JOURNAL D'YPRES DE L'ARRONDISSEMENI
YPRE8, Ri manche
Cinquième année. N° 19
12 Mai 1867.
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Ypres, u Mai
Dans sa séance du 7 de ce mois, la Chambre des
représentanls a voté lo principe de la mise a la retraite
forcèe des magistrals de l'ordre judiciaire arrivés a un
êge determiné.
Ce principe a été admis par 58 voix contre 49 et
une abstention.
L'article du projet de loi qui consacre ce principe
est ainsi concu
Les membres des cours et tribunaux sont mis a
la retraite lorsqu'une infirmitégrave et permanente
ne leur permei plus de remplir convenablernerit
i> leurs fonctions el lorsqu'ils ont accompli dans les
tribunaux, l'êge de 70 ans dans les cours d'appel,
l'êge de 72 ans a la cour de cassation, l'êge de 7ó
ans.
La première partie de eet article, relative a la mise
a la retraite des magistrals qu'une inlirmité graveem-
pêche de remplir convenablement leurs fonctions, n'a
rencontre dons la Chambre aucune opposition.
II n'en a pas été de même de la disposition condam-
nant au repos les magistrals arrivés a un êge variant
d'après la position qu'ils occupent dans la hiërarchie
judiciaire celte disposition a rencontré pour adver-
saires tous les membres de la droite, cqmme élant
contraire a la Constitution.
L'article 100 de notre pacte fondamental porte que
les juges sont nommés a vie et qu'aucun juge ne
peul être privé de sa place ni suspendu que par un
jugement.
Si l'on s'en tient au texte de l'article 100 de la Con
stitution si l'on ne considère que la signification
grammaticale des mots, il est évident que le juge a le
droit de remplir ses fonctions jusqu'au dernier souffle
de son existence et des lors la disposition de loi qui
l'ublige a descendre de son siége a un age fixé d'a-
vance est inconstitutionnelle.
Maisest-ce bien en s'attachant au sens littéral des
mots, qu'on doit appliquer une loi etn'esl-il pas plus
logique, plus conforme a la saiue raison d'interprêler
les lots en recherchant quelle a éte la pensee du légis-
lateur Et, en s'appuyant sur Ie sens littéral du texte,
si on arrive a une conclusion absurde, ne convient il
pas d'interprêler ce texte de manière a aboutir a une
conclusion conforme a la raison et a la pensée qui a
animé le legislateur? Cela ne fait doute pour personne^
excepté pour la droite qui, d'utie question de bon
sens a fait une question de parti.
L'inamovibilité du juge a été décrétée par leCongrès
constituant non pas dans l'iniérêt personnel du juge,
mais dans l'intérêt du justiciable. Le Congres a voulu
assurer au juge une indépendance compléte, non pas
dans un intérêt qui lui fut exclusivement personnel,
mais dans l'intérêt public. Le Congrès a si peu songè
a l'intérêt particulier du magistrat en le nommant
vie, qu'il a prévu parfailement la nécessité de sa mise
a la retraite au cas oü sa présence sur son siége pour-
rait être nuisible a l'intérêt général.
C'est la le motif de la disposition constitutionnelle
décrétant que le juge peut être privé de sa place ou
suspendu par un jugement.
La Constitution n'en dit pas davantage sur ce point,
elie proclame le principe de l'inamovibilité du juge et
laisseala legislature ordinaire lesoind'établir quelles
sont les exemptions au principe que, dans la pratique,
réclame l'intérêt public.
C'est ce qu'a fait le projet présenté par le gouver
nement, amendé par la section centrale et adopté par
la Chambre des représeiilants.
LeCongrès national, en décrétant la nomination de
juges a vie, n'a nullement entendu leur oclroyer le
droit de rendre, en tous cas, la justice jusqu'au der-
nier souffle de leur existence. La droite l'a si bien
compris qu'elle n'a fait aucune difficullé d'admettre la
mise a la retraite forcee des magistrals qu'une infir-
mité grave empêehe de remphr convenablement
leurs fonctions. C'est une première concession, la
seule, qu'elle a faiteau bon sens.
Nous avons dit tantót que l'inamovibilité des juges
puise sa raison d'être dans l'intérêt public. Le legisla
teur constituant a voulu que Ie juge fut complètement,
d'une manière absolue, independant du pouvoir; il a
voulu le mettre a l'abri de toute influence et ne le
rendreesclave que de la loi et de sa conscience; il l'a
mis a l'abri de toute preoccupation d'intérêt person
nel c'etail la un excellent moyen de le soustraire a la
tentation de rendre des services plu tót que des arrêts.
Or, nous le demandons, en quoi l'independance du
juge souffl e t elle une atteinte par sa mise a la retraite
a l'êge de 70 ans'? Est-ce qu'a la veille du jour oü
sonnera pour lui l'heure de la retraite il ne conservera
pas vis a-vis du pouvoir Ia même independance que
le jour de son entree en fonctions? En quoi dès lors,
et nous insistous sur ce point, le justiciable est-il in
téressé a ce que le juge reste en fonctions jusqu'a qu'il
ait exhale sou dernier soupir
La loi votée par la Chambre est done en tous points
conforme a l'esprit de la Constitution il nous reste a
examiner si elle est utile a l'intérêt public.
Non seul'emenl la justice doit être rendue confor-
mément aux lois, mais il est encore de l'intérêt du
justiciable qu'elle soit rendue promptement. II faut
done que le juge jouisse de ses facultés intellectuelles
dans toute leur plenitude et que ses forces physiques
ne trahissenl pas sa bonne volonle. Soutenir que
l'homme arrivé a l'êge de 70 ans n'a rien perdu de
la vivacilé de son intelligence et de la justesse de ses
appreciations, c'est affirmer un fait contraire aux lois
de la nature. Cerles, quelques organisations merveil-
leusement douées echappent a la loi commune; on
peut d'autant plus facilement en citer des exemples,
que par leur étrangeté elles altirent l'attention de
l'observateur. Si a cette décadence des facultés intel
lectuelles vous ajoutez la décroissance des forces phy
siques qui se manifeste ordinairement chez l'homme
ayant atteint un age avancé, vous arrivez a cette
conclusion que le juge êgé de 70 ans ne se trouve
plus, en règle générale, dans les conditions voulues
pour remplir convenablement ses fonctions.
II y a des exceptions, nous le savons bien, mais
est ce une raison pour ne pas appliquer le principe?
Faut-il, paree que tel magistrat arrivé a la limite de
l'age fixé par la loi jouit encore de toute sa verdeur
physique et morale, maintenir en place tous les ma
gistrals incapables? Ce serait par trop absurde et
nous avons trop de déférence pour l'intelügence dont
le Congrès a donnè tant de preuves pour lui prêter
jamais une pareille pensée.
Mais, dira-t-on, s'il se trouve parmi les juges des
magistrats qui, a raison de leur grand êge, sont em-
pêchés de remplir convenablement leurs fonctions,
meltez-les a la retraite, mais respectez au moins Ia
position de ceux qui peuvent encore rendre des ser
vices. Agir de la sorte. ce serait aller a l'encontre de
la pensée du Congrès. Le legislateur constituant a
voulu que le magistrat, en rendant ses jugements ou
ses arrêts, ne put être guidé par aucun sentiment
d'intérêt personnelor, la possibilité de prolonger Ia
durée de ses fonctions en rendant un jugement dans
un sens plutót que dans un autre ne place-t-elle pas
le juge entre son intérêt et celui de la justice?
Nous n'apprendrons rien a personne en disantque
la malignité publique aurait beau jeu si le principe de
la mise a la retraite forcée des magistrats ayant at
teint un êge déterminé n'était pas appiiqué a tous in-
distinctement.
Nous voulons rencontrer une dornière objection.
Pourquoi, a-t-on dit, mettre a la retraite a l'êge de
70 ans les juges des tribunanx tandis qu'on n'ap-
plique la même mesure aux membres de la Cour
d'appel et de la Cour de'cassation qu'a l'age de 72 et
de 75 ans. La raison en est fort simple et découle de
la natura même des fonctions que ces differents ma
gistrals sont appelés a remplir. Les juges des tribu
naux sont astreinls a une activité plus grande, ont
besoin de forces physiques plus considerables pour
s'acquitter convenablement de leur mission que les
conseillers a la Cour d'appel ou a la Cour de cassation.
De la la difference dans l'époque de leur mise a la
retraite.
En résumé, nous maintenous que la loi est con-
forme a l'esprit de la Constitution et qu'elle aura pour
conséquence de remédier a de graves abus. Mais tout
en lui dontiant notre approbation sans réserve nous
expriinonr ici le regret que Ie gouvernement ait paru
roanquer lui-même de coofiance dans son oeuvre en
la placant sous la protection de l'esprit de parti. Des
questions de cette nature, surtout dans les temps dif-
ficiles que traverse en ce moment la Belgique, ne sont
point, du teste, de celles auxquelies un gouvernement
soit autorisé a attacher son existence; en provoqeant
un voLe de parti sur une loi dèpourvue de lout carac-
tère politique, Ie ministère sexposait a un échec dont
les conséquences auraient pu no pas s'arrêter a lui