JOURNAL D'YPRES 1)E L'ARRONDISSEMENT
YPRES, Dimanche
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POUR LA BELGIQUE
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Paraissant le dimanche.
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TBIBENAL CIVIL, D'YPRES.
V7a.ccnL-cU.
Action en dommages-intéréts intentée par la Société
d'exploitation de Chemins de Fer conlre le journal
/'Opinion. Audience du 9 Janvier 1867.
(Suite. Voir noire dernier numéro.)
Me BOSSAERT. Mod honorable contradicteur,
en commencant sa plaidoierie, a dit qu'il apporterait
dans Ie débat une moderation qui dépasserait encore
son impartiable. Cependant, oubliant cette promesse,
il s'est permis tout d'abord une insinuation qui n'est
rien moins que modérée, insinuation que nous con-
siderons au contraire eomme malveillante et contre
laquelle nous voulons immediatement protester.
Parlantde la publicité que tnon client compte don-
ner a ce débat, mon adversaire vous a dit, en effet,
qu'il suspectait cette publicité de manquer de la vé-
néralion et du respect qui sont dfts a la Justice.
Or. pareil soupcon n'aurait pas du se rencoutrer dans
l'esprit el encore moins sur les lèvres de !a partie
adverse. La publicité ètant, dans notre pays, une des
conditions d'existence mêmes de la justice, nous n'a-
vons jamais pensé, Messieurs, que, plus ou moins
étendue, elle put devenir injurieuse pour votre Tri
bunal. A part cela, Fimputation de vouloir manquer
de vénération tombe devant ce fail, que nous avons
donné a voire Tribunal la plus grande marque dedó-
férence possible en acceptant d'emblée sa compe
tence. Nous aurions pu, en effet, méconnaitre votre
uridiction, la décliner lout au moins d'une facon in
directe et obtenir noire renvoi devant un tribunal
jouissant d'une publicité hien plus large, devant le
tribunal de Bruxelles. Nous ne l'avons pas tenté.
Pourquoi? Paree que nous avons foi en votre impar-
tialité, confiance en votre justice, et aussi, paree que,
sachant que vous connaissez les faits mieux que per-
soune, aucun tribunal ne pouvait, mieux que le vótre,
juger du non-fondement de Faction dirigée contre
nousl
Cette observation faitej'aborde le débat
Si le vrai peut quelquefois n'être pas vraisem-
blable, jamais cette maxime ne rencontra meilleure
application que dans ['occurence. Lorsque se répan-
dit, annoncé pour la première fois par un journal se-
rieux, le Moniteur des Intéréts matériels, si je ne me
trompe, le bruit que la Sociéte d'exploitation des
chemins de fer allait intenter au journal FOpinion
une action en dommages-intéréts du chef de l'article
dont il s'agit, un sourire d'incrédulité se glissa sur
toutes les lèvres. Tout le monde savait, en effet,
combien les faits reprochés étaient réels et frequents,
combien l'étaient aussi les plaintes du public.
Chacun se refusa a croire a la possibilité d'un pro
cés pareil et quelques-uns, ajoutant une pointe d'iro-
nie aux légitimes critiques du journal, émirent l'avis
que c'était quelques mauvais plaisants qui avaient
fait courir ce bruit. Point cependant, el ceux-la qui
uvaient fait eourir ee4wa»t se trompaient. Le bruit
était fondé, la nouvelle était vraie. Depuis lors, l'in-
vraisemblable a pris corps, l'impossible est deveriu
fait, et le journal, dans la personne de M. Lunbin, a
aujourd'hui a se défendre contre une action si pas
très-redoutable au fond, au moins très-réelie en la
forme, lendante a le faire condamner a 20,000 francs
de dommages-intéréts. Cette action est fondêe sur ce
que les allégalions contenues dans l'article sont
fausses; sur ce que encore et surtout elles ont étè
inspirees par un sentiment de malveillarice et un es
prit dé dénigrement; sur ce enfin, qu'elles ontocca-
sionné a !a Société demanderesse un préjudice réel
d'au moins 20,000 francs.
Eh bien! cette triple base est, pour me servir des
termes courtois de la partie adverse, un triple tnen-
songe
Les faits sont vraisil n'y a pas eu de malveil-
lance; il n'y a pas eu non plus de prejudice.
En suivanl eet ordre de moyens, nous aurions a
nous ocouper d'abord des faits qui, seuls, ont fixé
l'attention de la demanderesse préoccupée, non de les
dónier, mais de les initiger, de les atténuer et, chose
aisée, de les commenter sa guise. Mais ce n'est pas
ainsi que nous procéderons et déja, Messieurs, vous
avez pu vous en apercevoir par les actes éorits qui
ont etc échangés et lus a l'audience. Ge n'est que
d'une facon tout accessoire, et en ordre tout subsi
diaire que nous avons fait notre articulation avee de-
mande a fins de preuve.
G'est que, pour nous, il y a au fond de ce procés
autre chose qu'une question de fait accoslee d'une
question d'argentl II y a pour nous tout d'abord une
question de principe qui intéresse, non-seulement le
journal dont M. Lambin serait l'éditeur, mais la presse
tout entière dans sa condition d'existence la plus né
cessaire, la plus vitale, nous entendons sa liberté.
II s'agit pour nous de savoir si en Belgique la presse
est réellement libre, fibre de rempiir sa mission so
ciale qui est de servir Ie progrès et la liberté en com
battant toutes les erreurs, en dénoucant et en fusti-
geant tous les abus!
A nos yeux, les griefs allégués par la Société de
manderesse ne sont que des prétextes. La vraie rai-
son de ce procés, on s'abstient de la dire non par
pudeur, mais par dissimulation et habileté de calcul.
Eh bienl nous la dirons, nous, cette raison. C'est que
la Société demanderesse voudrait qu'on ne discutat
pas ses actes, et qu'il ne fCit pas permis méme de cri-
tiquer ses faits et gestes.
La liberté de la presse a cela de commun avec
toutes les autres dont elle est la sauvegarde, que
beaucoup la trouvent uue bonne et excellente chose
aussi longtempsqu'elle sert leur fortune ou flalte leurs
opinions, mais la tiennent pour detestable et perni-
cieuse du moment qu'elle blesse leurs intéréts ou con
trarie leurs prejugés.
Cette manière de voir, familière a beaucoup de par-
ticuliers, n'est pas étrangère non plus aux societés
industrielles, et notammeut aux Societés d'exploita
tion de chemins de fer, qui ne portent pas ce nom
pour rien. Elles ne veulent pas étre discutées. Epri-
ses d'un fol orgueil a raison de leur importance qui
est réelle, et plus encore a raison des richesses qu'elles
accumulent, elles s'imaginent que le public est fait
pour elles qu'il leur doit tout et qu'elles ne lui doi
vent absolument rien. Ce s entiment, comme une con
tagion, descend des plus liuppés jusqu'aux moindres
employés, et pour lout ce pers mnel important et suf-
fisant, le public voyageur est encore comme le public
de jadis, la plèbe taillable et exploitable a merci.
Certes, il y a des exceptions, mais elles sont rares.
Un directeur se donne plus d'importance qu'un mi-
nistre de travaux publics, et il n'est si mince distri
buteur de coupons qui, a certains jours et a certaines
heures, ne se croie quelque peu un directeur lui-
même I
Or, il y a la évidemtnenl utfèj-étrange interversion
de róles et une profonde aberratiofo d'idées.
Le maitre, ce n'est pas vous? 'Société anonymc.
C'est ce public que vous traitez de haul en baset
avec tant de sans-facon! C'est de lui que vous tenez
votre concession, e'est-a-dire votre monopolec'est
lui qui vous paiec'est sur lui que vous prélevez vos
gros bénéfices; c'est avec son argent que vous vous
enrichissez. Encore une fois, le maltre, c'est I ui I Vous,
vous n'êtes que son instrument, sa servante; vous
faites partie de sa domeslicilé 1
Le public étant le maitre, de la derive pour lui, en
cette matière comme en toutes celles qui le concer
nent, le droit de se plaindre, et pour les journaux qui,
sentinelles vigilantes, sont ses yeux, ses oreilles et sa
bouche, Ie droit, le devoir méme de critique droit
d'autant plus nécessaire, devoir d'autant plus impé-
rieux, que pour le public c'est le seul moyen d'avoir
raison, la seule manière d'obtenir satisfaction. C est
ce que M. le ministre des travaux publics a reconnu
lui-même dans la séance du U'février 1866, rópon-
dant a un représentant qui relevait, contre la So
ciété du Luxembourg, si je ne me trompe, des griefs
analogues a ceux qui ont été articules par le journal
VOpinion. Voici ce qu'il disait
Je necomprends pas bien, a dit M. Vandersti-
chelen, Ie système qui consiste a trailer les compa
gnies comme des elèves de classes primaires, a s'ingé-
rer dans tons leurs actes, a blèmer ou approuver
tout ce qu'elles font, a leur dire Vous marcherez a
droite ou a gauche, en avant ou en arrière, tous les
jours, a tous les acles de leur gestion. Je trouve cela
parfaïtement vain, parfailement stérile, parfaitement
injustifiable. II y a quelque chose qui vaul beaucoup
mieux, selon moi, que cette intervention administra
tive de tous les instants. G'est un peu de surveillance
du public, par la voie de la presse entre autres, et
beaucoup par l'intérêl des compagnies efies-mêmes.
Ce droit, nous y songeons, on semb'e l'admettre.
La demanderesse, en effet, quelque part dans ses con
clusions, parle de certaine critique permise a la presse.
Mais, cette critique, nous savons ce qu'elle est a ses
yeux. C'est celle dont parle Figaro et qui fleurit dans
un pays voisin. C'est le droit de parler de toutes cho-
ses, pourvu qu'on ne blame rien et qu'on ne critique
personne. Ainsi, relativement a la Société demande
resse elle-mème, ce serait, par exemple, le dioit de
dire que c'est une Société modèleque le service s'y
fait avec une régularilé pai faitequ'il n'y a jamais un
oubli, un retard, un accident; que son matériel
est superbe, ses tarifs moderes et tout son personnel
charmant. Voila ce qu'on pourrait dire et ce qu'on