JOURNAL D'YPRESDE L'ARRONDISSEMENT YPRES, Dimanche Cinquième année. N° 12 24 Mars 1867 Le tout payable d'avance. Paraissant le dimanche. PRIX RKS AillOICES ET DES RECLAMES 10 Centimes It petite ligne. Corps du Journal, 30 centimes. PRIX WABOmXEMEWT POUR LA BELGIQUE 8 francs par an; 4 fr. 50 par semestre. Pour UEtranger, le port en sus. Un Numéro 25 Centimes. Laissez dire, laissez-vous blSmer, mais publiez votre pensée. On s'abonne a Ypres, au bureau du Journal, chez Félix Lambin, imp.-lib., On traite a forfait pour les annonces souvent reproduites. Toutes lettres rue de Dixmude59. ou envois d1 argent doivent étre adressés franco au bureau du journal. Le suffrage universel. La Chambre a repris, depuis quelques jours, la discussion du projet de loi relatif a la réforme élec- torale. On a contesté longtemps la nécessité d'une ré forme. Tout rècemment encore M. Tesch affirmait que cette question n'intéressait nullement le pays et que c'etait une des choses dont il se souciait le nioins. La majorité a repondu a 1'assertion plus que hasar- dée de I'ancien ministre de la justice en repoussant la proposition d'ajournement appuyée par le gouver nement. Nous ne nous sommes pas fait un instant illusion sur la portée de cette décision. En maintenant son ordre du jour, en exprimant sa ferme volontè d'en finiravec la question de la réforme électorale, la ma jorité, nous n'en avons jamais douté, n'a point en- lendu émettre un vote d'hostilité, voire même de dè- fiance a l'égard du gouvernement. Mais il nous a été permis d'y voir la preuve qu'elle est convaincue enfin de la nécessité de s'occuper sans plus de retard d'un problème qu'elle avail dedaigneusement écarté jus- qu'alors, et que Ie mouvement d'opinion dont eile avait obstinémeut contesté I'existence a pris a ses yeux un caractère de gravité et d'universalité qui s'impose a son attention. Au surplus, Ie débat est ouvert aujourd'hui et ceux-la même qui persistent a nier Ie mouvement reconnaitront avec nous qu'il n'esL plus dans la puis- since de personne d'en reculer la solution. L'heure serait mal choisie pour les récriminations. Le ministère, en présentant son projet de reforme, a declarè qu'il n'avait pas la pretention de soumettre a la Chambre une oeuvre parfaite et qu'il examinerait avec bienveillance les amendements qui pourraient se produiredans Ie cours de la discussion.Tout espoir d'arriver a une entente commune n'est done point perdu et nous serions les premiers a regretter que des paroles d'amertume la rendissent impossible Nous ne pouvons cependant pas nous empêcher de faire remarquer que si la question du suffrage uni versel a surgi tout-a-coup dans Ie débat actuel, la responsabiiité en revient lout entière au gouverne ment. Cette question n'etait pas née, il y a trois mois. Les esprits les plus avances n'aliaient pas alors au-dela d'une réforme basèe sur les principes de la proposition de IV». Guillery. Tout au plus quelques- uns entrevoyaient-ils le suffrage universel comme un idèal realisable dans un avenir plus ou m >ins éloignó ou bien comme une nécessité que les événemenls pourraient nous imposer a un moment donne. La résistance, le mauvais vouloir du gouvernement, le langage imprudent de M. Frère, en irritant les. uns, en décourageant les autres, ont donné naissance a cette question facheuse qui prepare au pays, nous le craignons fort, de sérieux embarras dans l'avenir. Quoi qu'il en soit, la question est posëe. Les mee tings la discutent, la Ligue du l'euple s'en fait un drapeau, M. Goomans vient de la porter a la tribune parlementaire ou elle soulève des tempêtes. Pour si peu que notre opinion doive compter dans le feu croisé d'arguments échangés entre ses partisans et ses adversaires, nous avons a coeur et nous considé- rons comme un devoir de nous en expliquer ici avec une entière franchise. Nous ne sommes pas de ceux qui ne voient dans l'exercice du droit de suffrage qu'une fonction pure- ment civique. Voter, comme pour les partisans du suffrage universel, pour nous e'est exercer un droit naturel tout aussi sacré, tout aussi incontestable que n'importe quel autre. Si on I'oblige a payer, s'il peut étre obligé a se battre, si 1'on exige qu'il obéisse, le citoyen doit avoir le droit de savoir pourquoi, de don- ner ou de refuser son consentement, de voir compter avec son opinion. Mais la sociétè ne reconnait pas de droits absolus. Si elle contracle envers ses membres l'obligation de les protéger dans leur personne et dans leurs biens, il lui appartient incontestablement de déterminer les conditions de cette protection et d'en fixer les limites. La proprieté, la puissance paternelie, la libertè du langage et de la presse, la liberté de conscience, la li bertè de l'enseignement constituent des droits natu rels au même litre que le droit de suffrage. Pourquoi, tandis que tous ceux-la sont restreinls, réglementès par la loi, ce dernier aurait il seul Ie privilége d'é- chapper a son empire? Est-ce a dire que la société puisse fixer selon son bon plaisir les conditions du suffrage universel et pri- ver arbitrairement un citoyen de son droit naturel de participer aux affaires publiques Non certes. La société, nous le proclamons bien haul, n'exerce cette souveraineté que dans les limites tracées par les né- cessités de sa conservation elle est injuste, odieuse, despotique, si elle les dépasse et justifie, par son ini- quité, ces revendications violentes qu'on appelle des révolutions. Mais il nous sufïït d'avoir constaté son droit pour que la théorie du suffrage unjversel croule par sa base. Cette théorie, si séduisants que soient ses dehors, ne réalise point, d'ailleurs, l'idéal de Ia souveraineté populaire, tel du moins que des apötres de l'absolu doivent le concevoir. La souveraineté, prise dans le sens absolu du mot, n'admet pas de délegation. II faul aller jusqu'a la légisiation directe Point de Parlement et le Peuple, dans le Forum, rédigeant lui-même ses lois. II faut pousser plus loin encore et rejeter comme une atteinte au droit individuel le principe du droit des majorités, car oü trouve-t-on la loi qui oblige la minorité a se courber devant la volonté du plus grand nombre Mais laissons-la les théories et demandons-nous quels avantages la Belgique pourrait retirer du suf frage universel. Dans le discours qu'il a prononcé mercredi dernier, M. Hymans a prétendu prouver que le suffrage universel avait perdu toutes les r'é- publiques de l'antiquité. M. Coomans a repousse ce reproche en établissant a son tour que l'antiquité n'a jamais connu ni pratiqué ce mode de gouvernement, et nous sommes, quant a nous, assez disposes a don- ner raison a l'honorable représentant de Tburnout. Mais qu'esl-il besoin de consuller Thucydide, Hero- dote et Plutarque quand sufïit d'ouvrir les yeux pour se convamcre? Soit, nous voulons bien l'ad- mettre, le suffrage universel n'a pas a se reprocher la ruine d'Athènes, de Sparte et de Rome mais que ceux qui le préconisent si haut aujourd'hui nous di sent ce qu'il a fait de la France d'il y a vingt ans, ce qu'il s'apprête a faire de l'Allemagne, ce qu'il ferait de notre libre Belgique si jamais leurs théories pou- vaient triompher de ses rèpugnances Et qu'on nous épargne cette élernelle objection que le suffrage universel n'est pas libre en France. II était libre, en 1849, quand il élisait cette chambre réac- tionnaire qui vota l'expédition de Rome, supprima le suffrage universel et se fit enfin, par ineptie ou par calcul, le complice du coup-d'Etat. II était libre, en- tièrement libre, le suffrage universel, qui prépara l'Empire en appelant Louis-Napoléon a la présidence de la République. N'est-il pas étrange, quand il a forgé lui-même ses chalnes, qu'il vienne invoquer son es- clavage pour dégager sa responsabiiité devant l'his- toiée Voyons l'Allemagne. En ce moment même le Parle ment allemand, issu du suffrage universel, est réuni Berlin. Personne ne niera que ce Parlement est le produit d'un suffrage universel absolument libre. La presse a pu parler, les associations, les clubs ont pu se reunir, dans les conditions les plus favorables a la libertè. Eh bien, cette assemblée formée selon le coeur desadmirateurs du suffrage universel, cette assemblée qui réalise leur idèal et qu'ils envient sans doute pour la Belgique, refusait, il y a quatre jours a peine, le 19 mars, de consacrer dans la constitution fédérale la li berté de la presse et le droit de réunion. Malgré les protestations de M Scherer, l'auteur de la proposition, le grand Parlement d'Allemagne, a une majorité con siderable, s'est prononcé pour le despotisme contra la liberté. Qui peut croire qu'il en serait différemment en Bel gique? Qui peut douter que si, tout-a-coup, sans pré- paration sufïisante, la masse de la population beige était appelée exercer le droit de suffrage, ce moment serait le signal d'une réaction formidable contra les conquêtes de la civilisation moderne? Quoi, c'est dans l'instantoü l'ultramontanismerelève la têteet formule, dans son Syllabus, un acte d'accusation en régie contra la liberté, que des hommes de progrès, séduits par nous ne savons quelles vaines theories, voudraient confier le sort de nos fibres institutions aux mains d'une population courbée, depuis des siècles, sous Ie joug de l'Eglise romaine Quoi, la liberté est partout en périlde l'Est a l'Ouesl du continent, on ne voitque reaction violente et despotisme, et c'est a ceux que l'Eglise a élevés dans la terreur de la liberté que nous irions deraan- der de la dèfendre? La Belgique, nous en sommes bien convaincu, ne cominettra pas une pareilie im prudence. La liberté lui a cofiló trop cher pour qu'elle la sacrifie ainsi, de galtè de coeur, aux théoriciens de 1' absolu. La discussion de la reforme électorale a commencé le 19 a la Chambre des representanls. Les tentatives n'ont pas manqué cependant pour éloigner cette dis cission. Et tout rècemment encore, dans la séance du 15, un député de Gand proposait, en dépit de la dé cision formelle de la Chambre, d'inscrire le projet de

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L’Opinion (1863-1873) | 1867 | | pagina 1