauté, la pureté des intentions qui
ont dicté cette mesure ne peut être légitimement
suspectée, il s'en faut de beaucoup que nous soyons
édifiés sur l'opportunité de la mesure considérée
en elle-même.
Au point de vue de l'opportunité, l'ordonnance
ne pouvait se justifier que par une nécessité évi
dente, impérieuse. Or, loin que cette nécessité soit
démontrée, ce qui s'est passé tout récemment a
Bruxelles, dans' des circonstances analogues, nous
porte ft croire qu'elle n'existait pas. On n'a pas vu
qu'ft Bruxelles, le bourgmestre, M. Anspach, ait eu
besoin de recourir a une ordonnance de police pour
avoir raison des processions nocturnes qui présen-
taient cependant, sous le rapport de la salubrité
publiqne, des dangers bien aulrement graves que les
processions ordinaires. II lui a sufïï de faire appel
au bon sens des populations et de les éclairer sur
les dangers de ces rassemblements pour obtenir
qu'ils cessassent ft I'instant même. M. le bourg
mestre de Liége, usant du même moyenaurait-il
obtenu le même résultat? Nous ne ferons pas ft
l'intelligente population de Liége l'injure d'en dou-
ter un seul instant.
A VEtoils beige, qui n'a pas dissimulé sa prefe
rence pour le procédé suivi par M. le bourgmestre
de Bruxelles, I'Echo du Parlement rêpond que ce
magistrat, dans sa proclamation, s'adressail a des
manifestations auxquelles, de son aveu, le clergé
était resté complétemenl étranger et que, par con-r
séquent, il ne pouvait y avoir de conflit.
Nous repondrons a I'Echo le conflit, qui l'a
creé, si ce n'est précisément l'ordonnance de police
prise par M. le bourgmeslre de Liége Qu'au lieu
de menacer d'amende et de prison les catholiques
assez audacieux pour enfreindre ses défenses, M. Pier-
cot se füt borné ft publier une consultation des prin-
cipaux médecins de Liége signalant les dangers aux-
quels s'exposent ceux qui prennent part a des pro
cessions, et qu'il eut fait suivre cette consultation de
quelques conseils paternels ft la facon de ceux dont
son collègue de Bruxelles s'est si bien trouvéoü
était le conflit Evidemment il n'y en avait pas
la procession aurait suivi son cours, peut-être, mais
nous tenons pour certain qu'a part quelques dou-
zaines de vieux marguilliers et de bigotes édéntees,
elle n'aurait provoqué sur son passage aucun ras-
semblement de nature inspirer des inquietudes
pour la santé publique.
M. le bourgmestre a préféré les moyens rigoureux.
A nos yeux, c'est un tort grave. La contrainte dans
des matières qui touchent de si prés ft la liberté de
conscience, n'a le droit d'intervenir qu'ft la condi
tion d'être commandée par des considérationsd'intérêt
public tellement impératives que toutes autres doi
vent fléchir devant elles. Eclairóe qu non, la con
science humaine a droit au respect de la loi et celie-
ci n'est autorisée a s'immiscer dans ses manifestations
extérieures que dans les cas oü une nécessité abso-
lue lui en fait un devoir Cette nécessité, nous re-
gretlons de devoir le dire, nous ne I'avons pas ren-
contréedaris les faits qui ont motivé l'ordonnance de
M. le bourgmestre de Liége, et ne fut-elle reprochable
qu'a ce point de vue, nous ne saurions nous associer
ft l'approbation qu'elle rencontre dans les organes de
la presse ministérielle.
La question d'opportunité mise a part, l'ordonnance
en fait naitre une autre, bien autrement grave. Nous
voulons parler de la question constitutionnelle, soule-
vée ft propos de 1'interdiction dont cette ordonnance
frappe un des modes de I'exercice public d'un culte
catholique.
Pour démontrer l'inconslitutionnalité de cette in
terdiction, les journaux cléricaux invoquent la dispo
sition de 1'art. 14 de la Constitution, ainsi cobcu
La liberté des cultes, celle de leur exercice public
sont garanties, sauf la repression des délits commis
ft 1'occasion de l'usage de ces libertés.
Le Journal de Liége, la Meuse et 1 'Echo du Parle
ment leur opposent Particle 13* dont voici les termes
Les Beiges out le droit de s'assemb'er paisiblement
et sans armes, en se conformant aux lois qui peu-
vent régler I'exercice de ce droit, sans néanmoins le
soumettre a une autorisation préalable. Cette dis-
position ne s'applique point aux rassemblements en
plein air, qui restent enlièrement soumis aux lois de
police.
Les processions catholiques constituent-elles des
rassemblements? Un instant la Gazette de l.iége a
songé ft ie nier, mais sa demonstration s'est trou-
vée tellement absurde qu'ellemême a fini par s'en
apercevoir. Les processions sont done bel et bien
des rassemblements et, comme tels, restent entiè-
rement soumis aux lois de police.
Au nombre des objets de police confiés ft la vigi
lance et a l'autorité des administrations communales,
le législateur a rangé, en première ligne, tout ce qui
intéresse la süreté et la commodité du passage dans
les rues, et elle les a autorisées a prescrire toutes
les raesures propres ft assurer 1'accomplissement de
cette obligation. Cela n'est pas niable et la Gazette de
Liége elle-même n'en saurait disconvenir. Dés lors, la
légalité de l'ordonnance communale est mise hors de
cause, car on n'imaginera pas de soutenir, pensons-
nous, que le passage d'une procession a travers une
ville n'est pas de nature a entraver la circulation pu
blique.
On objecte Ia liberté des cultes. Si les processions
ne peuvent plus circuler ft l'extérieur des églises,
I'exercice du culte cesse d'être libre. En vérité,
cette objection est par trop puérile. Quoi, le culte ca
tholique cesserait d'être libre parce qu'il lui sera in
terdit de gêner la circulation dans les rues? Ce que la
loi défend a tous les citoyens indistinctement, il fau-
dra le permettre aux fidèles de la religion catholique
sous peine de violer, dans leurs personnes, la liberté
des cultes? Des priviléges, encore des privileges, tou-
jours des priviléges, on n'entend pas d'autre cri par-
tout oü le parti clérical peul faire entendre sa voix.
Quand on les lui refuse, il se couvre la tête de cen-
dres, se pose en martyre et crie ft la persecution.
Malheureusement pour lui, le temps est passé oü
ses gérémiades et ses fureurs trouvaient un écho tou-
jours prêt dans le fanatisme des populations. Si notre
époque a beaucoup ft faire encore pour s'afïranchir
entièrement du joug abrutissant que vingt siècles
d'ignorance et de domination cléricale ont fait peser
sur l'humanité, elle a acquis assez de bon sens et de
clairvoyance pour échapper aux piéges oü la vieille
ambition romaiue essaie de la prendre pour l'assujettir
de nouveau. La liberté connait ses ennemis cela
suffit pour qu'elle n'aie plus ft les craindre.
Quand le Progrès, digne organe d'une coterie ar
rogante etdominatrice, ne se livre pas aux personna-
lités les plus grossières et les plus ignobles, il ment
comme un arracheur de dents. Son dernier numero
en fournit une nouvelle preuve.
Dans une lourde et indigeste tartine, il s'occupe
d'une procession dont l'autorité communale de Liége
aurait interdit la circulation, interdiction critiquée,
selon lui,par les journaux radicaux d'accord avec les
organes catholiques et s'efforce, par la même occasion,
d'insinuer qu'ft Ypres il existe une aimable en
tente entre ceux qu'il appelle les radicaux et
le parti clérical.
Nous dénigrons,dit-il, le ministère, ['administra
tion et tous les fonctionnaires qui refusent de subir
notre impulsion. La vérité est que, dans notre indé-
pendance, nous réservons la liberté de nos apprecia
tions, approuvant ce qui nous parait bon, même
chez nos adversaires, critiquant ce qui nous semble
mauvais, même chez nos amis. C'est dire que nous
n'avons rien de commun avec ces vils flatteurs, ces
plats thüriféraires qui, prosternés aux pieds de leur
idole, n'attendent que le mot d'ordre pour la sufloquer
de leur encens nauséabond. Ce que Ie Progrès ap
pelle dénigrement est l'appréciation libre droit et
devoir de tout citoyen des actes de l'administra-
tion.