entend par critique permise. Et encore n'en somm^s- nous pas bien sur. 11 faudrait y voir a deux fois, bien peser ses termes et mesurer prudemment la lonange. Les Sociélés anonymes sont trés chatouilleuses. Or, ia Société demanderesse se connaissant elle-même et sachant qu'elle n'est nprös tout pas compiétement in- faillible, pourrait bien, cumme les ennemis de Boileau, Quinaut, Cotin et autres, prendre tous ces éloges pour de la raillerie, et exiger toujours et quand même vingt mille francs de donunages-intéréts Mais heureusement, comme nous I'avons dit, le droit de la presse est tout autre. C'est le droit de dénoncer tous les abus et tous les manquemenls au public. C'est le droit de frapper fort et ferme et de rappe'er a leurs devoirs tous ceux qui, chargés d'un mandat ou d'un service public quelconque, s'ecartent de ces devoiis, les dédaignent ou les oublient. Ce droit est large et, quand on lit les discussions du Congrès, it semble même qu'i! soil absolu et que le legislateur constituent ait voulu le mettre a I'abri de toute responsabilité autre que la responsabilité mo rale. Yoici, en effet, ce que disait, lors des discussions sur l'article18 dela Constitution, M. de Robaulx, l'une des intelligences les plus droites, les plus fermes et les plus libórales du Congrès Mainlenant. je me proposede sournettre au Con grès une disposition additionnelle qui, je crois, mé rite d'être prise en müre considèration. La voici Des mesures répressives ne peuvent porter at- teinte au droit d'examen et de critique de la vie pu blique et des actes des autorités. a Messieurs, notre honorable coilègue M. Devaux nous a dit que par ces mots la presse est litre a le but de I'amendement est alteint; quanta moi, je crois que dans une Constitution on ne peut trop soigneu- sement indiquer, même surabondamment, les garan ties nécessaires; il est essentiel de declarer que la vie publique et les actes des autorités sont le domaine de la discussion libre La presse porte avec elle son contre-poison lors- qu'elle nuit, puisque le fonctionnaire qui est lésé pourra se servir de la même voie pour rectifier les fails inexacts. (Huytens. T. 1, p. 655.) Ainsi, ce que l'on voulait alors, et on ne s'en est pas assez souvenu depuis, c'est la presse libre dans la discussion des actes de la vie pubiiqce. Pas de me sures répressives, ni civiles, ui pénales 1 Rien que le droit de réponse et de réfutation. Voila quelles étaient la largeur de principes et l'ampleur d'idées de nos constiluants et des homines de 1830 Le principe défendu el quasi admis au Congrès n'a pas prevalu dans la pratique, nous le savonset si le droit de discussion est large, il n'est pas absolu. II y a la limile doclrinale,j'allais presque dire doctrinaire, entre l'usage et l'abus, entre la liberté et ce q t'on appelle volonliers, sui tout quand il s'agit des autres, la licence. Maiscette limite, oü est-elle? Jusqu'oü va le droit de la presse ou du journaliste Oü finil le droit de cri tique a peine de responsabilité civile? A eet égard, les esprits sont divisés. Les uns, se basant sur Partiele 14 de la Constitution, maintien- nent que le droit du journaliste va jusqu'au delit ex- clusivementque sa responsabilité civile n'est enga- gée qu'a partir du debt. L'article susvisé est concu comme suit La liberte de manifester ses opinions en toute matière, est garantie, sauf la repression des dólits commis a l'occasion de l'usage de cette liberté. De ce texte, (dit M. Schuerrnans), un auteur a conclu que la liberté de la presse n'a d'autres limites que le dèlit. Le domaine de la presse, d'après lui, s'é- tend jusqu'aux confins de la loi pénalejournaliste, si je n'ai pas enfreint cette loi, j'ai use de mon droit de tout dire, qui jure suo utiturneminem Icedit. Le quasi-délil en matière de presse n'existe pas, ou du moins la seule sanction qui i'atteigne est le droit de réponse par insertion forcee. Et savez-vous, Messieurs, quel est eet auteur dont parle M. Schuermans? C'est un jurisconsulte émi nent, un criminaliste des plus distingués, M. Tho- nissen, professeur a l'Université de Louvain, membre de la Chambre des représentants. M. Schuermans, lui, n'admet pas ce syslèiue, et ce pour des raisons plus ou moins plausibles dont vous pourrez exami ner le mérite en consultant son remarquabieouvrage, pages 285 et suivantes. II est d'avis que la responsa bilité civile existe du moment qu'il y a allégation dommageable mensongère, peu importe qu'il s'agisse d'un fonctionnaire ou d'un particulier, et sans qu'il y ait lieu de reehercher si Ie journaliste a été de bonne ou de mauvaise foi. Nous croyons, quant a nous, que, ainsi qu'il arrive souvent, la vérité se trouve au milieu, entre les deux systèmes. Un grand jurisconsulte, M. Demolombe, a dit quel- que part, au titre de 1'absence que la vérité, le bien, le droit, ne sont en toute chose que le résultat d'une nécessaire et incessanle transaction qui marque a chaque principe sa limite, en lui faisant sa part de légitime application. a Appliquant ce sage et philosophique précepte au cas qui nous occupe, nous croyons pouvoir résoudre la question a 1'aide d'une distinction. S'agit-il des actes de la vie privée des citoyens? la responsabilité existera dés qu'il y a allégation dommageable. Le journaliste sera tenu de son quasi-délit autant que de son delit. S'agit il, au contraire, des actes de la vie publique du citoyen, comme fonctionnaire ou comme chargé d'un service public? la responsabilité n'exis- tera, si pas qu'a partir du délit seulement, du moins qu'a partir de la mauvaise foi düment prouvée. Cette distinction, a laquelle vous vous rallierez, Messieurs, se justifie aisément par la difference des catégories d'actes auxquels elle s'applique. La vie privée doit être murée, comme l'a si bien dit Royer-Gollard. Vous, journaliste, vous n'avez pas le droit de vous en occuper ni d'en occuper le public. C'est le foyer, la chose sainte et inviolable par excel lence 1 Que si vous vous aventurez dans cetasileet commettez quelque indiscrétion, quelque écart dom- mageab'e, vous devenez immédiatement responsable a la facon du chasseur s'aventurant, sans permission, sur le terrain d'aulrui. Ici, nous !e proclamons bien haut, le droit de la nature prime le droit constitutionnel 1 Pour la vie publique et les actes de la vie publique, c'est autre chose 1 lei le journaliste est sur son do maine. Nou-seulement il a le droit de critique, mais il en a le devoir. Si vous, particulier, vous ne voulez pas qu'on parle de vous, qu'on vous blame au même titre qu'on vous loue, rentrez chez vous, dans vos pantoufles, voire houppelande et voire coin de che- minéel Vous n'êfes pas fait pour vous occuper des choses publiquesQue si vous vous obstinez a vous en mêler, souffrez done et comprenez qu'on vous cri tique 1 Sans cela, le journalisme n'aurait pas de raison d'être. Sansce droit, il suffirait dans chaque pays du premier Moniteur venu qui, dans sa partie officielle, enregistrerait les actes gracieux de MM. les minislres et, dans sa partie non-officielle, les faits-divers et les menues nouvelles pour les badauds. Tout Ie monde est d'accord la-dessus. Mais si en cette matière le journaliste a le droit et même le devoir d'examen, de discussion et de critique, il ne saurait être responsa ble alors même qu'il se trompe. Qui veut la fin doit vouloir les moyens. Sans cette garantie, la profession de journaliste deviendrait par trop périlleuse et la po sition, déja si difficile, ne serait réellement plus te nable. Par la nature de ses occupations, le journaliste n'est le plus souvent qu'un échoil lui est impossible de verifier I'exactiiude de tous les fails qui sont dé- nonces a sa vindicte. II faut done, lorsqu'il se trompe, qu'il ne puisse être traduit en justice. 11 reste a ('inté ressé le droit de réponse et de rectification. Cela doit suffire aux plus exigeants, et la est précisément la raison de l'article 13 du décret de 1831Cette théorie estau fond celle de M. Schuermans lui-même, amené a s'y rallier par la iogique et la force des choses. Voici ce qu'il dit dans son ouvrage a la page 87 La seconde classe d'actes publics est composée a des actes posés en public, même par de simples a particuiiers. a II est mille circonstances oü un citoyen, sortant a du chêteau-fort a de la vie privée, livre une a partie de son individualité ou une partie de ses ac- 8 les a la fibre discussion de tous. a Interdire tout examen, toute discussion de ces a differents actes sous prétexte que la vie privée est a inviolable et alors, bien entendu, qu'il n'y aurait a pas calomnie, ce serail enlever a la société la garan- tie qu'elle doit trouver dans 1'approbation de ce qui est bon et dans la critique de ce qui est repréhen- o sible. a Tout ce qui descend sur la place publique, toute a enseigne exposéeaux regards des passants, en un u mot tout ce qui se produit devant la foule, appar- tient a la censure de la presse, de cette police vigi- a lanle dont les escouades parcourent incessamment les rues de la cité, et dressent impitoyableinent a procés-verbal de tous les abus pour les sournettre a au tribunal de l'opinion. Qu'un particulier même sorte de son domicile a pour aller prononcer quelque discours dans une a assemblée publique ou coinmettre quelque faute a publique qui rende l'examen de ses actes légitime a et même nécessaire, comme dans le cas de faillite, a aussitot la presse peut s'emparer de lui, sans qu'il a puisse se plaindre car il avait le droit de rester a chez luisa position d'homme privé n'est inviolable a que la. a Voila certes qui est précis, et rentre parfaitement dans la thèse quo nous venons de siJutenir, Au Surplus, Messieurs, vous savez que Ce principe de fibre discussion, jusqu'au dèlit exclusivement, a été furmeliement consacré par Ie nouveau projet de loi qui a été soumis dernièrement a la Chambre des représentants. Dorénavant, en effet, le journaliste ne sera plus civilement responsable, qu'après avoir été déclaré eoupable par le jury, a moins toutefois qu'il ne s'agisse de faits rentrant exclusivement dans le domaine de la vie privée. Ainsi, on va élargir le prin cipe, et certainement,ce n'est pas au moment oü l'on va donner plus d'extension au droit du journaliste que vous pourriez restreiudre ce droit par une déci- sion étroite dans le sens de la demanderesse. D'oü nous concl.uons, que pour que la Société ffit recevable en son action, il faudrait qu'a ij préalable il fütprouvé, non pas que les faits relevès par le journal sont inexacts, mais que l'article a été réellement inspiré par un seutiment de malveillance, un esprit de déni- grement et de mauvaise foi. Or, Messieurs, loin que pareille preuve soit acquise au débat; loin même qu'il y ait la moindre présomption a eet égard, c'est le contraire qui saute aux yeux. On ne fait rien sans motifs, le mal pas plus que le bien. Ainsi vous, Société demanderesse, vous nous intentez une action en dommages-intérêts alors que vous aviez le droit de réponse, de rectification. Vous avez des motifs pour cela, et on les devine bien. Mais nous, particulier, pourquoi aurions-nous médit de vous?On dénigre par envie, par vengeance, par intérêt. Mais quelle envie voulez-vous qu'un particulier porte a une société anonyme? quelle ven geance voulez-vous qu'il exerce? quel intérêt qu'il serve? Ah I s'il y avait deux sociétés rivales, exploi tant chacune une ligne en concurrence, on compren- drait! L'anonyme n'est pas si délicat; et l'une société pourrait bien calomnier un peu 1'autre qui le lui ren- drait avec usure. Mais vous êtes seule a exploiter le chemin de fer dont il s'agit. Tout doit passer entre vos mains, par vos bureaux et vos lignes, jusqu'a l'auteur inconnu du communiqué incriminé. On se serait done plu a vous attaquer sans motif, sans rai son? Mais cela est-il admissible? Est, ce que la presse, instrument de progrès, irait s'attaquer méchamment a la vapcur et aux chemins de fer, autres instruments de progrès? Imagine-t-on Guttemberg faisant la guerre, et une guerre stupide encore, a Watt et a Fulton? Allons done I Cela n'est pas possible I et. la Société demande resse elle même, quoi qu'elle dise, ne croit pas ce qu'elle fait plaider! Mais si le journal IOpinion a été de mauvaise foi, apparemment qu'il a été seul a se plaindre? Que si d'autres se sont plaints avant lui et avec lui, encore une fois toute apparence de mali- gnité doit disparaitre. Or, cela est précisément. On dira peut être que ceux qui se sont plaints sont aussi des mecontents, des esprits mal fails et malfai- sants, des brouillons! Que sais-je? Voyons un peu. A tout seigneur tout honneur. Voici d'abord notre honorable senateur, M. le baron Mazeman de Cou- thove, qu'on n'accusera certes pas d'être un esprit malveillant et brouillon. Entendez ce qu'il disait a la tribune du Senat, dans la seance du 1 7 mai 1862 Je dois aussi signaler a M. Ie ministre des abus au sujet des chemins de fer concédés. II arrive fré- a queminent que dans les arrets des stations les a voyageurs perdent un temps considérable a cause o des combinaisons mal prises avec les lignes de l'Etal. Ces haltes étant souvent prolongées par la a negligence des chefs qui se permettent de s'éloi- 8 gner des stations pendant que les voyageurs per- 8 dent un temps précieux en les attendant. II me semble qu'il est de l'intérêt du gouvernement, qui 8 paie annuellement une très-forte somme ces so- 8 ciétés, de veiller ce que de tels abus ne nuisent a pas aux produits de Sexploitation des chemins de 8 fer concédés. Je crois être dans le vrai, car tous a ceux qui ont l'habitude de parcourir le chemin de

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L’Opinion (1863-1873) | 1867 | | pagina 2